Se déclarant « surprise » des critiques que lui adresse François Rebsamen le maire et président de la métropole de Dijon, Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté, lui répond, par cet entretien avec Traces Écrites News (*).
(*) Sollicitée en amont de notre entretien avec François Rebsamen, Marie-Guite Dufay a souhaité au préalable prendre connaissance des positions de celui-ci à travers son interview que nous avons diffusée le 26 mars, avant de nous accorder l’entretien que nous restituons ci-dessous.
Article publié une première fois le 28 mars 2024 à 13h
Comment avez-vous ressenti et compris les critiques que François Rebsamen adresse à la région que vous présidez, et son appel consécutif à séparer Bourgogne et Franche-Comté ?
Je suis surprise de ces critiques. J’ai des rapports cordiaux avec François Rebsamen, même si nous ne sommes pas d’accord sur tout. Je suis d’autant plus étonnée que je suis fière et heureuse, depuis ma prise de responsabilité en 2015, d’avoir investi plus de 100 millions d’euros pour la métropole dijonnaise. Je parle d’investissements structurants, qu’ils soient universitaires, culturels (le musée des Beaux-Arts, la Cité internationale de la gastronomie et du vin), ou qu’ils relèvent des infrastructures, comme la rénovation de la gare. Devant ces 100 millions, je me dis que l’ingratitude est peut-être le vice qui coûte le moins cher.

Le maire de Dijon vous reproche un « tropisme bisontin », et, plus globalement, de privilégier la Franche-Comté au détriment de la Bourgogne. Que lui répondez-vous ?
Oui, je suis Franc-Comtoise, mais ça ne m’empêche pas d’être à l’écoute et au service de tous les territoires de cette région. En même temps, celle-ci n’est pas que le tiroir caisse des autres collectivités. Elle a des compétences très fortes, en matière de mobilité, de lycées, de transition énergétique. Et ça concerne toute la région.
Pour revenir à Dijon, un exemple d’investissement très fort sur ce sujet de la transition énergétique qui me tient à cœur, ce sont les aides aux bailleurs sociaux, pour l’amélioration de l’efficacité thermique dans les logements sociaux, donc pour la baisse des loyers du fait de la diminution des charges. Ce sont plus de 10 millions d’euros, depuis que je suis là, qui ont été dirigés vers les bailleurs de Dijon.
Moi ce qui m’intéresse, dans la grande responsabilité du développement économique qui incombe à la région, ce n’est pas de diviser, ni de compenser comme j’en entends parler, mais c’est de pousser des dynamiques de développement. Par exemple, ce mois-ci, j’ai réuni toutes les forces vives de cette région en matière de biothérapie, un sujet d’avenir fondamental qui traite du médicament innovant et de la souveraineté médicamenteuse. Nous avons deux terreaux fertiles à souhait en matière de recherche comme d’entreprise, à Dijon et à Besançon. Mais jusqu’à maintenant, quand même, nous avons rencontré une grande difficulté pour que toutes ces forces travaillent ensemble. Ce qui fait que la visibilité nationale n’est pas au rendez-vous. J’ai réuni à Dijon ces assises des biothérapies et leur conclusion se tiendra dans trois mois à Besançon. Entretemps, tous ces acteurs vont travailler. Ils m’ont remercié, la semaine dernière, de pousser effectivement à ce mouvement-là.
Même chose pour l’hydrogène, autre sujet d’avenir dans lequel je suis très investie. Il part plutôt de la Franche-Comté avec tous les développements de la recherche sur place. Mais il concerne toute la région, et aussi Dijon, qui investit massivement dans une magnifique station hydrogène. Si en juin, les journées nationales de l’hydrogène se tiennent à Dijon, je pense que mon positionnement stratégique sur ce sujet n’y est pas étranger. C’est dans ce sens que je travaille : rassembler pour être plus efficace.
Qu’en est-il, justement, de la politique économique, notamment en matière de réindustrialisation ?
Je pense que vous savez que ce sujet me caractérise. La réindustrialisation concerne l’ensemble de la Bourgogne-Franche-Comté. Quand on parle de la défusionner parce que, soi disant, Dijon ne s’y retrouverait pas… La réindustrialisation touche Dijon et Besançon, mais aussi le Nord-Franche-Comté, avec toutes les giga factories. Elle concerne Le Creusot, avec Jimmy, qui vient d’arriver, Chalon-sur-Saône, dont le président ne cesse de remercier la Région, ou encore Auxerre.
Nous sommes l’une des plus petites régions de France en terme de population, or sur le plan des investissements extérieurs, c’est-à-dire de la capacité à faire venir des entreprises sur notre territoire pour y développer des emplois, nous nous classons 5ème. Cela montre qu’on tient notre rang.
Et je voudrais ajouter, pour rester toujours sur le fond, que la Bourgogne-Franche-Comté, ce n’est pas que les territoires urbains, c’est une immense ruralité, qui souffre. Et la Région, elle est là pour elle. J’ai toujours voulu être solidaire des territoires les plus en difficultés, en déprise démographique. Là, les contrats que nous signons représentent 200 millions d’euros.
On ne peut pas, depuis un observatoire dijonnais, déclarer que rien ne va plus, parce qu’on n’est pas satisfait de tel ou tel financement. Ce qui est important pour le développement d’une ville comme Dijon, c’est l’enseignement supérieur, la recherche, les investissements industriels, culturels. Nous sommes au rendez-vous.
Vous évoquez votre action dans le domaine de la ruralité. Pourtant, la région a fait parler d’elle récemment avec les retards importants dans le versement d’aides destinées aux agriculteurs, gérées par vos services. N’y-a-t-il pas là une défaillance ?
Ça n’a rien à voir, il est question ici d’agriculture. Mais parlons-en alors. Pour moi, il y a deux grandes préoccupations, au niveau économique. C’est d’abord l’automobile avec la disparition du moteur thermique. Nous nous sommes lancés dans un vaste plan d’action en direction de toutes les entreprises pour voir comment nous pouvons les aider à se diversifier et à faire face à ce tsunami technologique et social.
Et le second sujet, c’est l’agriculture version Saône-et-Loire, Nièvre, Charolais.... La difficulté des éleveurs de vivre correctement de leur travail. J’ai l’agriculture à cœur, pour travailler à structurer des filières. En Saône-et-Loire, nous préparons un plan viande où les éleveurs font le constat qu’en se contentant de vendre du bétail à l’extérieur de leur frontière, ils ne récoltent pas la plus-value qu’ils méritent. Il faut qu’ils engraissent les bêtes, ce qui pose des problèmes de trésorerie. Ils viennent nous trouver pour qu’on voie, ensemble, comment aborder cette question.
Ce dont vous parlez, les retards, effectivement, qui ont très légitimement mis en colère les agriculteurs, c’est un mauvais transfert de l’État à la région des fonds européens. Et qui concerne deux points : l’installation des jeunes et la modernisation des bâtiments agricoles. Sur le premier, nous sommes en train de retrouver le rythme qui était celui de l’État lorsqu’il gérait, parce que j’ai mis une priorité absolue sur les jeunes. Comme nous n’avons pas suffisamment de personnel pour aborder ces fonds - c’est quand même ça le sujet - si je rends la question de l’installation prioritaire, le reste ne l’est plus. Mais nous traitons cela, et nous avançons avec les chambres d’agriculture pour accélérer les dossiers de paiements.

François Rebsamen met en avant plusieurs dossiers culturels pour expliquer son divorce d’avec votre présidence. Que lui répondez-vous ?
J’ai relevé de nombreuses inexactitudes dans ses déclarations. Je vais rétablir la vérité. Ce n’est pas François Rebsamen qui est venu me demander que l’on fusionne les FRAC (Fonds régionaux d'art contemporain) de Bourgogne et de Franche-Comté. Je pensais, un peu naïvement mais c’était du bon sens, que le FRAC de Besançon ayant des bâtiments très conséquents, alors qu’ils n’existaient pas à Dijon qui avait lui une réserve, une collection très importante, qu’on pouvait fusionner ces deux espaces. Et cela se serait fait, effectivement, à Besançon. Si François Rebsamen conçoit cela comme impossible, c’est son choix.
Il a également évoqué l’orchestre. C’est moi qui lui ait demandé qu’on travaille à ce qu’on n’en ait qu’un seul à partir de l’orchestre Victor Hugo (Besançon) et de celui de Dijon. Je n’ai jamais dit qu’il fallait qu’il s’appelle Victor Hugo. Nous avons, en fait, buté sur des questions de statuts des musiciens qui sont très différents dans ces deux structures. Et franchement, l’État n’a pas été très aidant dans cette affaire-là, ce que je regrette fortement.
La question de l’enseignement supérieur et des universités fait également polémique avec le maire de Dijon. Qu’avez-vous à en dire?
Dans une région petite comme la nôtre, on ne peut pas se permettre une dispersion des forces universitaires. Il faut qu’on garde nos jeunes, et pour ça, nous avons besoin d'une force d’attraction. François Rebsamen me reproche de tout vouloir mettre à Besançon. Il parle de la Comue (communauté d'universités et d'établissements, Ndlr) et du Crous. Il oublie juste une chose, c’est que c'est son collègue ministre à l'époque, Bernard Cazeneuve, qui a fait en sorte que le rectorat soit à Besançon. Qui dit rectorat dit administration de l’éducation, de l’enseignement supérieur et du Crous à Besançon. C’était voulu dans un esprit d’apaisement et d’équilibre, dans un moment où ce n’était pas simple.
Après, il y a le sujet de nos universités qui ne s’entendent pas. Avec François Rebsamen, nous étions sur la même longueur d’onde, à ne pas comprendre ces querelles. Ce ne sont pas les chercheurs le problème, c’est la gouvernance. Maintenant, François Rebsamen dit que j’ai voulu mettre la main sur l’Université de Bourgogne. C’est elle qui a décidé de sortir de la Comue, ce n’est pas moi qui ait mis la main sur elle. La Comue était un début de mutualisation de moyens. Ça n’a pas fonctionné. Je suis bien placée pour savoir que l’autonomie universitaire est un principe que l’on ne peut pas remettre en cause.
Je n’ai rien à dire par rapport à leur gouvernance, moi je n’ai qu’un sujet, c’est la recherche. Et qu’on ait toujours une politique de site à l’échelle de la région. Les chercheurs, depuis les années 2000, dix ans avant la fusion, ils travaillaient ensemble. Je souhaite que les synergies restent. C’est un peu compliqué, on ne sait pas trop comment tout cela va fonctionne à travers les futurs établissements publics expérimentaux (EPE) que les deux universités vont créer. Il faut garder la force de la Région. J’ai un grand élu bourguignon qui partage mes vues. Indépendamment des EPE, il faut trouver les moyens d’une politique régionale en matière de recherche, et cet élu, c’est François Patriat, qui sait que cet aspect est fondamental.
Pourtant, l’embryon de Comue mort-née était bel et bien bisontin…
L’université de Bourgogne ne se retrouvait pas dans cet ensemble qui se voulait au service de la mutualisation des moyens, et elle en sort. Je ne dis rien par rapport à ça, je dis simplement, la recherche, on fait quoi ? Derrière, il y a des financements, très importants de l’État. Le premier acte après la scission, c’est que l’État a suspendu les Programmes d’Investissement d’Avenir (PIA). Il ne les remettra pas en place s’il ne sait pas à quoi ils s’adossent.
On a beaucoup dit que l’intérêt de rassembler Bourgogne et Franche-Comté était la massification et la mutualisation. Autant dire des économies. Ça sert à quoi, la fusion des régions ?
Ça sert à pousser les dynamiques économiques. Ce que l’on veut, c’est développer l’emploi dans un cadre de transition écologique. Jamais sans la réunion des régions nous ne serions allés aussi vite sur cette position hydrogène, qui fait qu’on est reconnu comme un acteur très important au niveau national, avec les implantations de giga factories en Nord-Franche-Comté et avec cette irradiation sur tout le territoire, d’Auxerre à Mâcon.
Autre exemple dont je vous ai déjà parlé, celui des biothérapies. Nous sommes en avance de plusieurs phases par rapport au niveau national sur les médicaments d’avenir. Nous avons un plan de route qui se met en place. Ce que je cherche, c’est une visibilité nationale pour capter une grande partie du financement du plan France 2030. Nous avons même un projet de construction d’une usine de médicaments, il demande des moyens, qui viendront avec la visibilité.
Pour vous donner un chiffre, global, avant la fusion, les deux régions investissaient, en cumulé, 300 millions d’euros. Aujourd’hui, nous sommes à 600 millions d’euros.
François Rebsamen estime que vous ne faites pas assez d’efforts pour désenclaver la région en matière de transports, notamment avec le TGV pour Marne-la-Vallée, et l’aéroport Dole-Jura. Qu’en pensez-vous ?
Concernant l’aéroport Dole-Jura, je n’ai pas changé de position depuis 15 ans. Il n’a pas de modèle économique. Le trafic passagers est entièrement un trafic sortant, vers Marrakech, Porto ou Lisbonne. Qu’est-ce que ça rapporte au territoire ? Rien ! Et pourquoi on ne fait pas venir des lignes qui viennent de Scandinavie ou d’Angleterre, c’est parce qu’il n’y a pas de marché. Cela a été étudié. Il y a assez de liaisons TGV.
En revanche, il est vrai qu’une liaison avec Roissy, et surtout Marne-la-Vallée, un hub permettant d’aller au nord et à l’ouest de la France, serait très important. J’ai toujours soutenu François Rebsamen, moralement sur ce sujet. Mais si vous me demandez qui paie les 6 millions que la SNCF demande, c’est sûr que ça ne peut pas être la Région, qui paie déjà le TER.





















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