Le doute n'était pas permis. Le confinement décrété le 17 mars jusqu'au 15 avril va se prolonger jusqu'au 11 mai. En dehors de la psychose qu'il a installé et le début d'une récession économique, le mois qui vient de s'écouler a aussi révélé de nombreuses initiatives entrepreneuriales par volonté de ne pas rester les bras croisés, de participer à un élan de solidarité ou tout simplement sauver les meubles.


« Depuis mardi 17 mars 2020 midi et pour une durée de quinze jours minimum, les personnes ne sont plus autorisées à sortir de chez elles, sauf pour motifs exceptionnels, et sur présentation systématique de l’attestation de déplacement dérogatoire dûment complétée, disponible sur le site internet du gouvernement ou sur le site internet de la préfecture. » Au lendemain de « l’adresse aux Français du président de la république Emmanuel Macron », toutes les préfectures diffusent le message sur leur site Internet.
Les commerces, sauf ceux de bouche, ne vont pas rouvrir après le week-end, les bars et les restaurants non plus, et les marchés plein air sont désignés comme propagateurs potentiels du Covid-19. Seuls restent ouverts les supermarchés, pris d’assaut. Les enfants ne vont plus à l’école, embarrassant les parents qui ont à peine eu le temps de s’organiser. Les « télétravailleurs » font des allers et retours vers leur entreprise pour récupérer ordinateur et dossiers, et saluer une dernière fois de visu leurs collègues. Déjà on ne se fait plus la bise depuis une quinzaine de jours.

 

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Le mardi 17, les ateliers et les usines ferment brutalement, souvent provisoirement, le temps pour les chefs d’entreprise de réfléchir comment mettre en place ces gestes barrière qu’il faut respecter pour leurs salariés. Implanter les postes de travail à un mètre l’un de l’autre ne coule pas de source. Les grosses entreprises prises en étau par les syndicats ne tergiversent pas. Les lignes d’assemblage des véhicules de PSA Mulhouse, située au coeur de l’un des plus importants foyers de contamination au coronavirus, s’arrêtent dès le lundi 16 mars à 13h, contraignant les salariés de l’équipe de l’après-midi, non avertis, à faire demi-tour. Sochaux, le berceau du constructeur dans le Doubs suit le lendemain dès potron minet ainsi que Trémery et Metz, en Moselle.

Emmanuel Macron l’a dit dans son allocution du 16 mars : « aucune entreprise ne restera sur la route. » Difficile promesse... Après un mois de confinement, l'Insee et les économistes estiment à 3 points la baisse anuel du PIB. Et la perte effective sera en toute hypothèse supérieure car il est très peu probable que la sortie du confinement s’accompagne d’un retour immédiat de l’activité économique à la normale. Parallèlement, au 9 avril, les dépenses de consommation des ménages auraient diminué de l’ordre de 35 %.
Invitées par le gouvernement et Bpifrance, les banques (Lire ici le fil d'actualité n°1) déploient simultanément des solutions de financement pour ceux qui manqueront rapidement de trésorerie. Las, il est déjà trop tard pour certains secteurs d’activité.
Les sociétés de l’événementiel (séminaires, salons, spectacles) n’ont déjà plus de travail depuis quinze jours, lorsque les manifestations de plus de 5.000 personnes d’abord, le 29 février, puis de plus de 50 personnes à partir du 7 mars dans le Haut-Rhin, ailleurs une semaine plus tard, sont interdites. Beaucoup sont déjà en état de sauvegarde. L’’hôtellerie n’a pas d’autre choix que de fermer à son tour.

Continuer, suspendre, reprendre ?

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Le fabricant d'étiquettes Adhex à Dijon fabrique ses propres masques et gel. Il poursuit son activité avec deux équipes en journée et une de nuit, soit 150 collaborateurs à la production. © Adhex

Face cette situation inédite, l’administration ouvre généreusement la possibilité d’un chômage partiel financé à hauteur de 84% du salaire net par l’Etat et, urgence oblige, simplifie les démarches : le salarié peut être mis à l’arrêt tout de suite, sans attendre le feu vert  de l’administration.
Les développeurs informatique et leur donneur d’ordre n’auraient-ils pas prévu l’afflux de demandes ? Le portail dédié activitepartielle.emploi.gouv.fr "saute" à plusieurs reprises. Déjà 5.000 demandes de chômage partiel en Bourgogne-Franche-Comté au 1er mars, dont 1.795 travailleurs indépendants. L'Urssaf de la même région encaisse 41 millions d'€ de cotisations sociales, 20 millions de moins qu'à l'ordinaire.
Continuer, suspendre, reprendre ? Là est toute la question. Les chambres consulaires, CCI, chambre de Métiers épaulent leurs ressortissants pour trouver la meilleure solution.  Les conseils régionaux mettent en place une série d’aides exceptionnelles, en synergie avec les mesures prises par l’État : 64 millions d’€ en Bourgogne-Franche-Comté, 150 millions dans le Grand Est. Le renfort des départements et des collectivités locales permet de cibler des activités oubliées par l’Etat, comme les associations, la culture et le sport.

 

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Un élan de générosité traverse la Bourgogne-Franche-Comté et le Grand Est. Commence tous azimuts une collecte de masques auprès des entreprises qui se délestent de leur stock par milliers, sans savoir qu’elles pourraient bien en avant besoin quelques semaines plus tard, les entreprises du BTP en particulier qui ont rapidement arrêté les chantiers, devant l’inextricable application des gestes barrières, mais qu, un mois plus tard, réflichissent à les reprendre. Pour beaucoup d’industriels, les commandes allégées voire réduites au minimum, les poussent à convertir leur outil de production pour participer « à l’effort de guerre », pendant que les Pâtes Valfeuri en Alsace, tournent à plein régime pour regarnir les rayons des supermarchés.

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Les Ateliers Gauthier (25 salariés) en saône-et-Loire fabriqent habituellement des chemises ; aujourd'hui, des masques.

La pénurie de gel hydro-alcoolique s’étant fait sentir très tôt, des industriels de la pharmacie comme Juva Santé en Moselle, des distillateurs du haut-Doubs et même un fabricant  de lubrifiant sans huile du Jura, AFULidine conjuguent nécessité de faire tourner les machines et envie de participer à un élan de solidarité.
La filière textile engrange une collaboration à grande échelle pour fabriquer des masques, dans les Vosges sous la houlette de l’association Vosges Terre Textile (Lire ici l’article de Traces Ecrites News) et en Alsace, à l’initiative Pôle Textile Alsace. En quelques jours, tous les éléments de la chaîne, de la fourniture du tissu aux petites mains habiles des couturières sont réunis. Des initiatives individuelles apparaissent aussi, à l’instar des Ateliers Gauthier à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) et de Géochanvre, dans l’Yonne (Lire ici l’article de Traces Ecrites News).
D’autres font preuve d’ingéniosité. Usineurs de matières plastiques, Novaplest  à Belfort et Plastiglas dans le Doubs, se mettent à fabriquer des protections de comptoirs pour les commerces ou les postes de travail en usine. Systel Electronique, en Saône-et-Loire, adapte son générateur de brouillard habituellement utilisé pour désinfecter les chaînes de l’industrie agroalimentaire pour nettoyer les chambres de hôpitaux.

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Biosynex met sur le marché des tests sérologiques qui, à partir d’un goutte de sang, décèlent les anticorps au Covid-19, permettant de détecter les porteurs sains ou immunisés. © Biosynex

Puis vient le temps des tests de sérologie, à l’instar de l’Alsacien Biosynex qui espère en fabriquer 2 à 3 millions d’ici fin avril. Et des respirateurs qui font défaut aux hôpitaux. Les ingénieurs de l’UTBM adaptent les masques de plongée de Décathlon et Qualup, près de Mâcon, motorise des sacs de ventilation manuelle. Traces Ecrites News que beaucoup de chefs d’entreprises lisent, reçoit des propositions de collaboration, l’un mettant à disposition ses machines, l’autre ses compétences en ingénierie. On découvre à la fois les bienfaits d’un écosystème local et les dégâts de la délocalisation de nombreuses activités stratégiques.

Le Grand Est va acheter ses tests sérologiques pour se déconfiner.
Un mois après, on pense au déconfinement. Ou plutôt à ses modalités d'organisation. Le Grand Est pourrait être une des premières régions à franchir ce pas et s'y prépare. Elle se propose d'être la région pilote d'un dépistage à grande échelle. Pour ce faire, le 9 avril, la commission permanente du conseil régional a voté la création d’une société d’économie mixte (Sem), « Dynamise », pour acquérir des tests sérologiques. Le capital de 10 millions d’€ sera réparti entre la Région (majoritaire à 51%), la Banque des territoires, le Crédit Mutuel et d’autres collectivités du Grand Est qui souhaiteront la rejoindre. Selon Catherine Trautmann, tête de liste socialiste aux municipales à Strasbourg, et à l’origine d’une « task force » d’élus et entrepreneurs, deux millions de tests ont été « pré-commandés », auprès de la société Biosynex d’Illkirch (Bas-Rhin).

 

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Le Grand Est, une région meurtrie

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C’est le Service de Santé des armées (SSA) qui déployé l’hôpital de campagne de Mulhouse en 7 jours, "le tout premier défi a été celui de la conception, la structure n'existant pas en tant que telle", relate le SSA dans un communiqué. © Ministère des Armées
On pensait que le coronavirus allait envahir la France par les Alpes, depuis l’Italie, après les premiers cas déclarés début février en Haute-Savoie. C’est finalement, du Haut-Rhin (en même temps que l’Oise)  que la contamination s’est propagée. 2.500 fidèles de l’église de la Porte Ouverte Chrétienne, venus de toute la France et des pays limitrophes, s’étaient réunis à Mulhouse entre le 17 et 24 février. L'interdiction des rassemblements n’avait pas encore été prononcée.
Si les premiers cas du Grand Est sont apparus dans le Bas-Rhin (le 26 février, un résident de Strasbourg revenant de Lombardie, en Italie), ils vont crescendo début mars dans le Haut-Rhin, avec 81 malades déclarés le 6 mars selon l’Agence Régionale de Santé (ARS) Grand Est.
La préfecture ferme les établissements scolaires à compter du 9 mars – une semaine avant l’ensemble du pays – , interdit tout rassemblement mettant en présence de manière simultanée plus de 50 personnes, et aux mineurs de rendre visite aux patients et personnes hébergées dans les Ehpad. Le 18 mars, après le 1er tour des élections municipales, Santé Publique officialise 371 patients hospitalisés (ne sont pas comptabilisés les malades suivis à domicile) dans le Haut-Rhin et 74 décès à l’hôpital. 

La situation devient critique. Les hôpitaux de Colmar et Mulhouse sont confrontés à la saturation de leurs services de réanimation. Il est décidé de mettre en place un hôpital de campagne sous tente de 30 lits de capacité sur le parking attenant du centre hospitalier de Mulhouse que le président de la République, Emmanuel Macron, visite le 25. Depuis sa mise en service, il a accueilli 38 patients, a précisé le 7 avril le ministère des Armées. Des malades sont aussi transportés par TGV vers le Luxembourg et l'Allemagne voisine, puis vers les hôpitaux du Sud-ouest.
Le préfet du Haut-Rhin, Laurent Touvet, décide alors un couvre-feu entre 21h à 6 h du matin à Mulhouse à partir du 22 mars au soir, en plus de mesures de confinement du pays. Durant le week-end Pascal, les restrictions se renforcent : la pratique d’une activité sportive extérieure est interdite dans le département du Haut-Rhin entre 11h et 19h.
Car la contagion reste une courbe ascendante :  le 9 avril, il y a encore encore un millier d’hospitalisations dans le Haut-Rhin et l’on dénombre 561 décès. Positivons un peu : l’ARS annonce un millier de retours à domicile.
Dans le Grand Est, les chiffres restent lourds : 4.769 malades à l’hôpital, dont 916 en réanimation, 1.854 décès et  4.160 sortis (au 9 avril).
Aussi le propos de Christophe Lannelongue, directeur de l’ARS du Grand Est comme quoi il n’était pas question de remettre en cause le plan d’économie du CHU de Nancy (suppression décidé l’an dernier de 598 postes et 174 lits sur 5 ans) est-il plus que malvenu. Laurent Hénard, président du conseil de surveillance du CHU de Nancy s’en émeut le 4 avril, dans un courrier au du ministre de la santé. Le directeur de l'ARS est limogé le 8 avril. La confiscation volontaire ou par erreur des masques de la région Bourgone-Franche-Comté sur le tarmac de l’aéroport de Bâle-Mulhouse aura été la goutte d’eau qui a lui a coûta son poste. Il est remplacé par Marie-Ange Desailly-Chanson, médecin et inspectrice générale des affaires sociales qui avait travaillé sur le dossier de réorganisation du CHU de Nancy en 2018 et jusqu’à sa nomination le 9 avril, coordonnait les besoins des hôpitaux avec les préfectures.
Les hôpitaux ne sont pas les seuls établissements de soins débordés. La situation des EHPAD et des services l’aide à domicile débouche sur un appel au volontariat par internet pour renforcer leurs équipes. Une trentaine de métiers sont ciblés parmi lesquels agent de bio-nettoyage, maîtresse de maison, surveillant de nuit, aide-soignant, auxiliaire de vie sociale, éducateur spécialisé, assistant de soins en gérontologie… L’appel aux volontaires se poursuit avec Renfort EMS Grand Est

 

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Polytesse, concepteur d'une gamme de vêtements en plastique et tissu recyclés démontre qu'on peut entreprendre avec succès en pleine pandémie : en une semaine, il a dépassé son objectif de préventes sur la plateforme de financement participatif Ulule.

La Bourgogne-Franche-Comté est moins fortement touchée de la Grand Est, mais elle fait partie des régions où la pandémie est à un niveau élevé. « Sans doute par la proximité de Mulhouse », disait Pierre Pribile, directeur de l’ARS Bourgogne-Franche-Comté, vendredi soir. Ce 10 avril, les hôpitaux étaient en tension, « mais ils tiennent le choc », l’attention portant sur le nombre de personnes en réanimation, stables autour de 290. Ce qui représente une fois et demi, la capacité habituelle des hôpitaux publics et privés de la région, sachant de la réorganisation des services (report d’actes) a libéré des places de réanimation.
Depuis quelques jours, le niveau des hospitalisations se stabilise sur le nombre de sorties (autour de 1.300) et le nombre de décès s’élève à 459 depuis le début de la pandémie. Ces chiffres ne reflètent complètement la réalité. Le réseau Sentinelle de médecins libéraux n'a les moyens de travailler que sur un échantillon et les malades à domicile ne sont dépistés que si leur cas est grave.

 

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La Région Bourgogne-franche-Comt a enfin reçu les masques qu'elle attendait : un million de type chirurgicaux, en provenance de Shanghai, arrivés à Marseille le 10 avril et acheminés par camion à Dijon. Ils ont été distribués le week-end de Pâques aux Ehpad par les services des 8 conseils départementaux et par les grossistes de la pharmacie. D’autres masques sont encore attendus sur les quatre millions que la Région Bourgogne-Franche-Comté a commandé pour 3 millions d’euros.

 

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