Stéphane Piatzszek, le scénariste, et Florent Bossard, le dessinateur, signent chez Bamboo Édition une trilogie baptisée « KiloMètre Zéro, une épopée ferroviaire » avec pour toile de fond la ville de Mulhouse du milieu du XIXe siècle. La cité alsacienne vit alors principalement du textile, filature et tissage. Les deux auteurs mettent en scène l’un des entrepreneurs, visionnaire et très engagé pour sa région : Nicolas Koechlin. Cet industriel perdit sa fortune en réalisant la troisième ligne ferroviaire française, la Mulhouse-Thann, puis la Strasbourg-Bâle, première ligne internationale. Ils racontent aussi la vie difficile du monde ouvrier, son exploitation, son engagement, ses valeurs ainsi que la condition des femmes. Comme celles de cette bourgeoisie, souvent indifférente aux conditions sociales et sanitaires qu’elle impose aux « petites gens ». Mais parfois aussi consciente d’une amélioration indispensable à conduire, que l’on découvre au gré des personnages qui ponctuent le récit. Dans les librairies depuis le 4 mars.
ARTICLE DÉJÀ PUBLIÉ LE 11 MARS 2020
Le groupe bourguignon Bamboo (*), fondé et dirigé par Olivier Sulpice, ne finit pas d'étonner avec comme dernier jet créatif, dans sa collection Grand Angle, une BD en trois volets qui raconte la ville de Mulhouse des années 1830, période dite de la Monarchie de Juillet.
Le fil conducteur est la création de la ligne ferroviaire, Mulhouse-Thann, soit 20,3 km, véritable défi technologique et humain pour l’époque. Le personnage central s’appelle Nicolas Koechlin, industriel du textile qui a fait fortune notamment grâce à l’Indienne.
L’indienne, ce tissu peint ou imprimé et fabriqué en Europe entre le XVIIe siècle et le XIXe siècle, elle se retrouve racontée et montrée au musée mulhousien de l’impression sur étoffes. La cité du Haut-Rhin, française depuis la fin du XVIIIe siècle, en est l’une des capitales européennes. De là, découle la fortune de nombreuses familles bourgeoises du cru, comme les Dollfus et les Mieg, qui par mariage, donneront l’un des fleurons industriels locaux, la Dollfus-Mieg et Compagnie (DMC), où d’ailleurs certains Koechlin travaillent.
André Koechlin, par deux fois maire de Mulhouse, en prend la direction en 1818. Ingénieur dans la André Koechlin & Cie, Émile Koechlin, qui fut également maire de Mulhouse, participe aussi à l'entreprise. Par la suite, Dollfus, Mieg et Koechlin seront par le jeu d’alliance matrimoniale très liés.
Sacré défi technologique !
© Stéphane Piatzszek/Florent Bossard - Bamboo Edition/Collection Grand Angle
Le Nicolas Koechlin (1781-1852) que racontent Stéphane Piatzszek et Florent Bossard, a alors la cinquantaine avancée. L’atavisme a joué pleinement car dès l’âge de 21 ans, il dirige sa propre manufacture de textile présente sur trois sites, Masevaux, Lörrach (pays de Bade) et Mulhouse. L’homme est devenu au fil du temps l’une des plus importantes fortunes d’Alsace, très investi dans la vie locale, notamment au sein de la Société Industrielle de Mulhouse (SIM), société savante qui a pour but de promouvoir l’industrie et les valeurs bourgeoises (**). S’y retrouvent les industriels locaux et leurs fils, dont la plupart appartiennent à la loge maçonnique mulhousienne La Parfaite Harmonie.

Si vous visitez Mulhouse, ville industrielle longtemps baptisée la « Manchester française », il faut fréquenter ses musées, dont la Cité du train. Il est aujourd’hui reconnu comme le plus grand musée ferroviaire d’Europe pour deux raisons principales. Sa taille déjà : 60.000 m² d’emprise dont 35.000 m² visitables (2 espaces couverts et un espace extérieur).
Sa collection, ensuite, qui est la plus complète au monde sur l’histoire du chemin de fer (de ses origines en France en 1827 au TGV nouvelle génération). On y déambule en admirant pas moins de 100 matériels roulants, sachant que la collection complète comprend près de 300 matériels et plusieurs dizaines de milliers d’objets liés au chemin de fer. La qualité du site explique les plus de 100.000 visiteurs annuels. Ayez un train d’avance !
Nicolas Koechlin fait bien sûr partie de cette loge maçonnique. Député du Haut-Rhin de 1830 à 1841, il défend le développement, notamment du sud de Mulhouse, par la création du « Nouveau Quartier », près du parc et place de la Bourse (anciennement bourse du coton). Réalisé à partir de 1827, l’endroit est uniquement destiné aux industriels ayant réussi et souhaitant ne plus être mélangé au reste la population. Sa grande œuvre toutefois sera une ligne ferroviaire, la Mulhouse-Thann, véritable épopée et défi technologique que nous narrent en BD les deux auteurs.
Nous ne dévoilerons pas plus avant ce qu’explique en trois albums, plus que fidèles à l’histoire, sauf à préciser quelques points clés. La ligne ferroviaire avait pout but à l’origine de relier deux bassins industriels. L’idée en revient à Nicolas Cadiat, membre de la SIM, ingénieur civil et directeur de la construction de machines à vapeur chez André Koechlin & Cie, cousin de Nicolas.
Plus qu’intéressé, ce même Nicolas reprend à son compte le projet sans s’occuper des débats de la SIM qui ne prévoyait pas de traction à vapeur et décide de le financer seul. En 1837 naît la Compagnie du chemin de fer de Mulhouse à Thann qui bénéficie d’une concession de 99 ans.

Le chantier démarre le 1er avril 1838 et la réception de la ligne est faite le 16 août 1839. L’ensemble représente un investissement de 2.851.742 francs de l’époque, soit plus de 850.000 €. Quatre locomotives ont sillonné la ligne, dont la célèbre Napoléon qui l'inaugura.
Trois d’entre elles, inspirées des Sharp-Roberts anglaises, qui servait de modèles, ont été reproduites dans les ateliers André Koechlin & Cie, future Société Alsacienne de Constructions Mécaniques (SACM), l’ancêtre d’Alstom. L’exploitation ne concerne au départ que le transport de voyageurs, le fret venant à compter de 1840.
Cette réalisation n’était qu’un galop d’essai pour Nicolas Koechlin qui se lança parallèlement dans une aventure bien plus vaste et hasardeuse financièrement, la construction de la première ligne ferroviaire internationale, la Strasbourg-Bâle. Longue de 148 km, elle fut inaugurée en 1841 et pris à bail l’exploitation du chemin de fer Mulhouse-Thann. A découvrir dans les deux prochains albums.
(*) Le groupe Bamboo Edition (Relire notre dernier article ici) fédère 400 auteurs, emploie 50 salariés et atteint les 25 millions d’€ de chiffre d’affaires. Il édite les collections Grand Angle, Bamboo, Doki-Doki (mangas), Fluide Glacial, et Drakoo (science fiction).
(**) La SIM, véritable laboratoire d’idées – think tank dirait-on aujourd’hui – existe toujours. Elle réunit environ 200 membres et poursuit l’œuvre engagée par ses fondateurs de promotion de l’économie du territoire et de l’esprit d’entreprendre.

Qui est Stéphane Piatzszek ?
Né à Montbéliard (Doubs) où il ne vécut que peu de temps, le scénariste de « KiloMètre Zéro, une épopée ferroviaire » est un homme de plume, un tantinet globe-trotter. Agé de 48 ans, journaliste, auteur de pièces de théâtre, il préfère raconter aujourd’hui des histoires en BD, plutôt qu’en roman. Mulhousien depuis quelques années, il a plongé dans cette épopée car « c’est une vraie aventure humaine, celle d’un bâtisseur, autant que d’un développeur, tenace, mais qui m’a permis aussi d’évoquer la vie des gens de cette époque de l’expansion industrielle. » Stéphane Piatzszek s’est plongé dans les archives pour avoir le propos juste, au plus près des mœurs de ce morceau d’histoire régionale. (crédit photo : JJ Procureur)
Qui est Florent Bossard ?
Le jeune dessinateur qu’il est (33 ans) vit aujourd’hui en Bourgogne, dans l’Auxois. Doué pour le trait, il comprend que son imagination a besoin de technique et se forme en conséquence à Nantes. Déjà coloriste, notamment pour « l’Envolée Sauvage », ouvrage publié dans la collection Grand Angle de Bamboo Edition, il collabore à de nombreuses BD. Son trait hachuré, l’encrage très fin qu’il propose, font ici merveille dans cet univers souvent sombre. « Pour représenter les personnages des gravures, j'ai cheché des peintures de cette période. J’en ai trouvé mais en Allemagne, tant la documentation locale manquait, surtout pour les costumes », explique-t-il, non sans avoir passé plusieurs jours à Mulhouse à fouiller un peu partout. (dessin de lui-même par lui-même)