Créée pour empêcher la fuite de la matière grise d’équipements d’énergie du Nord-Franche-Comté réduite à portion congrue par les restructurations successives de General Electric à Belfort, l’association Apsiis récolte les premiers fruits de sa semence il y a un an, en terme d’implantations et de développements de projets devant déboucher sur de nouvelles sociétés.


Apsiis a soufflé sa première bougie, et le bébé a grandi sans embûche majeure, de sorte à faire ses premiers pas désormais. Constituée en février 2021 à Belfort, l’Association de préfiguration de sociétés d’ingénierie et d’intégration systèmes - son long mais représentatif nom officiel – commence à trouver sa voie sur le chemin qu’elle s’est fixé : les compétences d’ingénierie au service des équipements de production d’énergie.
Elles étaient jusqu’alors logées dans les unités locales de General Electric (GE). Mais le conglomérat américain les fait mourir à petit feu au fur et à mesure de sa méthodique opération de dépeçage du site belfortain, qui doit connaître une nouvelle étape en 2024 pour les turbines à gaz.



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Le « non » au scénario d’une fuite consécutive des compétences, c’est ce qu’ont voulu prononcer les sept fondateurs d’Apsiis, ingénieurs et pour certains par ailleurs délégués syndicaux, experts énergie et consultants en innovation.
Ils ont été rejoints rapidement par des entreprises (EDF, Cap Gemini Engineering, le groupe familial de chauffage-climatisation EIMI…), des institutions (Agence économique régionale, l’UTBM Université de technologie Belfort-Montbéliard, l’Université de Franche-Comté, l’Ecole supérieure des technologies et des affaires Esta, le pôle de compétitivité Nuclear Valley, le Club hydrogène Bourgogne-Franche-Comté né du pôle Véhicule du futur) et des experts à titre individuel.
L’association s’est dotée aussi à sa présidence d’une « tête » rendue familière par les médiatisés combats contre les délocalisations de GE : Philippe Petitcolin, l’ingénieur porte-parole de l’intersyndicale du site.


Identifier les quelques spécialités qui manquent en France pour s’y engouffrer

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L'association se positionne notamment sur les potentiels de l'hydrogène stationnaire. © Shutterstock


Tout ce monde s'est mis au travail, au sein de six groupes techniques qui avancent, chacun à leur rythme, mais tous dans une approche très opérationnelle et concrète sans grand-messe, et en suivant ce cap : identifier la ou les quelques spécialités précises qui manquent en France, pour s’y engouffrer.

C’est par exemple le cas dans le thème « assistance à maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre pour les installations hydrogène stationnaires », comme l’expose le consultant-entrepreneur Jean Maillard, l’un des sept fondateurs d’Apsiis. « Le conseil à l’export pour les acteurs privés sur ce créneau manque d’offre et elle était absente du Nord Franche-Comté, précise le désormais responsable des opérations d’Apsiis. D’où l’objectif de l’amener sur place, ce qui est déjà devenu une réalité, avec l’implantation d’Oteenga ».

Ce bureau d’études lyonnais a pris ses quartiers à Belfort en fin d’année dernière en y créant un établissement secondaire pour l’hydrogène. Deux ingénieurs fluides et thermicien démarrent l’activité qui devrait passer rapidement à quatre ou cinq grâce à trois premiers marchés, puis à 10-15 en appui de projets industriels plus ou moins avancés.


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Autre pilier, la conception d’un jumeau numérique hydrogène a abouti à la création d’un prototype à l’automne dernier. Le projet est porté par la société belfortaine EuroCFD et Cap Gemini Engineering. Il apporte un outil de modélisation accessible aux bureaux d’études et aux PME de la filière, au sein d’une palette limitée d’offres chères et réservées de ce fait aux grandes entreprises. « L’étape suivante, décisive, c’est la création d’une société de commercialisation. Nous y travaillons », poursuit Jean Maillard.

Le troisième sujet était circonscrit aux cercles d’initiés avant que le pas encore candidat Macron l’installe dans le débat public, en début d'année : SMR, pour Small Modular Reactors, les « petits » réacteurs nucléaires (jusqu’à 300 mégawatts quand même) que le président désormais réélu entend déployer. « On était en avance, on veut le rester. Avec les compétences locales, notre territoire doit pouvoir se positionner sur ce qui se passe après le réacteur et relève du mode conventionnel : la transformation de la chaleur en électricité. Cela implique un maximum d’intégration le plus en amont », explicite Jean Maillard. 

La venue d’Emmanuel Macron à Belfort en février sur ce sujet a été mise à profit pour avancer les pions nord-franc-comtois dans la galaxie des plans de relance et autres appels à manifestation d’intérêt. Les atouts, selon Apsiis, concernent en particulier la conception des îlots de puissance et de leurs auxiliaires mécaniques et électriques, de façon à atteindre les seuils de compétitivité que ses experts ont mesurés à 36 à 60 mois de délai entre la commande et la mise sur réseau pour un coût inférieur à 4.000 € par kilowatt.


La prétention du Nord-Franche-Comté à devenir le leader mondial du SMR

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L'initiative Apsiis suscite l'intérêt à un niveau international, en témoigne cette interview
de son président Philippe Petitcolin par une télévision japonaise. © DR


Philippe Petitcolin affirme la prétention du Nord-Franche-Comté à devenir le leader mondial du SMR, avec des arguments étayés, comme d’habitude chez lui : « Les SMR évoluent dans les mêmes gammes de puissance que les turbines à gaz, notre spécialité. Ils se positionnent sur les mêmes clients soucieux de réussir leur transition écologique. Ils reposent surtout sur une même conception, de type modulaire. Et Belfort a développé des offres complètement en pointe, inspirées du modulaire dans l’automobile ». Dans ce domaine, le dialogue s’instaure avec la prochaine nouvelle société émanation d’EDF qui reprend la division Steam Power (équipement des centrales nucléaires) de GE.

La conformité et la sécurisation des installations hydrogène, la conversion de puissance notamment pour les piles à combustible et les électrolyseurs, ainsi que le « lean » transposé et adapté au nucléaire mobilisent aussi l’association, toujours à partir des compétences encore présentes sur place, liées par exemple à Converteam. Les sujets sont donc nombreux, mais chaque fois ciblés, et prometteurs.

Et Apsiis a conscience des limites de son propre développement qui la situe dans un rôle de stimulateur ou d’incubateur. Jean Maillard le rappelle : le bébé n’a pas été conçu dans le but d’en faire un octogénaire. « Nos projets sont là pour être repris, transmis aussi rapidement que possible à d’autres acteurs pour qu’ils le transforment en réalités industrielles. Apsiis, en tant que telle, a vocation à s’effacer, un jour ou l’autre ».

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