Blue Paper fabrique des bobines de papier brun pour les cartonniers à proximité d’un environnement très urbain, dans la zone portuaire de Strasbourg. Depuis sa reconversion d’activité il y a dix ans à l’occasion de son passage sous pavillon belge et allemand, l’industriel met en oeuvre une stratégie orientée en faveur de l’environnement et du local. Ces efforts se sont révélés payants en ces temps de flambée des prix de l’énergie.
Voilà dix ans que l’usine de papier qui remplit le paysage au port de Strasbourg (Bas-Rhin) depuis les années 1930 a changé d’activité et de propriétaire. La fabrication de papier magazine exercée sous le pavillon du Finlandais UPM a cédé sa place au papier d’emballage à base de fibre recyclée.
Le site a pris alors le nom de Blue Paper et est devenue une coentreprise des groupes belge VPK Packaging et allemand Klingele. Il emploie 170 salariés et réalise un chiffre d’affaires de 180 millions d’€ à partir d'un volume de production qui s'est élevé à 415.000 tonnes en 2022.
Les premiers investissements des nouveaux propriétaires de l'usine ont été consacrés à sa conversion à sa nouvelle activité : 100 millions d'€ ont été dépensés pour reconstruire la machine. Depuis, 100 autres millions d'€ se sont ajoutés, principalement au service de la décarbonation. Une telle priorité est indispensable pour ce site ICPE (installations classées pour la protection de l'environnement) implantée à proximité d'un milieu urbain très dense, entre Strasbourg et Kehl, la ville voisine allemande. « Une grande partie de nos investissements sont fléchés vers un objectif d’acceptabilité et d’ancrage territorial », confirme François Bru, directeur général de l’entreprise.
Ainsi, dès 2015, l'usine a installé une turbine qui produit de l’électricité à partir de la vapeur haute pression provenant de la chaudière biomasse. Cette vapeur est ensuite utilisée afin de sécher la feuille de papier au niveau de la machine.

à destination des cartonniers. © Julie Giorgi
En 2019, Blue Paper s’est construit une unité de production de vapeur à partir de combustibles solides de récupération (CSR), les déchets non recyclables, moyennant un investissement d'un montant de 25 millions d'€. Le site, acheteur de 450.000 tonnes de papiers recyclés annuels, possède un atelier qui détecte les défauts de tri de façon à isoler les autres matières : plastique, métal, textile, etc. Si les métaux étaient revendus, les plastiques, eux partaient en enfouissement ou dans une filière de valorisation thermique en Allemagne. « Cela nous coûtait cher, environ 100€ par tonne de déchets. Et ce n’était pas vertueux en terme d’économie circulaire », souligne François Bru.
Cette installation fournit ainsi 34% de la chaleur du site, contre 50% pour la biomasse, le reste provenant des chaudières à gaz. Elle a permis au papetier de réduire considérablement sa facture de gaz.
En outre, depuis 2021, Blue Paper participe au projet R-PAS, avec R-CUA (Réseaux de Chaleur Urbains d'Alsace, concepteur et exploitant de tels projets) . Les calories des fumées de la chaudière biomasse sont redistribuées sur le réseau de chaleur urbain afin de chauffer des logements (environ 4.000) et des industriels situés dans la zone portuaire strasbourgeoise.

Le dernier investissement, en date de 2022, a consisté en la mise en service d'un second méthaniseur à la station d'épuration du site. Le biogaz produit permet de compléter l'alimentation du moteur qui génère de l'électricité et également d'alimenter une chaudière en remplacement de gaz naturel.
Grâce à ces nombreuses réalisations, un tiers de l’électricité utilisée sur le site est auto-produite. Un atout en ces temps d’énergie chère. « Nous avons été moins impactés par la crise énergétique que nos concurrents, car nous sommes moins dépendants des énergies fossiles. Cela a accéléré nos retours sur investissements », observe le directeur général.
Économiser la ressource en eau et développer le multimodal

Les actions menées depuis dix ans en faveur du développement durable permettent à Blue Paper d’afficher un taux de décarbonation de 82%. Un score remarquable qu’il sera difficile d’améliorer. « Nous sommes très en avance par rapport à notre profession et à la moyenne des industriels », affirme François Bru. Aussi, dans les années à venir, l’entreprise ne se focalisera plus sur l’efficacité énergétique, mais sur d’autres challenges comme les économies d’eau, la logistique et le recrutement. « Les prochains projets concerneront des procédés technologiques dans le but de diminuer notre consommation d’eau », annonce le dirigeant.
Au niveau logistique, l’entreprise souhaiterait développer la part du multimodal afin d’utiliser davantage le réseau ferroviaire et fluvial. Mais cela implique de trouver des flux complémentaires à l’usine. « Il faudra travailler en coopération avec les institutions comme le port de Strasbourg, la CCI… et d’autres industriels. Car si une péniche livre chez nous, elle doit trouver des flux pour le retour », ajoute François Bru.
Enfin, Blue Paper doit faire face aux difficultés de recrutement. « Nous payons les dégâts de 20 ans de communication étatique en défaveur de l’industrie. Son image a été injustement abîmée, alors qu'elle offre la possibilité de bonnes carrières, avec des perspectives d’évolution énormes. L’industrie à la Zola, c’est fini », rappelle le dirigeant. Qui espère convaincre les candidats, rapidement comme sur le long terme dans lequel s'inscrivent les embauches de Blue Paper à Strasbourg : le site compte 10 à 15 postes ouverts en permanence.