AGROALIMENTAIRE. Depuis bientôt quatre mois, Jean Philippe Girard (53 ans), fondateur et dirigeant du groupe dijonnais Eurogerm, préside l’Association Nationale des Industries Alimentaires (ANIA).
Comment aborde-t-il cette nouvelle fonction, quels sont ses principaux axes de travail, est-il de taille à redonner confiance au consommateur après plusieurs scandales, notamment celui de la viande de cheval…, ?
Explication avec le patron de la première filière économique française qui dénonce la guerre des prix bas et souhaite que son organisation réintègre le Medef, présidé par Pierre Gattaz.
Quelles activités recouvre l’ANIA et quelles sont ses missions ?
L’ANIA est une association Loi de 1901, née en juillet 1968, qui réunit 20 fédérations nationales sectorielles, organisées par métiers, et 21 associations régionales. Elle emploie 22 personnes, dispose d’un budget d’environ 4 millions d’€ et regroupe pas moins de 13 500 entreprises alimentaires de tous secteurs et de toutes tailles.
Précisons que l’agroalimentaire est la première filière industrielle nationale avec, en 2012, un chiffre d'affaires de 160,9 milliards d'€. Elle est aussi le premier employeur hexagonal avec 495 000 salariés. Outre une mission de promotion et de valorisation, l’ANIA est l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics et des institutions sur tous les dossiers concernant l’agroalimentaire.
Comment se porte la filière agroalimentaire française ?
Elle résiste à la crise, mais sa progression, et c’est une première, ne devrait être que de 1% cette année. L’arbre cache toutefois la forêt, car 5000 emplois sont menacés actuellement et une entreprise tombe chaque jour. Nous perdons en compétitivité et à l’international. Les 9 milliards d’excédents de la balance commerciale à notre actif ne sont le fait que de trois secteurs : les céréales, les vins et spiritueux, et le lait. Les autres sont en négatif.
N’êtes-vous pas collectivement responsables de cette situation, si l’on évoque quelques scandales récents comme celui de la viande de cheval dans les plats cuisinés ?
Oui, c’est pourquoi je plaide pour la plus grande sévérité envers les fraudeurs et que je milite pour un renforcement drastique des contrôles. Les brebis galeuses n’ont rien à faire chez nous. On ne peut pas trahir la confiance du consommateur sous peine d’aller dans le mur et provoquer la mort certaine de pans entiers de nos activités. Il n’y a aucun de compromis à avoir sur le sujet.
Quelle stratégie allez-vous alors conduire durant ce mandat de trois ans ?
Je m’emploie avec toute l’équipe de permanents et un collège de sept vice-présidents à remettre le consommateur au coeur de nos actions. Il exige avant tout de la transparence. Nous venons en ce sens d’ouvrir un site baptisé alimexpert, où il peut poser toutes sortes de questions sur le contenu d’une assiette.
Avec un autre site, alimevolution, nous lui racontons l’histoire de la fabrication des aliments et l’évolution des technologies mises en œuvre. Le 14 novembre, nous présentons alimetiers, un troisième site dédié à mieux faire connaître nos multiples professions dans le but d’attirer des vocations surtout parmi les jeunes. Être boulanger ou charcutier, c’est exercer, à mes yeux, un beau et noble métier.
Quelles réponses souhaitez-vous apporter au gaspillage alimentaire, et tout spécialement à celui généré par la grande distribution ?
Ne montrons pas du doigt untel ou untel. Le gaspillage est de la responsabilité de tout le monde. Il existe chez l’agriculteur, lors de la collecte, dans nos industries, sur les lieux de vente et dans les foyers, avec près de 20 kg jetés par an et par habitant.
Je travaille sur ce sujet avec Guillaume Garot, le ministre délégué à l’agroalimentaire, et nous allons trouver des solutions. On pourrait notamment s’inspirer de ce que fait en Bourgogne, Fondalim, qui a obtenu des déductions fiscales pour les professionnels qui donnent et ceux qui transportent au profit des associations humanitaires ou d'entraide. La meilleure des solutions consiste toutefois à adopter un comportement dicté par bon sens. Petit, dans mon Haut-Jura natal, on m’a maintes fois répété : « finis ta soupe et ne jette pas le pain ».
Autre sujet qui fâche, que comptez-vous faire contre le sur-emballage ?
Le consommateur français le demande, car il préfère acheter des produits conditionnés en petites portions, contrairement à nos voisins allemands. Il convient donc de se diriger vers la conception d’emballages intelligents. Ce sera l’une des réflexions que je vais conduire dans le cadre du Conseil national des industries, voulu par Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif. Je dois être tout prochainement nommé par décret président du plan industries alimentaires.
Vous intéressez-vous également à l’huile de palme, à l’excès de sucre ou de sel dans certains produits, aux boissons énergisantes… ?
Je n’ai aucun sujet tabou. Il faut juste savoir écouter les instances sanitaires, bien informer et bien éduquer. Tout produit peut être bon, s’il est jugé sain et n’est pas consommé avec excès. L’alcool en est un exemple. Manger ou boire doit rimer avec plaisant, à savoir : plaisir et santé.
Quant à l’huile de palme, elle fait vivre des économies entières, notamment celle de Malaisie. Aidons-les à mieux gérer leurs forêts au lieu de s’émouvoir dans un fauteuil devant un écran de télévision.
Homme de consensus, vous dénoncez pourtant avec la plus grande vigueur la guerre des prix bas au sein de la grande distribution. Pensez-vous être entendu sur ce point ?
Oui, car c’est un suicide à court terme qui met même en danger ceux qui pratiquent cette stratégie. On doit payer ce que l’on achète au juste prix. Ce genre de méthode de vente va faire disparaître des milliers de PME. Elle tue l’emploie. Le comparateur de prix, c’est un suicide organisé. Je vais rencontrer en ce sens les dirigeants des sept grandes enseignes françaises.
L’ANIA ne fait pas partie du Medef, pourquoi ?
Ne revenons pas sur le passé. L’ANIA va réintégrer bien évidemment le Medef et y occuper toute sa place. J’en parlais il y a peu avec Pierre Gattaz qui est un homme remarquable.
Question plus personnelle : durant la campagne de ce printemps pour désigner le président de l’ANIA, on vous a présenté comme le porte-parole des PME contre les grands groupes. Etes-vous boudé par ces derniers ?
Les journalistes font leur travail, mais la réalité est parfois autre, même si j’ai vécu une semaine difficile juste avant l’élection. Une fois élu, tous les représentants des grands groupes sont venus me voir en disant : « nous sommes légitimistes et allons travailler avec toi ».
Eurogerm, votre entreprise cotée et en plein développement international, ne risque t-elle pas de souffrir de votre absence ?
Voilà bien longtemps qu’Eurogerm est parfaitement structurée. Lorsque que je présidais la Fédération nationale des Banques Populaires, c’était déjà une fonction très chronophage. Aujourd’hui Benoît Huvet, le directeur général d'Eurogerm, pilote au quotidien l’entreprise avec onze cadres stratégiques. Je ne suis pas pour autant tout le temps absent. Le lundi et le vendredi, je m’occupe de ma société. Les autres jours de la semaine, je suis à l’ANIA et le week-end en famille.