A l’heure où la reconversion du bassin autour de la centrale nucléaire débranchée patine, l’étude d’experts universitaires français et allemand vient redonner des perspectives. Elle plaide pour la création d’une filière de batteries automobiles et de leur recyclage, pour un investissement d’au moins 250 millions d’euros. Les arguments sont étayés quant au marché possible et aux capacités énergétiques requises.


Le jusqu’à présent nébuleux avenir du territoire autour de la centrale nucléaire alsacienne de Fessenheim se précise quelque peu. Non pas grâce à la société d’économie mixte Novarhéna, le véhicule juridique franco-allemand qui s’échoue au bord du Rhin en moins de deux ans en emportant plusieurs centaines de milliers d'€ au fond du fleuve (voir ci-dessous). Mais par le fait de l’étude de reconversion du réseau transfrontalier d’universités Eucor, dont les conclusions ont été dévoilées jeudi lors du congrès trinational sur l’énergie de l’association Trion Climate à Strasbourg.

Ce qui ne sont pour l’heure que des préconisations donnent toutefois des pistes explicites, fruit d’un travail sérieux d’experts en 129 pages, écrites… en anglais, langue qui a été considérée comme celle le mieux à même d’être comprise par tous ! Pour la promotion du bilinguisme franco-allemand à un endroit où elle était toute prédestinée, on repassera. Son contenu complet se retrouve sur le discret site au tout aussi anglophone intitulé Sustainability Upper Rhine

 

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Sa conclusion principale : le post-Fessenheim peut s’incarner dans les composants pour batteries automobiles et le recyclage de celles-ci. « Les conditions sont appropriées (suitable) pour implanter une industrie des batteries à Fessenheim », écrit l’étude. « Le territoire du Rhin supérieur concerné par le projet d’avenir réunit des usines automobiles qui vont se convertir à la motorisation électrique et auront besoin d’un exutoire pour leurs batteries usagées, de fortes compétences de recherche-développement à travers notamment les instituts allemands Fraunhofer, la puissance électrique et la densité du réseau nécessaires qui subsistent après la centrale, ainsi que les infrastructures de transport - dont le Rhin - pour les approvisionnements et expéditions », expose Barbara Koch, la coordinatrice de l’étude Eucor mandatée par l'Etat.

 

Acceptabilité sociale

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La zone EcoRhéna au bord du Rhin propose de la disponibilité foncière pour des projets industriels. © Port de Colmar-Neuf-Brisach


Ce chapitre de leur travail qu'ils ont intitulé « batteries vertes avec une économie circulaire », les rédacteurs du document le remplissent de quatre parties. Une unité de réemploi des batteries après un premier cycle de vie et leur reconditionnement mobiliserait un investissement de 120 millions d'€ alimenté par 300 mégawattsheure d’énergie annuelle. Une autre assurerait, après cette seconde vie, le démantèlement des batteries pour le recyclage vers d’autres usages, moyennant une enveloppe de 130 millions d'€ a minima.

Au stade amont, celui de la fabrication des batteries, le territoire élargi du post-Fessenheim pourrait accueillir une usine de composants, d’abord à l’état de pilotes avant le passage à la grande série. En faisant venir le lithium-ion de loin, sachant toutefois que le potentiel d’extraction puis de transformation à une échelle régionale ou européenne proche en Allemagne n’est pas négligeable, avec les projets de Vulcan Energy et de Viridian.

 

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Selon l’étude, l’horizon de temps pour les concrétisations se situe entre 5 et 10 ans. Ce travail ne chiffre pas un potentiel d’emplois. Il s’attache en revanche à étudier l’acceptabilité sociale de tels projets, pour conclure qu’elle peut être obtenue. En filigrane, on comprend qu’il s’agit là de points de différence avec le projet de « Technocentre » d’EDF de retraitement de déchets métalliques d’origine nucléaire, au potentiel estimé à 150 postes de travail, mais qui continue à faire agiter le chiffon rouge des Allemands arc-boutés dans leur positionnement anti-nucléaire, « quand bien même ils rouvrent en ce moment leurs dernières centrales », tacle Raphaël Schellenberger, député (LR) du Haut-Rhin.

Pour devenir effective, cette possible filière de batteries aura besoin d’énergie en masse. Or, selon l’étude, celle-ci est en partie disponible : « les capacités d’énergies renouvelables du Rhin supérieur excèdent le besoin d’énergie de ce territoire, pourtant fort supérieur aux moyennes (212 térawatts heure par an, soit 38,7 mégawatts heure par habitant, chiffre de 2016) sur le strict plan de la faisabilité technique. Elles approchent encore de ce seuil de consommation, une fois déduites les abandons inévitables pour raisons économiques ou sociétales », estime Barbara Koch.

 

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Hub d'hydrogène

Cette alimentation pourrait, en outre, être apportée par l’autre volet de propositions : la création d’un « hub Fessenheim multimodal de l’hydrogène » (vert, s’entend). L’implantation de plusieurs unités-pilotes est recommandée pour l’électrolyse - à hauteur d’environ 40 mégawatts en phase initiale et 200 à 300 MW au final - , le transport et la distribution de la nouvelle énergie, avec une localisation qui se situerait principalement dans les zones économiques d’Ottmarsheim et Chalampé, entre Mulhouse et Fessenheim (Haut-Rhin).

Le cercle vertueux tel qu’il est imaginé – rêvé ? - se composerait, en effet, des industriels producteurs et gros consommateurs d’énergie en substitution au gaz (la plateforme chimique Alsachimie-W Europe, le verrier Euroglas à Hombourg et, au bout du territoire du Rhin supérieur le géant chimique BASF à Ludwigshafen en Allemagne), d’une électrolyse assurée  par les centrales hydroélectriques du Rhin et du Grand canal d’Alsace, voire en partie par la biomasse à partir de la technologie d’Haffner Energy qui cherche à se mettre en œuvre à Strasbourg (projet R-Hynoca) et en Bourgogne-Franche-Comté. Elle serait transportée par un pipeline dédié, stockée sur place et distribuée par un « réseau intelligent » (smart grid). Le volume d’hydrogène requis serait de 100 000 tonnes par an.

Les experts et universitaires ont effectué leur travail. Aux pouvoirs publics à présent d’en faire ce qui leur semblera le bon usage.  

 

La Sem franco-allemande tombe à l’eau

L’étude Eucor arrive dans un calendrier marqué par la dissolution, dans les prochains jours, de la structure qui était censée porter la reconversion du territoire autour de la débranchée centrale nucléaire : Novarhéna, société d’économie mixte (Sem) de droit français, accueillant des actionnaires allemands (collectivités et CCI) à son capital d’1 million d'€. Cette somme initiale sera remboursée à hauteur de 50 %. Ainsi se chiffre, selon les détracteurs, le « gâchis » d’un « flop », puisque la Sem constituée en avril 2021 s’arrête au bout d’un peu plus d’un an, sans avoir enclenché le moindre projet. Elle devait démarrer par l’aménagement de la zone EcoRhéna implantée au bord du Rhin dans l’emprise du port fluvial de Colmar-Neuf-Brisach. Ce rôle sera en fait assuré en direct par le syndicat mixte du port, la taille progressivement réduite du projet, de 200 hectares à finalement 55, ne justifiant pas de la confier à l’économie mixte, expliquent les collectivités.

La partie allemande réagit avec une certaine modération, estimant en substance que l’échec fait partie du risque dans des expérimentations comme le post-Fessenheim. « Sébastien Lecornu (alors secrétaire d’État à la Transition écologique) avait été impressionné par le succès de la reconversion en zone d’activités de la base aérienne de Bremgarten sur la rive allemande, fondée sur l’association du public et du privé. Mais reproduire le modèle pour Fessenheim, comme on l'espérait, mais ce n'était pas garanti », relate-t-on au Land de Bade-Wurtemberg.

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