La reconnaissance du savoir-faire horloger de l’Arc jurassien franco-suisse comme élément du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco consacre une histoire pluricentenaire et satisfait la profession, des deux côtés de la frontière, entre Franche-Comté et Suisse. Mais pourra-t-elle relancer l’horlogerie française, réduite à une niche de marché haut de gamme, face au géant Suisse qui domine le secteur au plan mondial ? Les deux ne jouent pas dans la même cour. Explications.


La reconnaissance tombe à point nommé pour sauver une année difficile : le 16 décembre dernier, l’Unesco inscrit les savoir-faire en mécanique horlogère et mécanique d'art au rang de patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Le dossier, porté par la Suisse associée à la France, vise « l’arc jurassien », entre Besançon et Morteau, dans le Doubs, La Chaux-de-Fonds et Genève, en Suisse. Véritable berceau de l’horlogerie, ce territoire héberge encore l’essentiel de la production horlogère des deux pays.

Pour la filière, le label Unesco constitue d’abord la reconnaissance d’un savoir-faire historique. Et, veut-on croire côté français, un atout touristique, ainsi qu’un argument à l’export, plus que sur le marché national, assez largement considéré comme perdu. « La reconnaissance de nos savoir-faire par l’UNESCO aura une vraie résonance à l’export, comme le label Entreprise du Patrimoine Vivant dont nous sommes détenteurs. Sur le marché français, je crains que ce soit, au mieux, un tout petit plus. La clientèle française n’est pas très sensible au Made in France dans notre secteur, qu’elle associe à la Suisse », estime Aymeric Vernhol, l’un des quatre associés du fabricant de montres Pequignet, installé à Morteau. L’entreprise, qui emploie 20 salariés et réalise un chiffre d’affaires de l’ordre de 2 millions d’€, est la seule à proposer un mécanisme français.

 

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En effet, c'est une réalité aussi méconnue que peu réjouissante : il n’existe plus aucun mécanisme de montre français, sorti du « Calibre Royal » de Pequignet, lequel lui reste exclusif. L’essentiel du marché est alimenté par le Suisse ETA. La situation devrait évoluer dans les prochains mois : la manufacture de Morteau met la dernière main au calibre « Initial », relativement grand public, qu’elle compte proposer en marque blanche aux autres fabricants avec, en point de mire, la possibilité de montres 100% françaises, vendues autour de 2.000 €.

« Notre but n’est pas de concurrencer les grands groupes suisses, nous ne serons jamais compétitifs sur les volumes, mais de pouvoir proposer des montres vraiment françaises », précise Aymeric Vernhol. Un autre horloger travaille également à un mécanisme hexagonal qu’il confie, sous le sceau du secret, vouloir dévoiler dans les prochains mois.


Une relation de dépendance vis-à-vis de la Suisse

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Frédéric Humbert-Droz, gérant de Reparalux qui réalise 80% de son chiffre d'affaires avec le SAV des marques suisses, le reste avec sa propre collection de montres automatiques. © Laurent Cheviet
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Dans sa boutique-atelier, en plein centre-ville de Besançon, Utinam présente ses propres collections mais aussi celles d'autres créateurs francs-comtois. © Laurent Cheviet

 

L’horlogerie franc-comtoise se compose de PME, aucune ne dépassant les 250 salariés. En 2017, elles employaient 874 personnes, contre 30.491 côté Suisse, selon les chiffres de l’Observatoire Statistique Frontalier de l’Arc Jurassien. « La France est dans une relation de dépendance vis-à-vis de la Suisse dans le secteur horloger, et c’est déjà une belle performance pour elle d’avoir pu s’accrocher à la candidature Unesco », tranche Laurent Sage, directeur des études économiques et territoriales de la CCI du Doubs. La plupart des acteurs français opèrent comme sous-traitants des fabricants suisses, dont ils assurent également une partie du SAV.

C’est le cas du bisontin Reparalux, encore très connu sous le nom de la famille fondatrice Humbert Droz en 1956, qui réalise 80 % de son chiffre d’affaires en assurant le SAV de grandes marques suisses. Frédéric Humbert-Droz, gérant, se félicite que le label unesco puisse appuyer le marketing de ses donneurs d’ordre. « Notre partenariat avec les Suisses en sera renforcé, c’est une bonne chose. Ils ont vraiment besoin de nous pour la révision de leurs mouvements. Dans les usines suisses, les employés sont souvent affectés à une tâche précise, ils travaillent en « parties brisées » Alors qu'en France, nous disposons de salariés plus polyvalents, capables de démonter un mécanisme dans son entier », note t-il.

 

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Outre le bon niveau des formations proposées, la filière française peut aussi miser sur l’inventivité de ses nouveaux créateurs. Le bisontin Utinam, remarqué pour ses horloges contemporaines très design, et ses réalisations événementielles, croit beaucoup dans ce renouveau créatif. « L’horlogerie française renaît de ses cendres, grâce à de nouvelles marques de créateurs. Il règne entre nous un excellent esprit, une certaine entraide et une vraie envie de prendre des risques », commente Philippe Lebru, PDG fondateur d’Utinam, à l’origine il y a 15 ans de la renaissance de l’horlogerie bisontine, disparue à la fin des années 1970 avec Lip.

Utinam qui emploie une dizaine de personnes, s’est même permis le luxe d’augmenter ses ventes d’horloges en 2020, tout en maintenant celles de ses montres. Une belle performance malgré deux confinements, qui montre que l’originalité peut payer.

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Quelques exemples de montres d'horlogers francs-comtois. De gauche à droit et de haut en bas : la Quadripod d'Utinam, un modèle de Routine, et le seul mouvement de montre français développé par Pequignet.

 

C’est aussi ce sur quoi mise la jeune marque Routine, qui revendique une production de montres à 80 % françaises. Pour sortir du lot, son fondateur Florian Chosson décline un concept étonnant de montre à aiguilles diamétrales, d’égales longueurs de part et d’autre de l’axe, rendant difficile de connaître l’heure précise à la seconde près. « C’est une manière de signifier que la montre a perdu cette fonction de donner l’heure, ce dont se chargent les smartphones ou les montres numériques, qui, elles cumulent d’autres fonctionnalités, notamment des données sur la santé. Aujourd’hui, les montres mécaniques appartiennent définitivement à l’univers du bijou et du style », résume t-il.

 

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Montage du "calibre royal" : La manufacture Pequignet prépare un second mouvement qu'elle compte proposer en marque blanche aux autres fabricants de montres. © Laurent Cheviet
Pus de 10.000 frontaliers français en Suisse

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L'une des plus grosses manufactures francs-comtoises, Michel Herbelin à Charquemont, à la frontière suisse, côté franaçis, travaille sur une montre connectée. © Laurent Cheviet

L’autre réalité de l’horlogerie française, c’est qu’elle fournit de la main-d’œuvre frontalière à la Suisse : 11.180 Français traversent quotidiennement la frontière pour aller s’activer dans les usines horlogères helvètes.
Ils sont des employés recherchés, disposant d’un très bon niveau de formation assuré notamment par le lycée Edgar Faure à Morteau, au cœur du pays horloger, qui délivre le Diplôme National des Métiers d’Art et du Design (DNMADE) en horlogerie. Son offre est enrichie par des formations complémentaires professionnelles (Design) et supérieures (microtechniques, ENSMM) à Besançon et dans des instituts privés.

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