ÉVÉNEMENTIEL/JURA. L’initiateur du festival de reggae des Forges de Fraisans qui a attiré, en 2017, 41.000 amateurs de toute la France, est venu expliquer son choix de modèle économique aux start-uppeurs et créateurs d’entreprises de Temis Innovation à Besançon.
Un choix éthique mais aussi une belle prise de risque. Un modèle à suivre ? Pour gagner de l’argent sans doute pas, mais pour faire vivre de beaux projets citoyens, sans hésiter ! Rencontre.

Florent Sanseigne n’a pas de dreadlocks, ne porte pas de t-shirt aux couleurs rastas, n’est pas accro au cannabis, mais il aime le reggae. Les clichés collent à la peau du festival qu’il a lancé en 2013 aux forges de Fraisans fraîchement réhabilitées par cette commune du Jura, entre Dole et Besançon. Pourtant, sa démarche est on ne peut plus responsable. Et même « équitable et éthique », dit-il.
Gérant d’une société de booking d’artistes internationaux et, à ce titre, confronté à la baisse des subventions publiques et à la difficulté grandissante, pour ces artistes, de se produire, il avait voulu relever un défi : montrer qu’un festival sans subvention ni mécène était possible. Pas d’étiquette, pas de logo, un financement par les seuls festivaliers et juste un visuel, « pour pouvoir communiquer, mais dont nous changeons la charte graphique tous les ans », explique-t-il, cohérent jusqu’au moindre détail.
L’aventure No Logo a démarré sur ce pari, que Florent Sanseigne remet en jeu chaque année depuis 2013. Un choix économique et militant que l’initiateur et unique salarié permanent de la Sarl No Logo était venu présenter aux start-uppers et créateurs d’entreprises bisontins ce mardi 27 février, dans un des petits déjeuners que BGE organise régulièrement dans les locaux de Temis Innovation.
Certaines collectivités ont déjà tenté de lui dérouler le tapis rouge mais il a refusé. L’objectif reste, pour l’instant, de démontrer qu’un festival appartenant aux seuls festivaliers est possible. « Notre leitmotiv, c’est de leur dire : c’est vous qui décidez. Pour la première édition, je tablais sur 5.000 personnes par soir, sur deux soirs. Mais il en est venu 20.000 sur deux jours, de toute la France. » Et 14.000 par jour, sur trois jours, pour l’édition 2017.
En 2013, l’ancien gérant avait puisé dans son stock d’artistes et mixé têtes d’affiche et groupes locaux. « Mais je voulais que No Logo porte aussi des valeurs fortes : les circuits courts, le respect, la solidarité, l’écologie. Je voulais montrer que le citoyen festivalier pouvait agir sur les choses. Le festival est souvent une vitrine électoraliste, organisé par une ville ou un département. Là, nous avions fait le choix d’être indépendant et d’avoir une politique d’accessibilité tarifaire. »
Pas de bénévoles, mais 11 équivalents temps plein à l’année

Et c’est là que Florent Sanseigne balaie un autre cliché : celui d’un festival fonctionnant grâce à des bénévoles. « Nous refusons le bénévolat et la gratuité, nous calculons tous les coûts, ceux de la location à la mairie ou aux agriculteurs, jusqu’à celui de la reconversion des champs que nous utilisons pour le camping et qui, pour cela, ont dû changer de culture et passer du maïs au blé. »
Sur un budget d’un million d’€ désormais, 70% des recettes proviennnent de la vente des billets, 25% des consommations au bar, 5% de la redevance des restaurateurs et exposants. Car No Logo fait travailler du monde : la Sarl signe 250 contrats de travail, CDD de 3 jours ou contrats d’intermittents, soit 11 équivalents temps plein à l’année.
« En tout, nous sommes 450 à travailler pendant le festival, en comptant les prestataires. Et c’est un million d’€ de retombées pour l’économie locale. Le club de foot de Fraisans garde nos voitures et tient un bar, le club de lutte tient un stand, et nous faisons brasser notre bière par une brasserie locale, Rouget-de-Lisle à Lons-le-Saunier. La boulangerie et le tabac de la commune font un bon chiffre d’affaires et pour eux tous, le festival, c’est une bouffée d’oxygène. »
Dire que le modèle de No Logo est rentable est exagéré. Il arrive à l’équilibre en calculant chaque poste au plus serré et en jouant sur le nombre de festivaliers, tout en privilégiant leur rconfort. Fragile équilibre. Florent Sanseigne, qui travaille toute l’année et à temps bien plein sur le festival, arrive maintenant à se dégager un salaire de 1.500 € par mois. Et lorsqu’après l’édition 2016 il avait fallu réajuster le tarif d’entrée, la Sarl avait procédé comme elle le fait toujours : par une enquête diffusée pendant deux semaines, à l’automne, sur les réseaux sociaux.

A la question sur la pertinence d’augmenter le prix du pass (57 € pour trois jours), sur 1.800 réponses, ils avaient été 78% à répondre « oui ». A celle sur le montant de l’augmentation, à fixer entre 1 et 10 €, ils avaient choisi 5 €. Ce qui fut fait. La même année, avec cette enquête, les festivaliers avaient choisi une seconde scène dédiée à la culture “dub” plutôt qu’un 4e jour de festival.
Au-delà de l’aspect festif, qu’il revendique, Florent Sanseigne dénonce les subventions qui continuent d’alimenter les gros festivals rentables, avec têtes d’affiches aux cachets démesurés, au détriment des petits artistes qui auraient bien besoin d’aide.
No Logo, dans ce contexte, apparaît comme une sorte de manifeste, dans la veine de la pensée anticapitaliste de l’essayiste canadienne Naomi Klein, qui en a inspiré le concept. « Ce festival, ce n’est rien de compliqué, ça manque de rentabilité, de vision à long terme, c’est juste une prise de risque monumentale mais qui permet de dire : “c’est vous qui faites le système“. »
A l’affiche en 2018

La sixième édition de No Logo aura lieu les 10, 11 et 12 août 2018 sur le site des Forges de Fraisans et accueillera une trentaine d’artistes.
A deux mois de la programmation complète, la billetterie est ouverte, cinq groupes avaient déjà été annoncés : Groundation, Hilight Tribe, Panda Dub – Circle live, Mellow Mood, Samory I ; et six nouveaux ont été annoncés cette semaine, dont Calypso Rose, Horace Andy, Protoje & The Indiggnation. nologofestival.fr