La région vient de confirmer la transformation industrielle des ressources naturelles comme l’un de ses deux pôles d’avenir avec l’industrie du futur, en adoptant une feuille de route jusqu’à 2026.
Est-ce l’industrie du futur du Grand Est ? La bioéconomie, en tout cas, a été érigée par le conseil régional au rang de filière prioritaire d’avenir, au même titre que l’application du 4.0 à ses industries. Les Assises de la bioéconomie qui se sont tenues cet automne à Châlons-en-Champagne (Marne) sous son égide ont doté ce secteur d’une feuille de route 2023-2026 qui confirme le soutien de la collectivité à hauteur de 35 millions d'€ par an, le niveau atteint lors du premier plan 2019-2022.
Cette « valeur » est en rapport avec le poids que prend la bioéconomie dans l’écosystème régional, à comprendre comme la valorisation en projets industriels de la transformation de produits issus des importantes ressources naturelles de la région, dont un peu plus de la moitié du territoire est couvert par les surfaces agricoles (colza, blé, maïs, betteraves...). Ses effectifs ont augmenté d’un peu plus de 5 % depuis 2016 pour atteindre un total de 113.500 salariés, représentent 8 % de l’ensemble des emplois du Grand Est.
« La bioéconomie est d’ores et déjà une réalité, organisée autour de quelques pôles forts d’envergure nationale et européenne », souligne Philippe Mangin, vice-président de la région en charge de l’agriculture et de la bioéconomie.
L’élu mentionne en premier lieu la plateforme de Bazoncourt (Marne) qui développe un écosystème de bioraffineries autour de la sucrerie Cristal Union. Le complexe fait travailler aujourd’hui près de 1.200 personnes dont 200 en recherche-développement. Global Bioénergies y a annoncé début 2022 la livraison de premiers lots d’une molécule clé de l’industrie cosmétique obtenue à partir de résidus sucriers et céréaliers, déchets agricoles et forestiers, tandis que la jeune société Européenne de biomasse a mis en service, fin 2020, une unité de production de granules de bois à haut pouvoir calorifique ou « black pellets ».
Carling-Saint-Avold, en Moselle, espère gagner un statut comparable pour orchestrer la reconversion du site pétrochimique, avec les implantations de Metex et d’Afyren Neoxy qui a démarré il y a quelques semaines son usine à 80 millions d’€. En outre, le Norvégien Circa démarrera en 2024 la production d’un solvant à partir de résidus de bois sur le site de la centrale thermique au charbon.
L’écosystème constitué autour de la papeterie Norske Skog de Golbey (Vosges) est également prometteur. Il comprend l’usine de fibres isolantes en bois Pavatex dans laquelle sa maison-mère alsacienne Soprema (étanchéité) a injecté 110 millions d’€ en vue de la diversifier dans les panneaux souples et de doubler sa production de panneaux rigides d’ici à fin 2023.

Ces industriels ou nouveaux industriels ne fonctionnent pas en vase clos, selon Philippe Mangin. « Notre territoire régional peut se prévaloir d’un atout fort qui n’est pas toujours généralisé, loin de là : les liens intenses entre l’industrie et la recherche académique régionale qui est très développée sur le sujet, notamment à Reims, autour du pôle IAR d’envergure internationale ». Cet ensemble d’instituts et laboratoires champardennais est actif dans la bioéconomie en général.
« Par ailleurs, le bassin de Troyes est une référence européenne du chanvre. En Lorraine, nous pouvons nous prévaloir d’une recherche et d’applications de haut niveau dans les spécialités des fibres, de même Alsace pour les bio-intrants de protection de l’agriculture », ajoute Philippe Mangin.
Circuits longs à prohiber

Dans ce contexte favorable, le nouveau plan pluriannuel fixe cinq axes : bioraffineries, agriculture durable, alimentation durable, matériaux biosourcés notamment pour la construction et le textile (chanvre, lin, ortie…) et applications à la biotech. Une « stratégie économie du vivant 2030 » viendra s’inscrire dans ces orientations et les affiner, en association avec la chambre régionale d’agriculture.
Deux écueils principaux se présentent : le risque de détournement de la fonction première de la ressource naturelle de nourrir la population (on se souvient des polémiques sur les oléagineux et leur captation en biocarburants) et l’acceptabilité sociale des projets qui consomment de l’énergie et du terrain.
Ces points sont soulignés par l’avis du Ceser (Conseil économique, social et environnemental régional) rendu en octobre sur le sujet, par autosaisine et en réponse à une demande du président de région Jean Rottner. « Ils sont à prendre en compte avant tout démarrage de projet. Mais on constate qu’en territorialisant les questions, c’est-à-dire en les appréhendant par la concertation à l'échelle locale, on trouve des solutions », estime Sébastien Loriette, rapporteur de l’avis.
La région s’en dit également consciente, par la voix de Philippe Mangin. « On constate effectivement une diminution de l’acceptabilité sociale de projets, elle est notable en particulier pour les méthaniseurs. C’est un travail que doivent entreprendre les porteurs et nous en tiendrons compte à l’avenir : cette acceptabilité en déclenchera une autre, celle de nos aides ». Le vice-président acquiesce aussi aux réserves à manifester sur l’ampleur des circuits de transports ; autrement dit le rayon de captation des matières à entrer pour leur transformation. « Si l’on va la chercher à l’autre bout de la France ou de l’Europe, on gomme tout l’effet positif d’un projet en termes de bilan carbone. Sauf exception, un rayon de 20, 50 ou jusqu’à 100 kilomètres paraît pertinent.»
La région Grand Est s’était fixé, dans son « Business Act » de 2019, l’objectif de voir émerger 50 projets industriels dans la bioéconomie jusqu’en 2025 et de créer un « effet levier » de 500 millions d’€ d’investissements à partir de ses aides à la filière. Elle annonce d’ores et déjà un dépassement de ces seuils, avec « 61 projets engagés d’un total de 650 millions d’€, soutenus pour près de 10 millions d’€ » par le conseil régional. Ils consistent en des implantations nouvelles, relocalisations ou réindustrialisations d’au moins 500.000 € unitaires.