A Valrupt-sur-Moselle (Vosges), la manufacture Tissage de France, filiale de L’Equipe 1083, démarre ce mois de février le détissage de 2 tonnes de jeans usagés. Leurs fibres seront réemployées dans la confection, sur place, de nouveaux modèles. Ce denim composé à 85% de fibres recyclées devrait être commercialisé en septembre.
La marque de jeans écoresponsables 1083 franchit en ce mois de février une étape décisive vers la lancement commercial d’un denim en fibres de coton recyclées. Son site industriel Tissage de France à Rupt-sur-Moselle (Vosges) s’apprête à détisser 2 tonnes de pantalons usagés en vue de réemployer leurs fibres dans la confection de modèles flambants neufs.
« Nous ne cultivons pas de champs de coton en France, mais nos poubelles regorgent de vêtements. L’industriel qui sera capable de transformer ce gisement, jouira d’une filière 100% locale », martèle Thomas Huriez, fondateur de l’Equipe 1083 à Romans-sur-Isère (Drôme), la maison mère de Tissage de France.
Ce blue-jean sera composé à 85% de fibres de coton recyclées et 15% de fibres de coton vierges. Il est annoncé dans les boutiques physiques et virtuelles en septembre prochain dans une fourchette de prix allant de 99 à 129 € l’unité. Son arrivée sur le marché marquera l’aboutissement de cinq intenses années de recherche et développement.
Ce projet de 2 millions d’€ d’investissement, lauréat du concours d’innovation MonCoton soutenu par l’Ademe, a bénéficié de 900.000 € d’aides (subventions et avances remboursables) dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir.
La manufacture a dû retrousser ses manches pour relever trois défis. Tout d’abord, le tri des pantalons usagés, ensuite la transformation des jeans en fibres, enfin la filature d’un fil composé de textiles recyclés. Le jeu en vaudrait la chandelle (écologique), puisqu’une paire de jeans en coton nécessiterait 7.500 litres d'eau…
Toutefois, « il est moins facile de faire un jean en coton recyclé que d’envoyer Thomas Pesquet dans l’espace. Dans la collecte des textiles usagés, tout est mélangé… C’est même une obligation pour les organismes ! », regrette Thomas Huriez qui a collaboré étroitement avec l’éco-organisme de la filière circulaire textile-habillement Refashion.
« Nous sommes parvenus à mettre au point une technique de recyclage, mais elle implique un tri des vieux jeans en amont. L’objectif consiste à ne valoriser que les jambes. Cela nous permet de ne pas traiter les éléments hétérogènes comme les fermetures éclair, boutons, etc. A ces fins, nous collaborons avec la Croix Rouge, Le Relais ou encore Emmaüs », poursuit-il. La « taille » des denims peut être valorisée pour sa part dans la fabrication d’isolants thermo-acoustiques.
La loi anti-gaspillage (Agec) entrée en vigueur le 1er janvier 2022 souffle un vent favorable dans la voile de L’Equipe 1083. Le texte a demandé à l'éco-organisme Refashion de prendre en charge « la totalité des coûts de collecte et de tri […], ainsi que de la totalité des coûts liés à la réutilisation. »
Quel avenir pour les fibres courtes ?

Le procédé technique d’effilochage a été patiemment développé. Il consiste tout d’abord dans un tissage inversé démêlant mécaniquement les fils. Ensuite, l’opération de défibrage vise à obtenir une grande proportion de fibres longues (1 à 2 cm). Pour arriver à ce résultat, Tissage de France a détourné des machines existantes de leur usage habituel en s’appuyant sur le savoir-faire de ses filateurs-tisseurs, mais aussi sur le centre d’essai textile Cetelor (Centre d’essai textile lorrain) d’Epinal.
Leur persévérance a permis d’obtenir quelques kilogrammes de fibres en laboratoire, puis une dizaine l’automne dernier. Ce mois de février, l’entreprise espère récupérer entre 500 kg et une tonne de fibres longues à partir de 2 tonnes de jeans usagés. De quoi confectionner entre 1.000 et 2.000 jeans tout neufs.
De deviendront les fibres courtes ? Le gérant de L’Equipe 1083 a son idée en tête. « Les fibres textiles de type viscose ou tencel sont obtenues à partir de cellulose naturelle tirée notamment de la pulpe de bois. C’est un processus industriel assez lourd étant donné le volume de la matière première. A l’inverse, les fibres de coton courtes sont plus faciles à dégrader sous forme cellulosique. C’est pourquoi, nous réfléchissons à des solutions avec les filatures européennes. Une alternative serait de créer une filière industrielle locale », conclut-il.

L’entreprise drômoise L’Equipe 1083 (40 salariés, chiffre d'’affaires de 50 millions d’€) s’est enracinée il y a un peu plus de deux ans dans une vallée vosgienne, à Rupt-sur-Moselle. Son ambition ? Couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur, de la matière première au produit fini. Concrètement, le chantre du jean français a repris en 2018 les activités de filature et de tissage de Valrupt Industries, son fournisseur de denim, en redressement judiciaire.
Dirigée par Denis Heinrich, l’entreprise séculaire rebaptisée Tissage de France (35 personnes, chiffre d’affaires de 4 millions d’€) a complété ses activités l’automne dernier avec un atelier de confection : un investissement de 1,1 million d’€ dans des machines à coudre soutenu par le plan France Relance. Il vise à tripler les capacités de fabrication de jeans français.
Par ailleurs, en l’absence de filière de formation de couturiers et couturières, le syndicat textile de l’Est, en partenariat avec le Greta et Pôle emploi, a bâti un programme sur mesure de recrutement/formation pour Tissage de France et ses homologues souhaitant relocaliser les opérations de confection.
Photos fournies par l'entreprise