AVIS D’EXPERT/HORLOGERIE. Après six années de croissance à deux chiffres, l’horlogerie suisse se replie sur le Swiss made, supprime des emplois mais continue d'investir en R&D.
C’est dans cette étroite voie que les sous-traitants franc-comtois peuvent tenter leur chance, avec des composants ou outillages irréprochables en termes de coût, délais et qualité, et s’inscrivant sur des marchés de niche.
Telle est l’analyse de Christian Juif, consultant et invité par le pôle Microtechniques à décrire ce marché à haute valeur ajoutée.

« Préparer l’avenir dans le secteur horloger », tel était le sujet d’une journée technique dédiée au secteur du luxe organisée dernièrement par le Pôle Microtechniques à Besançon. Une thématique qui s’inscrivait dans le contexte de baisse de l’activité horlogère helvétique, dont les exportations ont diminué de 3,3% en 2015, après six ans d’euphorie.
Une petite baisse de forme aux causes multiples – la variation du taux de change du franc suisse, la baisse des commandes de Hong-Kong, la concurrence de la montre connectée, la politique anticorruption en Chine… – et qui légitimement inquiète le tissu sous-traitant franc-comtois, qu’il travaille déjà avec ce secteur à forte valeur ajoutée ou qu’il envisage de le faire.
Consultant opérant sur le marché suisse du luxe pour le compte de la société CCHM (Consultant Composants Horlogerie & Médical), Christian Juif décrit avec justesse la diversité du secteur de l’horlogerie suisse : un marché qui compte des marques horlogères s’appuyant sur des sociétés partenaires mais aussi des marques gérant elles-mêmes leurs projets, des sociétés indépendantes et d’autres appartenant à des groupes de luxe, « extrêmement verticalisées », à l’image de Swatch qui sait tout faire, de l’injection à la céramique en passant par les mouvements.
De surcroît, ce marché essaie au maximum de limiter l’apport extérieur, avec des entreprises très attachées à leur canton.
« Il y a chez les Suisses un esprit de protection très fort, et la volonté de développer des “places de travail” pour les locaux », rapporte Christian Juif. Leur préoccupation, poursuit-il, est de faire baisser le chômage. Parce que le personnel est long à former et que les entreprises ne veulent pas avoir à payer plus de charges pour couvrir le taux de chômage.
Les Suisses grattent le moindre centime

« La Suisse est un village, un pays de réseau, les Suisses travaillent sur le long terme, sont très libéraux et sont là pour faire du business et de l’argent. On discute les prix, on gratte les centimes. L’esprit est différent et il est question de liberté d’entreprendre, de mobilité et d’emploi. Ce sont des éléments à prendre en compte. »
Quant au monde horloger, l’expert le décrit comme quelque chose de très particulier : « avec une histoire, une culture, des traditions et de l’innovation, le souci de la perfection et de la performance. Il faudrait aussi s’imprégner de la culture du canton, de ses traditions, de sa religion… »
Autrement dit, pour les sous-traitants français : le marché n’est pas facile à percer ! Et d’autant moins dans le contexte actuel, avec des entreprises qui commencent à licencier après avoir épuisé toutes les mesures possibles.
Elles ont recours à l’intérim et au chômage technique, ou RHT (réduction de l’horaire de travail, une mesure dont la durée a été allongée de 12 à 18 mois début 2016, et jusqu’en juillet 2017, en raison des variations du taux de change).
« Mais cela ne veut pas dire que les horlogers suisses ne continuent pas à investir dans les moyens de production et la R&D. Nous voyons ainsi arriver une révolution du kit d’usinage dans les cinq à dix ans à venir, avec des outils qu’on n’imaginait pas il y a encore cinq ans. ».
Là, selon Christian Juif, il y a du business à faire. « Rolex et Swatch regardent tout, sont à l’affût de tout ce qui est innovant, ils veulent être les premiers à utiliser les nouvelles techniques. »
La place pour les composants français est très étroite

Dans ce contexte de recherche de baisse de coûts de production et de repositionnement marketing – notamment pour contrer l’arrivée de la montre connectée, dont on ignore encore si elle sera un phénomène de mode ou une tendance durable – le label Swiss made est une arme que les entreprises vont brandir davantage.
Et avec les 60% minimum du prix de revient de la tête de montre que ce label exige, « la place pour les composants français est très étroite », convient Christian Juif.
Pour entrer sur ce marché très concurrentiel et protégé, le spécialiste énumère plusieurs conditions nécessaires : la flexibilité, un savoir-faire très particulier, des prix compétitifs, des délais courts et respectés.
« On peut aussi y accéder si l’on est performant sur un marché de niche et, pour se battre sur le Swiss made, il est parfois utile d’avoir un bureau de représentation ou une usine côté Suisse.»
Enfin, dernier conseil : « il faut créer des liens et travailler sur le long terme. Le mieux est d’y entrer quand l’activité est forte, c’est à ce moment-là qu’il y a des besoins. »
Qui est Christian Juif ?
Ce responsable du développement joaillerie d’une grande société suisse horlogère, formé à l’Horlo (le lycée microtechniques bisontin, aujourd’hui le lycée Jules Haag), avait démarré sa vie professionnelle dans le découpage-emboutissage avant de diriger une société de découpe laser, à Besançon, puis une société de cadrans, à Charquemont, puis un site « sur Suisse ».
Il est aujourd'hui consultant chez Consultant Composants Horlogerie & Médical (CCMH) à Neuchâtel.