LITTÉRATURE/EST. Le troisième roman et quatrième livre de l’avocat dijonnais Jérôme Deliry raconte de très musclées parties de maraude au sens premier du terme.
Nous sommes en 1946 et Xavier Emmanuelli n’a pas encore inventé le Samu Social en faisant changer le sens du mot maraude en : équipes mobiles qui vont à la rencontre des sans-abri.
La maraude, ici, c’est la vraie : le chapardage de fruits sur les arbres, de légumes dans les potagers, de volailles dans les fermes par …
…une bande de joyeux garnements qui n’ont pas froid au yeux et vont ponctuer de leurs espiègleries les 391 pages du tout dernier et troisième roman de Jérôme Deliry, publié chez Calmann Levy, collection France de toujours et d’aujourd’hui.
Mais où trouve t-il le temps cet avocat dijonnais de 47 ans, spécialisé en droit des affaires et plus que débordé, d’écrire un livre presque tous les deux ans, tout en co-gérant avec son épouse une famille plus que nombreuse.
On pourrait presque comprendre que le premier roman : Une rivière trop tranquille, largement inspiré des faits et gestes d’un grand-père combattant de l’ombre, ne l’ait pas fait plonger trop en profondeur dans les affres de la création.
On peut à la limite accepter avec le second, l’Héritage de Terrefondrée, que les actes de résistances connus et largement commentés par les historiens l’aient guidé et grandement épaulé.
Mais là avec ce bouquin, notre auteur a travaillé sans filet. De l’imagination pure pour narrer le retour dissimulé d’un homme, libéré du service du travail obligatoire (STO) - réquisition et transfert forcé vers l’Allemagne durant l’occupation en France de centaines de milliers d’hommes pour aider à l’effort de guerre - et qui ne veut pas rejoindre son épouse et la sœur de cette dernière dans leur ferme, située à l’écart d’un village de Bourgogne du sud.
On sait pourquoi, page 77, à lire que durant leur vie commune : « amoureux, il oubliait sa méchanceté pour n’en garder que les mots bien sentis, les piques plantées avec une précision chirurgicale, un travail d’orfèvre au service de la vacherie ». Vous l’aurez compris, la dame, certes encore appétissante, est un rien acariâtre et pour le moins raide, rude et rogue.
« Une époque qui me fascine »
Nous ne raconterons pas tous les personnages campés dans cette période qui suit l’immédiat après-guerre : Guste, le frère jumeau, herboriste de génie et adepte des préparations médicinales ; Ernest, le boulanger bonhomme du village voisin ; la bande à Philibert, composée de Maurice, François, Félix, Sophie et du petit Jeannot. Tout comme vous n’en saurez pas plus du « boche » qui n'aime guère les corbeaux.
Mais le drame se dessine au fil des pages, il point et jaillit subitement pour condamner à mort un innocent. Sauf que…
« …, j’ai voulu faire un roman avec une intrigue forte, mais sans tristesse et morale assénée. L’un des personnages est une caricature intégrale du notable de province que met si bien en scène Claude Chabrol dans ses films. L’opposant au maire est un con parfait que l’on trouve partout, même s’il est plus bête que méchant », explique Jérôme Deliry.
Reste une question toutefois. Pourquoi toujours écrire des histoires avec pour toile de fond la seconde guerre mondiale ? Pour répondre, l'écrivain en lance une autre : « mais qu’aurais-je fait ? Aurais-je été un salaud de milicien ou un héros de résistant ? Je n’arrête pas d’y penser sans d’ailleurs pouvoir me le dire, ce serait si simple. »
« Les fruitiers n’étaient plus clos. Ils se tenaient là, ouverts sur les champs, comme une invitation à la maraude. Il passa au pied du poirier. Adrien et lui les avaient cueillis ensemble. Ils s’y étaient pris trop tard pour les prunes. Les Bernardon les avaient laissées pourrir sur l’arbre. On se rattraperait l’année prochaine avec la quetsche, la mirabelle et la reine-claude. »
Il rend vraiment jaloux avec son talent Deliry, surtout quand il écrit.