Secoué par la crise sanitaire, le fabricant Lohr poursuit sa politique d’innovations technologiques dans les moyens de transport. Non dénuée de risques, celles-ci portent des fruits, au stade de l’industrialisation s’agissant du ferroutage et à celui de promesses intéressantes sur les petites lignes régionales de voyageurs. En attendant de reposer sur les alternatives au mode routier, l’activité de l’ETI se fonde sur celui-ci, grâce au rebond des commandes pour ses porte-voitures.


L’horizon se remet à se teinter de bleu chez Lohr. Le groupe alsacien de matériels de transport s’estime en mesure d'effectuer, cette année, un saut significatif vers sa quête : « retrouver notre fourchette de chiffre d’affaires annuel de 300 à 350 millions d’€ d’avant la crise sanitaire », énonce sa vice-présidente Marie-José Navarre.

Après un montant inférieur de moitié à cette référence en 2022, soit 170 millions d’€, la perspective 2023 telle que tracée par la dirigeante se situe à 280 millions d’€. Ce qui devrait permettre à Lohr de retrouver le chemin de la profitabilité qu’il avait quitté en 2020 et 2021.

 

ESC mulhouse

 

Ce regain doit, en outre, trouver sa traduction  en terme de ressources humaines : le groupe de 1.350 salariés planifie « une centaine de recrutements » cette année : « Nous avons besoin notamment de soudeurs et de chaudronniers », souligne Marie-José Navarre. En contraste, là aussi, avec le chômage partiel de longue durée qui avait été dû être actionné à la suite de la pandémie de Covid-19. 

L’évolution positive est portée par la plupart des divisions du groupe soixantenaire siégeant à Hangenbieten, à l’ouest de Strasbourg (Bas-Rhin). Le « moteur » de Lohr, en particulier, se remet à rugir : les porte-voitures, dont il revendique le leadership européen et qui pèsent pour plus de 50 % dans son chiffre d’affaires, a remonté son carnet de commandes pour cette année à un millier d’unités, contre 300 l’an dernier. Logés dans la filiale Soframe, les véhicules militaires blindés, second pilier, évoluent dans un marché porteur, qu’on le veuille ou non.

 

Indispensable innovation

raleway lohr
Le système Modalohr de ferroutage par pivotement de camions sur les rails atteint sa vitesse de croisière sur la ligne de Bettembourg (Luxembourg) à Perpignan aux portes de l'Espagne.


Plus marginaux en volumes, Modalohr (environ 10 % du chiffre d’affaires) et Cristal gagnent ou regagnent du potentiel de croissance. Ils incarnent surtout l’esprit d’ingénierie que l’entreprise emporte de l’héritage de son fondateur Robert Lohr, et qu’elle considère comme le socle de son avenir. « L’innovation, c’est notre vecteur depuis 60 ans pour grandir en évitant de se retrouver en concurrence frontale avec des acteurs plus gros que nous. Nous consacrons à la recherche-développement entre 7 et 9 % de notre chiffre d’affaires chaque année », énonce Marie-José Navarre.

Modalohr, le système de ferroutage par pivotement des camions sur une plateforme pour transfert sur le rail, retrouve des perspectives : après plus de trois ans vierges de commandes, Brittany Ferries est venu apporter celle de 47 wagons à faire circuler à partir du printemps 2024 pour une liaison d’un millier de kilomètres entre Cherbourg, point d’entrée des flux britanniques, et Mouguerre près de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). « Le signal est également important quant au potentiel que renferme l’offre pour du transport combiné adossé au maritime. Quoi de plus multimodal qu’un port ? », commente la vice-présidente du groupe alsacien.

 

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’L’annonce, intervenue en fin d’année dernière, vient s’ajouter à la ligne entre Bettembourg (Luxembourg) et Perpignan (Le Boulou) qu'opère Lorry Rail, la société conjointe à la SNCF, aux Chemins de fer luxembourgeois (CFL), à la Caisse des dépôts, à Vinci Concessions...et à Lohr. Cette offre pionnière de l'opérateur, du Luxembourg aux portes de l'Espagne a procuré depuis 2007 à Modalohr le tremplin que n’aura pas constitué autant qu'espéré l’Autoroute ferroviaire alpine (AFA) franco-italienne lancée quatre ans plus tôt entre Aiton (Savoie) et Orbassano près de Turin. Bettembourg-Perpignan, elle, atteint un volume annuel proche de 100.000 semi-remorques, qui la rend viable économiquement. Elle représente la grande majorité de l’activité de Modalohr également déployée sur les liaisons ente Calais et Le Boulou (2 allers-retours quotidiens), Mâcon (cinq par semaine) et Sète (trois hebdomadaires) pour le compte de Viaa, filiale ferroutage de la SNCF.

Ce créneau suscite l’appétit d’autres opérateurs, comme l’Allemand CargoBeamer qui vient chasser sur les platesbandes de Lohr, avec par, exemple la mise en service, depuis l'automne dernier, id’une ligne entre Perpignan et Rostock au nord-est de l'Allemagne. « Nous vivons l’arrivée de la concurrence comme une bonne nouvelle, quelque chose de stimulant…qui montre que nous ne sommes pas en train de faire fausse route », analyse Marie-José Navarre.

 

En recherche pour le transport sur les petites lignes ferroviaires

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La navette électrique Cristal aux wagons attelables a séduit quatre villes ou agglomérations, dont Ajaccio en Corse (ci-dessus).


Quant à Cristal, la navette électrique modulaire (les wagons peuvent s’atteler les uns aux autres pour faire varier la capacité selon les besoins dans la journée), elle consolide sa présence dans les quatre villes ou agglomérations qui en ont fait le pari pour l'intégrer à leur offre de transport urbain : Ajaccio en Corse, Avignon et Orange dans le Vaucluse, et Saverne (Bas-Rhin). « Plusieurs appels d’offres ont été lancés auxquels nous répondons en France, et nous travaillons à l’homologation en Allemagne », indique la dirigeante.

Mais rarement à court d’idées, Lohr en a encore développé une nouvelle dans un esprit proche de Cristal, pour le transport ferroviaire de voyageurs cette fois-ci : Draisy, véhicule électrique sur batteries, se façonne dans les ateliers d’Hangenbieten et auprès des quatre autres partenaires, tous français :  la SNCF, l'IRT (Institut de recherche technologique) Railenium, Stations-e (bornes de recharge) et GCK Battery.

 

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Dans ce projet de près de 30 millions d’€ lauréat de France 2030 (*), Lohr se concentre sur l’élaboration du châssis. La mise au point d’un premier prototype est planifiée entre la fin de cette année et le courant 2024 pour préparer une version pilote en 2025. « L’objectif consiste à être prêt pour un déploiement en 2027 », précise Marie-José Navarre, qui espère parvenir à une cadence de 500 à 600 véhicules. 

Bien plus léger qu’un train classique, Draisy pourrait ainsi transporter 80 à 240 personnes (soit un à trois modules) sur les « petites lignes » TER, ces quelque 9.000 km de réseaux dont la résurrection est attendue afin de décongestionner les routes un peu partout en France. D’où l’appel du groupe Lohr aux conseils régionaux pour tester sa dernière innovation…puis l’adopter pour de bon. Le Grand Est devrait constituer le terrain d’essai en configuration réelle et à entendre la direction du groupe, plusieurs autres régions ont pris leur billet de réservation.
 

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Marie-José Navarre est la vice-présdidente du groupe Lohr basé à Hangenbieten (Bas-Rhin).


Photos fournies par l'entreprise. 

(*) appel à manifestation d’intérêt « digitalisation et décarbonation du transport ferroviaire »

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