La jeune société d’ingénierie à Belfort a installé en février son premier démonstrateur de valorisation de la chaleur fatale chez le fabricant d'articles de cuisine Cristel, dans le Pays de Montbéliard. Une visite hier 28 juin voulait sensibiliser les PME industrielles qui constituent sa cible. La production en série est envisagée à l'horizon 2025.
« Lorsque nous avons implanté une ligne de dépôt d’un revêtement anti-adhérent, en 2016, les solutions de récupération de chaleur fatale des process industriels disponibles sur le marché étaient surdimensionnées par rapport à nos besoins. Aussi, quand nous avons appris qu’une start-up du Territoire de Belfort travaillait sur le sujet, nous nous sommes rapprochés d’elle », se souvient Emmanuel Brugger, directeur général de Cristel, fabricant de casseroles et autres contenants de cuisson en inox à Fesches-le-Châtel, dans le Pays de Montbéliard (Doubs).
C’est alors que commença la collaboration avec Ananké, société d’ingénierie spécialisée dans la valorisation de la chaleur fatale dans l’industrie, que Brice Bryon, son président, venait de créer avec trois autres associés. Cinq ans après, le premier démonstrateur en situation réelle de son module de cogénération a pris place chez Cristel.
La technologie retenue présente une double caractéristique : elle est mécanique et génère de l’air comprimé. Les ingénieurs ont réinterprété le moteur Ericsson datant du 19e siècle, un moteur à apport de chaleur externe (Mace) qui fonctionne grâce à une source de chaleur par l’intermédiaire d’un échangeur. « Il est plus intéressant de produire directement de l’air comprimé que de l’électricité qui viendra ensuite alimenter un compresseur, explique Thibaut Cartigny, directeur général, car les milieux industriels ont d’importants besoins en air comprimé pour leurs process. »
L’industrialisation en petites séries envisagée fin 2024-début 2025

Le système, baptisé Keos, cible les petits entreprises, celles qui rejettent moins d’un mégawatt de chaleur ou moins de 10 GWh par an. « Et elles sont les plus nombreuses, 37.000 en France », précise Brice Bryon. L’installation de Cristel valorise une centaine des 150 des kilowatt-heures que rejette le process de la ligne de revêtement antiadhésif à une température de l’ordre de 500 degrés. « Les opérations de sablage sont directement alimentées par l’air comprimé ainsi produit, ce qui permet d’économiser l’énergie des compresseurs », commente Emmanuel Brugger. L’investissement est de l’ordre de 100.000 €.
Ananké n’a pas abouti seule à ce résultat. En plus des accompagnements financiers (565.000 € du plan France relance, complétés par l’Ademe pour 300.000 €, la Région Bourgogne-Franche-Comté et l’Union Européenne), la jeune entreprise a reçu des soutiens techniques : le laboratoire Femto-ST à Belfort, le Cetim, le Pôle Véhicule du Futur, le Cnam, le département Sciences & Énergies STGI de l’Université de Franche-Comté et l’UTBM.
Ce premier démonstrateur industriel est le cinquième des prototypes réalisés par Ananké. Un sixième, plus performant, est en développement pour prendre place chez un autre industriel local à l’horizon fin 2023 où il sera testé pendant 6 mois avant d'envisager l’industrialisation. « Une production en petite série est prévue fin 2024-début 2025 », précise Pierre Ranc, directeur technique et co-fondateur.
La fabrication sera en grande partie sous-traitée, de préférence localement, le nord Franche-Comté recélant des petites entreprises d’usinage et de mécanique capables de fabriquer chacune des pièces du moteur. Pour franchir cette étape, l’entreprise de 17 salariés devra conforter ses fonds propres.
Afin de sensibiliser les entreprises à la valorisation de la chaleur fatale, Ananké a également développé un outil de diagnostic capable de mesurer en temps réel les fumées rejetées. « Il calcule les pertes de chaleur et évalue les gains que pourrait engranger l’industriel sur sa consommation de gaz – l’énergie la plus utilisée dans l’industrie – », précise le directeur technique.

Fabricant d’articles culinaires en inox haut de gamme, l’entreprise familiale Cristel est une "entreprise à mission", se félicite Damien Dodane, directeur général délégué. Ce qui signifie que, dans ses statuts, sont mentionnés des objectifs sociaux et environnementaux. Cet engagement découle d’une démarche RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) de longue date, certifiée par le label e-Engagé RSE de l’Afnor. L’industriel utilise de l’électricité issue à 100% de sources renouvelables, il valorise plus de 97% de ses déchets, il recycle ses eaux de process dans un fonctionnement de circuit fermé générant ainsi une économie de 70% du volume d’eau initial, et désormaisil récupère la chaleur fatale des fours pour produire de l’énergie. Il a également installé un service de rechapage des articles antiadhérents et ses produits sont garantis... à vie.
Cristel a réalisé en 2021 un chiffre d'affaires d'un peu plus de 20 millions d'€ (15,8 millions en 2020) et emploie 105 salariés.
Photos fournies par les entreprises.