À la veille de la vente aux enchères des vins de Hospices de Beaune, ce dimanche 17 novembre, Pierre-Henry Gagey, président de la maison de négoce Louis Jadot à Beaune (Côte-d’Or), évoque le contexte de la taxe douanière de 25% sur l'entrée des exportations aux Etats-Unis, que la profession toute entière juge dramatique. Il en dresse les conséquences et formule une demande de compensation au nom des nombreuses entreprises viticoles qui investissent depuis très longtemps sur le marché américain. L’entreprise Louis Jadot réalise 78 millions d’€ de chiffre d’affaires, emploie un effectif de 150 personnes et revendique la première place des exportateurs bourguignons outre-Atlantique.
• Pourquoi les Américains appliquent-ils une taxe douanière de 25% sur les vins français ?
Depuis 15 ans, les Etats-Unis et l’Union Européenne se chamaillent sur des subventions qui seraient données à Boeing et Airbus. Les Etats-Unis ont lancé une plainte officielle contre l’Union Européenne concernant Airbus. De son côté, l’Europe réagit 6 mois plus tard et dépose une plainte tout aussi officielle contre les Etats-Unis concernant Boeing.
Les deux plaintes, malheureusement, n’ont pas été traitées ensemble par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Au début du mois d’octobre 2019, l’OMC donne raison aux Etats-Unis et leur autorise de taxer un certain nombre de produits européens.
Le gouvernement américain décide donc dans la foulée de taxer à hauteur de 25% ad valorem (*), parmi toute une série de produits européens, les vins français - à l’exclusion des champagnes et des cognacs – expédiés en bouteille, qui titrent moins de 14° d’alcool, et tout ceci à partir du 18 octobre dernier.
• N’êtes-vous pas trop alarmiste quand aux conséquences à venir ?
Je ne le pense pas, car des milliers de vignerons et petites entreprises françaises, qui ont tissé des liens très étroits avec les Etats-Unis depuis plus de 70 ans se trouvent touchées de façon arbitraire et pris en otage dans un combat qui n’est pas le leur. Nous sommes les dommages collatéraux d’un conflit aéronautique entre l’Europe et les Etats-Unis.

Pour les vins français, les exportations vers les Etats-Unis représentent d’environ un milliard d’€ (**) et donc un coût pour les entreprises françaises compris entre 200 et 250 millions. D’autant qu’il est bien sûr impossible de retranscrire sur le marché ces taxes très importantes, en particulier pour les vins dont le prix de vente au consommateur se situe entre 15 et 25 $ US, ce qui constitue le cœur de marché.
Pour de très nombreux viticulteurs, il s’agit d’une petite partie de leur activité, mais pour d'autres entreprises, le marché américain est vital en s’élevant entre 25 et 50% de leur chiffre d’affaires.
• Comment voulez-vous réagir ?
Nous considérons bien évidemment que nous n’avons pas à intervenir sur le fond du dossier. L’Europe et les Etats-Unis doivent négocier pour trouver une solution et il n’est pas de notre ressort de dire qui a tort ou qui a raison.
Il nous semble par contre évident que c’est le devoir du gouvernement français de défendre les entreprises qui sont touchées par ce problème. Le silence de l’administration française et de nos hommes politiques devient insupportable.
Nous demandons donc au gouvernement français d’intervenir au plus vite afin de mettre en place un fond de soutien permettant de compenser le montant de cette taxe qui est impossible pour les entreprises, de supporter seules. Le coût de cette opération sera compris entre 200 et 250 millions d’€ pour l’Etat.
(*) Le surcoût pour l'entrée des vins sur le marché américain deviendra au final de 30% avec la commission des importateurs.
(**) Les trois secteurs les plus touchés : Bordeaux exporte à hauteur de 300 millions aux USA, la Bourgogne, autour des 250 millions et les rosés pèsent environ 200 millions.
Ne pouvant répercuter une telle hausse, nombre des entreprises bourguignonnes, mais aussi bordelaises et des Côtes-du-Rhône, évoquent sous couvert d’anonymat la menace d’embouteiller directement aux Etats-Unis, car le vin expédié en vrac n’est pas touché.