Pour Ludovic Gilet, l’un de ses spécialistes établi dans le Nord-Franche-Comté (*) l’intelligence économique se pratique de façon beaucoup trop systématiquement défensive, dans un but de protection contre tout type de risques. Elle doit être au contraire un vecteur de développement, tel que l’ont compris bon nombre de pays étrangers qui prennent ainsi une longueur d’avance sur le nôtre concernant ce sujet stratégique. Nous lui donnons la parole.
Pendant que d’autres pays bâtissent leur puissance économique comme on planifie une stratégie d’influence, la France s’accroche encore à l’idée que la compétition mondiale serait un jeu loyal, fondé sur la transparence et la bonne foi, dans l’esprit de ce « doux commerce » cher à Montaigne. Cependant, ce temps est révolu : l’économie n’est plus un terrain d’échange, mais bien davantage un champ de confrontation. Et comme dans tout rapport de force, ceux qui refusent d’en admettre la réalité finissent toujours par la subir.
Nous avons en France une vision défensive de l’intelligence économique…quand elle existe. Pour beaucoup d’entreprises, la notion se limite à la protection de données ou à la cybersécurité, et encore, si le mal n’est déjà pas fait. Ce réflexe est sain, mais insuffisant : l’intelligence économique ne consiste pas à ériger des murs, elle sert d’abord à comprendre le terrain, anticiper les menaces et créer les opportunités que d’autres ne verront pas. Aujourd’hui encore, un trop grand nombre de de dirigeants s’en détournent, préférant courir après les buzzwords du moment (IA, data, souveraineté numérique…) sans comprendre que ces sujets n’ont de sens qu’inscrits dans une stratégie globale de puissance et d’autonomie.
S’entraîner comme des sportifs
Le monde ne récompense plus ceux qui attendent, mais ceux qui comprennent avant d’agir, et qui savent agir avant les autres. Des puissances comme les Etats-Unis et la Chine ont fait de l’intelligence économique une priorité à laquelle ils consacrent des moyens technologiques et budgétaires colossaux, mais d’autres suivent la cadence, ainsi nos voisins d’Allemagne et de Suisse.
L’intelligence économique n’est pas une théorie réservée à quelques initiés, c’est une posture offensive, une manière de penser et de décider dans un monde où la naïveté se paie cash. C’est aussi le levier pour choisir sa cible de croissance externe, mesurer la fiabilité de son réseau de fournisseurs, s’informer sur l’état de ses concurrents au-delà des généralités. C’est aussi un formidable instrument d’anticipation…
Un tel positionnement suppose un changement profond de culture chez nos dirigeants. Diriger une entreprise aujourd’hui, c’est mener un combat permanent : contre l’inertie, la routine, la désinformation, et parfois contre sa propre vision. Il y a nécessité de sortir de la logique du « chef omniscient » et de s’entourer de personnes capables de challenger, questionner, contrarier même, pour mieux faire émerger la lucidité stratégique. Les dirigeants, les entreprises et les organisations doivent apprendre à s’entraîner intellectuellement, comme un sportif de haut niveau entretient son corps : aiguiser leur esprit, cultiver leur curiosité et exercer leur discernement.

C’est là qu’intervient le rôle de structures comme la nôtre, de par les prestations qu’elles proposent : accompagner les entreprises et leurs responsables dans une posture de sparring partners stratégiques et opérationnels, prendre le temps dont ils ne disposent plus pour observer, relier, penser, maintenir une veille exigeante, donner du sens et renforcer ainsi leur lucidité. Il faut aider les entrepreneurs à détecter les signaux faibles, structurer une stratégie claire et mettre en œuvre les changements nécessaires. Notre mission n’est pas de leur dire quoi faire, eux seuls ont les réponses à leurs besoins, mais de leur permettre de voir plus loin, plus juste et plus tôt.
Tel est également l’esprit de la formation en souveraineté économique et industrielle que nous lançons dans le Nord Franche-Comté avec l’ESTA, l’UTBM (Université de technologie de Belfort-Montbéliard) et l’Université Marie et Louis Pasteur. Elle vise à diffuser cette culture de vigilance et d’anticipation à l’ensemble du tissu économique : dirigeants, cadres, étudiants.
Une économie souveraine ne se décrète pas. Elle s’entretient comme un muscle : par l’effort, la connaissance et la stratégie. Elle ne se construit que dans la durée, par la lucidité, la cohérence et la capacité d’anticipation. Chacun doit avoir conscience que dans le monde qui vient, ceux qui resteront dans une posture de rente ou d’acquis mourront debout. Les autres avanceront.
(*) Ludovic Gilet est le fondateur en 2022 de Cardigan Conseil, cabinet de stratégie et d’intelligence économique installé à Montbéliard. Diplômé de l’École de Guerre Économique et d’une école de commerce à Rennes, il met son expertise au service des dirigeants confrontés aux enjeux de transformation, d’incertitude et de souveraineté. Après plus de dix ans d’expérience dans le conseil et le pilotage d’organisations industrielles et publiques, il développe aujourd’hui une approche centrée sur la lucidité stratégique et la résilience organisationnelle. Il est également à l’origine de la formation à la souveraineté économique et industrielle proposée depuis cet automne par l’ESTA (Ecole supérieur des technologies et des affaires) de Belfort.


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L’intelligence économique c’est l’avenir pour la croissance et la prospérité de notre pays.