
FILIÈRE BOIS. Malmené par l'annulation de l'arrêté préfectoral autorisant le défrichement du bois du Tronçay à Sardy-lès-Epiry (Nièvre), le luxembourgeois Wood & Energy s'en remet au conseil d'État pour redémarrer les travaux d'aménagement de l'une des plus grosses scieries de France.
Installés depuis le 4 février 2013 dans un pré privé, aux abords du site, les opposants au projet s'apprêtent, à partir du 8 mai, à déplacer leur Zone à Défendre (ZAD), sur un autre lieu à proximité, voire à occuper en totale illégalité, le site lui-même.
De leur côté, les pro Erscia se réveillent, tandis que les institutionnels, politiques et professionnels, peinent à prendre position.
En cause, le défrichement de 92 ha de bois, une zone humide de 2200 m2 et l'importance de la ressource nécessaire au fonctionnement de la scierie.
125 emplois directs et un investissement de 154 millions d'€ auxquels s'ajoutent près de 10 millions d'aménagement sont en jeu.
Cliquez sur les photos pour les agrandir.
Conduits par la SEM Nièvre Aménagement, les travaux de défrichement du bois du Tronçay où Erscia France espère démarrer en 2015, l'exploitation d'une scierie d'une capacité de 300 000 m3 annuels (500 000 à partir de 2020), flanquée d'une unité de cogénération par combustion de bois d'une puissance thermique de 54 mégawatts et d'une usine de pellets (250 000 tonnes par an), sont stoppés depuis deux mois. La copie conforme se situe à Vielsalm (Belgique) : elle est portée par une autre filiale du groupe luxembourgeois, la société IBV.
Il s'agit de la seconde offensive réussie (*) des associations écologistes devant le tribunal administratif de Dijon qui, début février, a dénoncé la dérogation, accordée par le préfet de la Nièvre, d'aménager les lieux où habitent des espèces protégées : 14 espèces remarquables d'oiseaux, 9 espèces de chiroptères, 3 d'amphibiens dont la Rainette verte et autant de reptiles.
En date de janvier 2013, un arrêté préfectoral - Lire ici- avait autorisé l'industriel à défricher 92 ha de bois - soit le sixième du domaine forestier communal - en contrepartie de mesures compensatoires : la création d'une nouvelle zone humide - ce qui est en partie fait - pour remplacer celle de 2200 m2 incluse dans le projet, la conservation d'une franche boisée en marge du lotissement industriel, la création de gîtes artificiels…
Intérêt public majeur
Pour installer ce complexe industriel de 61 ha générateur de 125 emplois directs et porté à terme à 110 ha avec des industries de transformation du bois, Erscia France décide de s'en référer au conseil d'État. La haute juridiction administrative est appelée à apprécier la notion « d'intérêt public majeur ».
« La confirmation de la décision du tribunal administratif conduirait à une jurisprudence qui obligerait à tout industriel porteur d'un projet sur une zone humide d'apporter la démonstration des raisons impératives d'intérêt public majeur, ce qui réduirait considérablement les sites d'implantation des entreprises », expose Pascal Jacob, directeur général d'Erscia France. « Le nombre d'emplois qu'il porte n'est-il pas une raison impérative d’intérêt public majeur? » , s'interroge l'industriel.
Pour l'heure, il affirme que le calendrier est tenu. Il fixe à début septembre, la reprise de la déforestation et l'organisation des fouilles archéologiques de façon à démarrer les travaux de la plateforme début 2014.
Inspirées par les indignés de l'aéroport de Notre Dame des Landes, les associations écologistes rejointes par des habitants de la région ont installé un campement à proximité du site. Ils s'apprêtent à déplacer leur Zone de Défense : pour les uns, l'agriculteur qui les accueille serait lassé de l'occupation ; selon Adret Morvan - l'une des associations d'opposition -, il serait menacé de ne plus recevoir ses subventions …
Les opposants se battent principalement sur deux fronts. En plus de la destruction des milieux naturels, ils protestent contre l'ampleur de la ressource nécessaire à la scierie qui, selon eux, va rapidement épuiser en premier lieu la forêt morvandelle.
Faux, rétorque l'industriel. « Sur les 500 000 m3 nécessaires à la scierie, 60 à 100 000 seulement seront prélevés dans le massif du Morvan ». La scierie utilisera principalement de l'épicéa et du pin en provenance de forêts dans un périmètre de 300 km, alors que la forêt morvandelle est principalement constituée de douglas, est-il précisé dans le rapport d'enquête publique.
Les opposants se soulèvent aussi contre le risque de voir brûler des bois pollués dans la centrale de cogénération. La rumeur colporte aussi qu'on y brûlerait des déchets ménagers. Les documents d'enquête publique citent les classés non dangereux (A et B) collectés par les déchetteries communales et excluent les C (poteaux EDF et traverses de chemin de fer).

Valse hésitation
Face au succès médiatique des opposants, les pro Erscia mettent la pression à leur tour depuis le début du mois. Mercredi 1er mai, une manifestation de soutien au projet conduite par Christian Paul, député de la Nièvre, Jean-Paul Magnon, maire et conseiller général de Corbigny ainsi que Thierry Pauron, maire de Sardy-lès-Epiry, et Pascal Jacob a réuni entre 350 et 500 personnes dans les rues de Corbigny.
Il est vrai que les défenseurs du projet sont assez isolés, face à la valse-hésitation des organisations politiques et institutionnelles.
Parmi les convaincus de la première heure, le député socialiste Christian Paul, par ailleurs conseiller municipal de Lormes, près de Corbigny, a fini par rallier le PS de la Nièvre à sa cause.
Faute d'accord dans sa majorité, le conseil général de la Nièvre n'a pas pris de position officielle. Ceci s'explique aussi par la double casquette de son président, Patrice Joly, également président du parc naturel régional du Morvan.
Le conseil régional de Bourgogne n'a pas non plus pris position. Comme pour toute entreprise, il précise qu'il examinera le dossier de demande de subventions lorsqu'une nouvelle mouture viendra sur la table des élus : la première demande, incomplète, a été renvoyée à son expéditeur.
L'UMP nivernaise est également divisée. Europe Ecologie Les Verts parle d'une « aberration économique et écologique ».
Du côté des représentations professionnelles, les positions sont plus tranchées.
Contre, l'interprofession de la filière bois Aprovalbois ne déroge pas de sa position de mars 2011 - Lire l'article de Traces Ecrites News : Aprovalbois torpille la scierie Erscia - et élargit aujourd'hui ses soutiens aux régions voisines.
Jean-Philippe Bazot, président d'Aprovalbois doit prochainement informer le préfet de Région Pascal Malhos, du ralliement des régions Centre, Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Rhône-Alpes et Limousin, à l'exception de l'Auvergne, également source d'approvisionnement.
Sur le front européen
Pour, le Medef de la Nièvre parle d'un soutien « inconditionnel » à un « projet structurant capable de dynamiser l’ensemble de l’économie d'un territoire (…) qui perd 200 emplois par trimestre et est le seul département de la région Bourgogne à voir sa démographie reculer ». Les dubitatifs pourront avancer que Pascal Jacob, le porteur du projet, était il n'y a pas si longtemps le président de l'organisation patronale…
Dernièrement, la bataille s'est déplacée sur le front européen. Sandrine Bélier, eurodéputée écologiste (EELV) pour le Grand Est menace d'empêcher l'octroi de subventions européennes, rendues possibles par le classement Grand projet d'investissement en 2011 par le préfet de Bourgogne et le président du conseil régional.
Cette position fait suite au dépôt auprès de la commission européenne de la pétition Touche pas à la forêt : Non à la destruction du Morvan, par les associations Loire Vivante et DECAVIPEC. Jugée « recevable » par la commission des pétitions du Parlement européen (**) sur des arguments de protection de l'environnement, elle réunit 70 826 signatures (au 6 mai 2013), et a également été remise au président du conseil régional de Bourgogne et au ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll.
« L'audition des pétitionnaires et la présentation des résultats de l'enquête de la Commission européenne pourraient avoir lieu avant l'été au Parlement européen », précise l'eurodéputée dans un communiqué.
Fragilisé par des imprécisions relevées par la commission d'enquête publique, le projet soulève aussi des incohérences. A l'instar de ce détail : c'est l'entreprise Bongard-Bazot à Saint-Péreuse (Nièvre) dont le directeur général est Jean-Philippe Bazot, président d'Aprovalbois qui a remporté l'appel d'offre de défrichement du site…
Le fait que la production - bois sciés et pellets - soit principalement destinée à approvisionner l'industriel et le marché belges pèse sur le sentiment des Morvandiaux d'être dépossédés du projet.

(*) Les étapes judiciaires : octobre 2012, suspension de l'arrêté préfectoral du 10 juillet 2012 accordant une dérogation à l'interdiction de destructions d'espèces protégées ; 24 décembre 2012, refus du Conseil d'État de prendre en compte l'appel de cette décision; 4 février 2013, annulation de l'arrêté préfectoral du 10 juillet 2012.
(**) Pétition déposée conformément à l'article 227 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui permet à tout citoyen à titre individuel ou en association avec d'autres, peut exercer son droit de pétition auprès du Parlement européen.
Sites à consulter :
Pour : http://www.erscia-france.com/ - http://www.sardy.info/ - http://www.pole-bois-sardy.com/
Contre : http://zad-boisdutroncay.org/ - http://ecologie58.blog4ever.com
Relire aussi :
Erscia scie la branche d'Aprovalbois
Les 3 élus souteneurs du projet reprennent en coeur l'argument des emplois lancé par le porteur de projet. Pourquoi? En période de chômage, demander à la population si elle veut des emplois, c'est comme demander à un aveugle s'il veut voir. Alors oublier de vérifier si c'est possible et combien ça coûte ne dérange pas les élus en période pré-électorale.
Alors que tous les signaux convergent sur le fait que le modèle de "développement" sans limites et de mondialisation, qui fait le bonheur d'une élite délocalisante aussi bien en mode production qu'en mode paradis fiscaux n'est plus viable, on ne cesse de nous sortir des aberrations comme ERSCIA. Je n'ai aucune confiance dans les élus, lorsqu'ils sont incapables de comprendre les protestations des locaux et écoutent les sirènes de leurs financeurs directs ou indirects (ce qui s'appelle le syndrome copain-coquin). Objectivement, le projet ERSCIA ne tient pas la route, on le sait bien, et ce sont des fonds publics bien mal investis qui le soutiennent. Quand comprendra-t-on qu'il faut cesser ce modèle, qui allie déboisement catastrophique au plan mondial et local (le Morvan est devenue une usine à résineux et la biodiversité s'y est effondrée, foi d'expert). Donc il est indispensable de changer notre mentalité, non seulement pour la biodiversité, le cadre de vie, mais aussi pour les générations futures. ERSCIA, ça suffit !
Pour info, la rédaction a retenu l'essentiel des arguments des pro et anti scierie pour des raisons techniques : un article sur le Web devient illisible s'il est trop long. Volontairement, tous les arguments ne figurent pas dans cet article que nos lecteurs reconnaissent plutôt complet. Les liens des sites internet des deux camps sont cités en fin d'article pour permettre à chaque lecteur de compléter son information et de se faire sa propre religion. La rédaction.
« Le nombre d’emplois qu’il porte n’est-il pas d’intérêt public? », s’interroge l’industriel. Et le nombre d'emplois que ça détruirait, n'est-ce pas du sabotage public, avec de l'argent public ? Et si on rase la forêt, le bois n'est plus une énergie ou un matériau renouvelable. Oui aux filières courtes et locales !
En mathématique, il y a des "+" et des "-". C'est incroyable de voir cette façon de raisonner: 200 emplois créés (apparemment), mais combien de détruits? L'article n'en fait pas mention. Et il est important d'en parler, car ce sera le cas. C'est franchement pénible de lire de ci de là, ces créations d'emplois, sans parler des destructions engendrées. Les économistes ont-ils des oeillères? Ou est-ce de la mauvaise foi? En ce qui concerne la ressource en bois, ERSCIA a obligation de gérer la ressource sur 20 ans. Mais, il faut plus de 70 ans pour qu'une forêt se renouvelle. Il n'existe pas de plan de gestion du bois en Bourgogne, alors que ça existe dans d'autres régions. De plus, l'article ne mentionne pas les nombreux camions qui vont venir, ce qui fera baisser d'autant plus le tourisme dans le coin. Derrière ERSCIA, il y a des investisseurs qui ne pensent qu'à leur porte monnaie, des gens qui habitent loin, dans leur tour d'ivoire. Ca suffit !
Découvrez également
Réseau Femmes du Medef 21, la sororité entrepreneuriale en Côte-d’Or
Le Jurassien Siobra, champion de l’amélioration de la qualité dans l’automobile de l’Est
En Côte-d'Or, Reval Plastiques passe du recyclage à la fabrication d’un matériau innovant
Les cookies Google Analytics
Ce site utilise des cookies de Google Analytics. Ces cookies nous aident à identifier le contenu qui vous intéresse le plus ainsi qu'à repérer certains dysfonctionnements. Vos données de navigations sur ce site sont envoyées à Google Inc.