TIC./CHAMPAGNE-ARDENNE. Après s’être fait les dents sur la postproduction de films en relief, glanant au passage un Oscar à Hollywood, Levels3D s’est engagée à fond dans la réalité augmentée.
Fin 2015, la start-up lancera sur le marché une application sur tablette permettant de modéliser l’intérieur d’une maison.
Hébergée par la Technopole de l’Aube en Champagne, près de Troyes (Aube), elle a parallèlement mis au point des lunettes spéciales destinées à ERDF.
Et s’apprête à faire un nouveau tour de table d’ici à la fin de l’année pour récolter un million d’€ supplémentaires.

Imaginez qu’à l’aide d’une simple tablette (un iPad en l’occurrence) munie d’une caméra adaptée, vous puissiez scanner l’intérieur de votre appartement en quelques minutes seulement. Non pas depuis un point fixe, mais en vous promenant dans la pièce afin que nul détail ne vous échappe. Que vous puissiez “effacer” un placard indésirable par exemple, ou poursuivre le travail ultérieurement, en le reprenant là où vous l’aviez interrompu. Qu’ensuite vous importiez le résultat sur le Net, où vous pourriez tout à loisir travailler sur le visuel, plancher sur l’agencement futur du logement, etc.
Ce sera bientôt possible grâce à Levels3D, dont le programme MyCaptR sortira en principe le 15 octobre 2015, pour peu que les derniers tests effectués en septembre sur l’application et sur le site Web soient concluants. « Mais on a d’ores et déjà franchi le cap de la R&D pour aborder la phase de développement », indique Yannick Folliard, président et fondateur de l’entreprise. En d’autres termes, l’application fonctionne.
Et c’est une petite révolution. « On n’avait jamais fait ça sur un support mobile, en reconstitution 3D instantanée, avec une telle simplicité d’utilisation, une telle précision, et à un prix aussi bas », souligne Yannick Folliard. L’application sera téléchargeable gratuitement sur l’Apple Store, et il faudra souscrire un abonnement annuel ou mensuel pour pouvoir l’utiliser en illimité. Le capteur sera fourni et son prix lissé dans l’abonnement.
Des métrés au demi-centimètre

Les usages potentiels sont nombreux. « MyCaptR est d’abord conçu pour effectuer des métrés précis au demi-centimètre près. Grâce à cette application, on peut aussi modéliser en trois dimensions un logement et générer des plans 2D. Sachant que la maquette numérique (ou BIM) tend à devenir obligatoire dans les marchés publics. »
Quant aux utilisateurs susceptibles d’adopter MyCaptR, ils sont également très divers : les architectes - en particulier les architectes d’intérieur -, les bureaux d’études (notamment sur le marché de la réhabilitation), les diagnostiqueurs, géomètres, professionnels de l’immobilier et artisans appelés à intervenir sur un bâtiment. « Mais on peut imaginer d’autres débouchés dans le cinéma, les jeux vidéo, l’audit, les assurances ou la sécurité. »
Derrière cette invention se cache un puissant algorithme mis au point en collaboration avec les chercheurs de l’Université de technologie de Troyes (UTT), voisine de la Technopole de l’Aube. « Toute la difficulté réside dans le poids énorme du nuage de points que l’on génère en numérisant une pièce. Il a fallu considérablement alléger les fichiers pour qu’ils tiennent dans un iPad. »
Pour l’instant, l’application trouve ses limites dans celles du capteur, “aveugle” au-delà de cinq mètres. Même si l’utilisateur peut approcher sa tablette au plus près des murs, de trop grandes hauteurs sous plafond limitent son champ de vision, ce qui exclut a priori les grands bâtiments commerciaux, industriels ou logistiques. Sauf à déployer une perche ou une grue. MyCaptR n’est pas non plus conçu pour l’extérieur.
Mais alors que la version 1 de MyCaptR n’est pas encore sortie, Levels3D s’est déjà projeté dans la version 2 de son application. « Celle-ci permettra de filmer les locaux en même temps qu’ils seront numérisés. On obtiendra ainsi la texture des pièces, ce qui facilitera la tâche des aménageurs par exemple. Puis l’on introduira de la réalité augmentée, c’est-à-dire la superposition d’images virtuelles sur l’image réelle. Cela permettra d’intégrer en live des objets 3D pour aménager, meubler ou décorer une pièce. »
Et les réseaux souterrains deviennent visibles

La réalité augmentée, c’est désormais le cheval de bataille de la start-up. Sollicité par la direction régionale Champagne-Ardenne d’ERDF (Electricité Réseau Distribution France), Levels3D a conçu des lunettes spéciales permettant aux agents de “voir”, sous forme de lignes en trois dimensions, le réseau enterré lorsqu’ils arpentent le terrain à la recherche d’éventuels défauts, tel un câble sectionné.
Pour fabriquer ces “smart glasses”, l’équipe de Yannick Folliard a « synchronisé la cartographie numérique fournie par ERDF avec les données GPS, les agents ayant la possibilité de corriger ces données lorsqu’elles sont inexactes ».
Deux paires de lunettes sont actuellement testées à Sainte-Savine dans l’Aube. Si elles donnent satisfaction, Levels3D fabriquera un prototype qui pourra aussi inclure du son, afin, pourquoi pas, d’équiper un jour l’ensemble des agents d’ERDF, voire ceux d’autres gestionnaires de réseaux (eau, gaz, téléphone), des acteurs du BTP, ou même les offices de tourisme pour des visites guidées originales.
« Nous sommes prêts en tout cas à mettre la structure en place et à dimensionner l’équipe pour répondre aux besoins d’ERDF », annonce Yannick Folliard. Lequel s’apprête aussi à faire un nouveau tour de table d’ici à la fin de l’année pour récolter un million d’€ supplémentaires, après une première levée de fonds qui a rapporté 325 000 €… et de nouveaux actionnaires début 2015. Cette première capitalisation avait permis d’embaucher quatre ingénieurs, portant à douze le nombre de collaborateurs. « La seconde levée de fonds nous permettra de nous développer commercialement. »
Ce faisant, Levels3D rouvrira sans doute un bureau commercial à Paris - pour être au plus près de son marché - après avoir quitté Saint-Ouen, où la start-up est née en 2012 avant d’être convaincue par la Technopole de l’Aube en Champagne de déménager pour bénéficier d’un environnement plus favorable à son épanouissement.
Qui est Yannick Folliard ?
Agé de 45 ans, le président de Levels3D se définit comme un « autodidacte bâtisseur ». Seul des trois cofondateurs à être encore présent dans l’entreprise, il affiche un parcours un peu atypique, pour être passé du son à l’image. Le job de Yannick Folliard a consisté pendant dix ans à dénicher les jeunes talents de la scène électro au profit de la maison de disque BMG. Puis il s’est reconverti dans l’infographie, avant d’être recruté par les célèbres Laboratoires Eclair. « J’y ai appris mon métier de superviseur d’effets spéciaux, travaillant notamment sur les films produits par Luc Besson. »
Ouvrons ici une parenthèse : la stéréographie (l’image en relief) est le métier historique de Levels3D, dont le “s”, écrit à l’origine en majuscule, vient de là. C’est ce qui lui a valu de réaliser les effets 3D de Mr Hublot, le court-métrage d’animation franco-luxembourgeois primé aux Oscars en 2014. Mais la start-up a depuis laissé tomber la postproduction, le marché du relief s’avérant trop limité : coûts de production multipliés par trois, nombre de foyers équipés insuffisant. Fin de la parenthèse.
Petite anecdote : aux Laboratoires Eclair, Yannick Folliard a eu la chance et le privilège de restaurer les vieux films de Buster Keaton et de Charlie Chaplin. En 2012, il crée sa propre boîte, en capitalisant sur son expérience de la 3D.
Cette même année, Levels3D participe aux journées Plug&Start à Troyes, sorte de Star Academy pour entrepreneurs innovants. La start-up y rencontre l’équipe Gamma3 de l’UTT, et son directeur Houman Borouchaki, éminent spécialiste de la modélisation géométrique et de la simulation numérique. On connaît la suite.
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