En dépit des méventes causées par la fermeture des magasins, le fabricant alsacien de chaussettes a bien tenu la barre en 2020, avec le concours d’une activité inédite, la fabrication de masques. Labonal est en train de revoir l’ensemble de ses modes de distribution et le positionnement de ses gammes, sur un marché qui reste tiré par les prix bas des produits importés, concurrence à laquelle ne résiste pas encore l’engouement du made in France.
Les chaussettes Labonal ont rarement pantouflé depuis les vingt ans de leur nouvelle ère. Mais la Covid-19 figurera en bonne place au palmarès des mises à l’épreuve du fabricant de Dambach-la-Ville (Bas-Rhin). « Nous avons subi comme tout le monde le premier confinement et sans doute plus que d’autres le second. Novembre constitue en effet un gros mois pour nous. Et sur l’ensemble de l’année, nous avons cumulé trois mois de fermetures de magasins », relate le PDG Dominique Malfait.
Mais la PME a su faire le dos (très) rond : elle a limité le recours au chômage partiel de ses 85 salariés permanents aux premières semaines de confinement général et elle a même terminé l’année en légère augmentation de chiffre d’affaires, de 7 % par rapport à 2019 pour atteindre un total de 6,8 millions d’€.
Accompagnée d’un « léger » bénéfice, cette croissance n’aurait cependant pas été au rendez-vous sans les masques : l’entreprise a participé à la mobilisation générale de l’industrie textile alsacienne pour produire plus de 500.000 exemplaires qui ont généré 1,2 million d’€ de chiffre d’affaires. Et le nouveau tour de vis sanitaire en cours oblige Dominique Malfait à rester prudent.
« A début mai, nous accuserons un retard d’activité de 500.000 € par rapport aux prévisions de l’année », alors que celles-ci tablent sur une nouvelle hausse qui permettrait de dépasser les 7 millions d’€ de chiffre d’affaires. Le dirigeant se montre d’autant plus contrarié que cette « urgence » de combler le décalage vient se greffer sur un intense travail de fond de relance.
Une nouvelle fois depuis qu’il a repris Labonal (acronyme de LA BOnneterie d’ALsace) en 1999 à Kindy qui voulait fermer l’usine, Dominique Malfait a remis le métier sur l’ouvrage pour identifier les forces et faiblesses du fabricant de chaussettes, l’un des derniers de France. Et ainsi lui faire tirer son épingle du jeu sur un marché où règnent prix bas et importations. Cette constante l’avait mené au bord du précipice en mars 2017, avec un redressement judiciaire conclu par un plan de continuation 11 mois plus tard.
De dominante, la vente sous marque de distributeur continue de perdre du terrain

Ce travail de relance prend des aspects multiples. Il balaie pratiquement tous les canaux de distribution du producteur alsacien. Les détaillants d’abord, au nombre de 1.200, se voient proposer un deal original : la privatisation en quelque sorte d’une petite partie de leur point de vente par Labonal. Le chaussetier aménage son bout de magasin dans le leur, à ses frais, et se réserve une place en vitrine.
« Le détaillant prend la marge de distribution et nous-mêmes, nous investissons 20.000 à 25.000 € mais nous nous épargnons les charges de magasin et gagnons une meilleure visibilité en choisissant quelques points de vente à bon emplacement en centre-ville. Les bilans des premières expériences sont globalement positives, traduisant une hausse des ventes », décrit Dominique Malfait. Les magasins pionniers se localisent depuis l’an dernier à Paimpol, Compiègne et Mont-de-Marsan et depuis quelques mois en Alsace, à Haguenau, Colmar et bientôt Guebwiller (fin mai). Labonal poursuit l’objectif d’un déploiement sur une centaine de magasins, soit un par département français en moyenne.
Dans les magasins en propre du fabricant, le même schéma se reproduit dans les grandes lignes, mais en sens inverse : la marque prête un espace à d’autres, incarnation comme elles du made in France. C’est le cas avec Le Garçon Français et le Chic Français. Labonal en possède six, à Dambach-la-Ville à côté de l'usine, Obernai et Strasbourg (Bas-Rhin), Mulhouse (Haut-Rhin), Besançon (Doubs) et Paris.
« Nous espérons un regain de trafic et la venue d’une clientèle complémentaire pouvant générer une croissance de 25 % du chiffre d’affaires des magasins », souligne le dirigeant. Labonal mise par ailleurs sur la certification bio « Gots » (Global organic textile standards) de sa marque « La Frenchie » et sur une dynamique constatée de ses ventes en ligne que la Covid-19 n’a fait qu’amplifier. De plus, la PME a démarré depuis quelques mois des opérations de déstockage public.
Tout ce brassage vient appuyer la mutation du modèle économique de Labonal. Autrefois dominante, la vente sous marque de distributeur est tombée à 11 % et va continuer sa descente entre 5 et 10 %, au profit de la vente sous marques propres : Labonal et depuis bientôt trois ans « La Frenchie » sur un créneau intermédiaire, de 7 à 10 € la paire, située entre le basique de l’hypermarché de 3 à 6 € et le haut de gamme de la marque historique (12 à 15 €).

La distribution en marques propres dans les grands magasins (Galeries Lafayette, Monoprix…) passe à 15 %. La PME se fixe l’objectif de monter à plus de 50 % cette année la part de la vente directe, constituée de ses magasins, des nouveaux espaces dans les points de vente partenaires, du web et à un degré moindre des boutiques mobiles sur les marchés.
Outre le déstockage, quelques canaux comme la vente par correspondance ou celle en jardineries complètent ce schéma, orienté vers la quête de plus fortes valeurs ajoutées. « Le volume de production baisse, autour d’1,5 million de paires annuelles, tandis que le chiffre d’affaires augmente », appuie Dominique Malfait. Qui espère connaître enfin quelques moments de stabilité.
A moyen terme, le dirigeant de Labonal caresse l’envie de transformer les vénérables locaux de Dambach-la-Ville, héritiers d’une saga industrielle débutée il y a bientôt cent ans, en 1924. Les déstockages en apportent une préfiguration.
L’idée consiste à compacter les surfaces de production pour gagner de la place pour des sources de revenus complémentaires comme le tourisme industriel, le partage de bureaux, ou l’hébergement de start-up.