Foi d’amateur, ces vins-là dameraient le pion à bien des bourgognes ! Nous sommes en Haute-Marne, à moins de 6 km de la Côte-d’Or et au milieu des 14 hectares du vignoble Monsaugeonnais, sur les coteaux de la commune de Vaux-sous-Aubigny. Racontons sa renaissance avec pour guide, le sénateur et ancien maire Charles Guené, qui l’a initié dans le courant des années 80 et l’incarne depuis.

 

A peine élu en 1983, à 31 ans, maire de Vaux-sous-Aubigny, première commune de Haute-Marne sur la route Dijon à Langres, Charles Guené réfléchit à asseoir son rayonnement. Cet homme, aujourd’hui âgé de 69 ans et sénateur depuis 2001, porte un nom connu dans la région. Sa famille y exploite depuis 1958 une maroquinerie où ce diplômé en droit fiscal tenait le poste de directeur juridique. La fabrique fait vivre directement alentour entre 300 à 400 familles (Relire notre article : Dijon Maroquinerie préserve un savoir-faire du luxe en Haute-Marne pour la marque Lebeau-Courally).

 

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Ce passionné d’histoire se plonge alors dans de vieux documents qui lui indiquent qu’un vin jadis jouissait ici d’une belle renommée pour avoir été produit sur l’ancien vignoble de l’évêque de Langres. A deux pas des grands crus bourguignons, le maire se dit qu’il tient là une opportunité à saisir. Oui, mais voilà, ce n’est guère évident car il faut obtenir des droits de plantation, dégager des moyens financiers et trouver un vigneron compétent.

 

Bientôt de la bière et du whisky

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La future brasserie, doublée d'une distillerie à whisky, représente un investissement de 2,8 millions d'€, opérationnel au printemps 2022.


La brasserie à naître au printemps 2022, tout comme la distillerie de whisky contiguë, n'auront rien à voir avec le muid viticole, tant d’un point de vue capitalistique que pour le volet opérationnel, même si ce dernier a acheté terrain et bâtiment. Le site se trouve situé au lieu-dit Le Lavau sur la commune de Rivière-les-Fosses, à deux pas de Vaux-sous-Aubigny. François Mauffré, ancien banquier, préside la SAS Lingone qui mettra en valeur le savoir-faire de Jérémy Poppé, brasseur connu pour ses bières Bockn’Roll élaborées à Isômes, toujours en Haute-Marne. Ce dernier apporte son fonds de commerce à la SAS qui dispose à ce jour de 465.000 € de capital, car 450 personnes-associées ont apporté leur obole à ce projet. 
Mais pourquoi faire de la bière ici plutôt qu’ailleurs. La raison tient au fait que des houblonnières prospéraient par le passé parmi les plus cotées de France, d’où une terre propice à cette culture et, que les alentours regorgent de sources d’eau de qualité. L’investissement atteint les 2,8 millions d’€, dont 600.000 apportés par la région Grand Est et le Feader. Jérémy Poppé conservera quatre des sept bières qu’il propose et concoctera quelques nouveautés. Concernant le whisky, l’homme joue la discrétion. « Nous ferons une vraie gamme. »

 

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Charles Guené au milieu des vignes du Montsaugeonnais. © Traces Ecrites


Si Charles Guené possède une qualité, c’est d’être persévérant car un monde nouveau et très normé s’ouvre devant lui. Juriste de formation, il a de la méthode et bénéficie non loin en la personne de Julien Mielle, le maire de Rivières-les-Fosses, de quelqu’un qui fait un vin «  digne de ce nom » et peut le faire déguster.

Tradition et qualité semblent donc déjà au rendez-vous. « Depuis les Romains, planter la vigne, c’est civiliser le néant », écrit d’or Frédéric Chef (*).  L’élu, de par sa fonction, connaît les représentants de l’Etat, notamment le sous-préfet de Langres qui l’encourage, « au point d’instiller en moi une véritable conviction », souligne-t-il.

 

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Un dossier de plus en plus volumineux se constitue au milieu des années 80, une association voit le jour pour le « Renouveau du Vignoble En Montsaugeonnais », une souscription d’achat de parts est lancée avec succès, d’autres financements plus classiques sont trouvés, une gouvernance « ménageant les ego » mise en place entre structure commerciale et société d’exploitation, depuis fusionnées.

Mais il manque l’essentiel : le droit de replanter. « Je confesse qu’un sentiment de lassitude m’habitait. » C’est alors, pour comprendre le coup du destin, qu’il faut se rappeler le poète René Char : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront. »

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La devanture de la vaste boutique du Muid Montsaugeonais à Vaux-sous-Aubigny qui représente une partie non négligeable des ventes. © Traces Ecrites

 

Un cousin, Jacques Guené, évoque en 1988 un condisciple de lycée qui a lu dans le numéro un du magazine Rolling Stones – ça ne s’invente pas – que Michel Rocard, Premier ministre, a des ancêtres qui étaient vignerons à Vaux-sous-Aubigny. Il n’en faut pas plus au premier magistrat de cette commune pour lui écrire et lui préciser son projet viticole.
Et comme par miracle, le paysage s’éclaircit dans la foulée. Celui qui trouvait portes closes jusqu'à présent, les voit s’ouvrir en grand. Le 15 novembre 1988, Henri Nallet, ministre de l’Agriculture, délivre une autorisation de planter 10 hectares.

 

Même les Bourguignons viennent en acheter

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Le chaix d'élevage habillé en bois avec son plafond imitant les caves voûtées. © Traces Ecrites

 

Tout le landernau politique et administratif du cru qui se gaussait encore il y a peu sous cape d’une telle initiative, se félicite d’être intervenu pour s’arroger une part déterminante dans la décision ministérielle, raconte Charles Guené. Un peu plus rompu aux mœurs politiques, l'élu s’en amuse dans les Cahiers haut-marnais n°287 d’avril 2018. « Ce qui m’interpella longtemps sur les liens entre morale et influence politique. »

La mécanique s’enclenche ensuite très vite tout au long de l’année 1989 : signature de baux emphytéotiques, achat des plants - principalement pinot noir et chardonnay avec un peu de gamay et d’auxerrois - aux pépinières Guillaume, implantée de Charcennes (Haute-Saône), et embauche du couple de vignerons Dominique et Isabelle Bernard, toujours en poste. L’inauguration du Muid se déroule fin septembre 1991 et la vente du premier millésime démarre au printemps de l’année suivante.

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Martine Lombardet, présidente de l’Association pour le Renouveau du Vignoble Monsaugeonnais avec une passion communicative. © Traces Ecrites

 

Vingt ans plus tard, le vignoble qui s’étend sur 14 hectares est en train de passer en bio – il engage la 3ème année –, produit autant de rouges que de blancs, un rosé et des vins mousseux. Il génère un chiffre d'affaires de 600.000 € avec un effectif de cinq personnes. Il faut écouter Martine Lombardet, présidente de l’Association pour le Renouveau du Vignoble Monsaugeonnais (**) se réjouir d’avoir de nombreux Bourguignons comme clients, convaincre de plus en plus de grandes surfaces et d’exporter dans les pays d’Europe limitrophe et jusqu’au Japon.
« Notre rapport qualité-prix est déterminant », glisse-t-elle avec malice. Jugez-en ! Un pinot noir 2014 en IGP Haute-Marne, « Cuvée des Chevaliers » s’achète à 15 € et un chardonnay fût 2019 « Cuvée Exception » à 11,50 €.

(*) Géographie sentimentale, un voyage à travers la Haute-Marne (2005).
(**) L’Association pour le Renouveau du Vignoble Monsaugeonnais fédère près de 300 membres, détenteurs obligatoirement d’au moins une action de la société anonyme Le Muid Monsaugeonnais.

 

Lire aussi l'article de Traces Ecrites News sur un autre vignoble méconnu : Pourquoi Dijon veut redevenir une grande cité viticole

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