PLASTURGIE/CÔTE-D’OR/HAUTE-SAÔNE. Pour rendre les pièces plastiques injectées plus légères, Automotive Performance Materials (APM) ajoute de la fibre de chanvre aux polymères.
La filiale à 50/50 de la coopérative agricole Interval à Arc-lès-Gray (Haute-Saône) et de l’équipementier automobile Faurecia, vient de décrocher son troisième contrat pour le modèle Mégane de Renault.
L'entreprise implantée à Fontaine-lès-Dijon (Côte-d’Or), espère séduire d’autres équipementiers automobile et projette d’exporter son procédé en Chine et aux Etats-Unis.

Le mariage de l’agriculture et de l’industrie n’est pas si incongru. Même si d’apparence, Eurochanvre à Arc-lès-Gray (Haute-Saône) et Automotive Performance Materials (APM) à Fontaine-lès-Dijon (Côte-d’Or) semblent appartenir à deux mondes opposés.
Chez le premier, transformateur de paille de chanvre, les machines sont des batteuses qui en séparant le bois de la paille - appelée chévenotte - et la fibre - l’écorce de la tige - remplit le hangar de poussière comme au passage d’une moissonneuse.
Chez le second, situé à 55 kilomètres de son fournisseur, on fabrique des granulés pour la plasturgie qui, une fois fondus, donneront de la matière plastique contenant au moins 20% de fibres de chanvre.
En plus de la plante dont la culture avait été abandonnée dans les années 60 au profit des fibres textiles synthétiques, leur point commun est capitalistique.
Eurochanvre et APM sont toutes les deux sont filiales de la coopérative agricole Interval (chiffre d’affaires de 221 millions d’€, 440 salariés). Depuis fin 2014, un industriel les a rejoint. L’équipementier automobile Faurecia est devenu actionnaire d’APM, au même niveau (50/50) qu’Interval.

Cette co-entreprise est l’héritière d’AFT Plasturgie à Fontaine-lès-Dijon que les producteurs de chanvre de La Chanvrière de l’Aube et d’Interval avaient créée en 2001.
« Faurecia apporte les débouchés commerciaux au travail de recherche et développement effectué depuis des années », commente Philippe Guichard, directeur d’Interval.
AFT Plasturgie avait développé une fibre de chanvre technique qui, mélangée avec une résine thermoplastique, granulé pour injection plastique. APM l’a rendue industrialisable.
« Nous avons réussi à intégrer les fibres naturelles dans la technique de moulage par injection, sans modification du parc de presses à injecter, et pour un surcoût faible, voire nul », expose Raphaël Berthoud, directeur d’APM.
Et surtout, APM a convaincu les constructeurs automobile que la fibre naturelle n’impacte pas la résistance du matériau et la sécurité du véhicule. « La présence de Faurecia dans le capital nous a aidé », convient le directeur.
Des pièces injectées allégées de 20 à 25 %
Le premier contrat fut les panneaux de porte de la Peugeot 308 de PSA fabriqués avec 20% de chanvre. Prochainement, ce sera au tour du tableau de bord de la Guilia d’Alfa Roméo. Et d’ici la fin de l’année, celui de la Mégane de Renault contiendra la même proportion de chanvre.

APM a ainsi produit 4.200 tonnes de granulés de chanvre en 2015 et vise 6.000 tonnes en 2016. Son chiffre d’affaires de 1,8 million d’€ l’an dernier, avec 20 salariés, devrait passer 3,2 millions cette année.
Olivier Le Friec, directeur de la communication de Faurecia l’évoque : la première motivation n’est pas écologique. Les équipementiers partagent la quête croissante des constructeurs automobile vers une réduction du poids des véhicules, car plus ils sont légers, moins il consomment de carburant et au final, ils rejettent moins de CO2.
Ajoutée à une résine thermoplastique dans une proportion de 20%, la fibre de chanvre allège de 20 à 25 % le poids les pièces injectées. « Pour la grande planche de bord de la nouvelle Giulia d’Alfa Romeo, le gain de poids s’élève à 17 % par rapport à une planche de bord conventionnelle », précise Pierre Demortain, responsable Initiatives stratégiques matières injectées chez Faurecia. La Mégane, quant à elle, gagnera 1,3 kg.
Panneaux de porte, structures de planche de bord, conduits d’aération, supports de colonnes…. La liste des composants automobile va s’allonger au fur et à mesure des améliorations techniques et esthétiques. Pour l’heure, seuls les éléments cachés ou recouverts sont fabriqués en plastique de chanvre, à défaut d’obtenir pour l’instant une couleur uniforme à cause de micro morceaux de chévenotte, le bois de la tige de chanvre.
Convaincre d'autres équipementiers

APM se donne comme objectif de réussir d’ici 2020 à produire un granulé sans la moindre poussière de chévenotte, ce qui permettra de fabriquer des pièces visibles. L’entreprise espère aussi se faire référencer auprès d’autres constructeurs et équipementiers, même concurrents de Faurecia. « Car plus on fera de volume, meilleur sera le prix », précise le directeur.
Le développement de sa technologie passe aussi par l’international. En 2017, la société compte s’installer en Chine, gros producteur de chanvre et aux Etats-Unis avec le Canada comme fournisseur de la matière première, puis en Amérique du Sud à l’horizon 2018.
Son but ultime est de fabriquer un compound 100% biosourcé. APM dit avoir des résultats techniques satisfaisants avec de l’amidon de maïs et de tapioca mélangé à du chanvre.
« Le matériau répond à toutes les obligations du cahier des charges des constructeurs automobile, mais le prix est presque que deux fois plus élevé sans compter que nous cherchons à remplacer la matière végétale servant à l’alimentation humaine par des déchets », explique Raphaël Berthoud.
Qui est Interval ?

Interval est une coopérative céréalière qui regroupe 5.346 agriculteurs de Bourgogne Franche-Comté. Ses principaux revenus proviennent de la collecte de céréales et protéagineux (soja, tournesol, colza) pour 113 millions d’€.
En 1993, elle a installé ses premières cultures de chanvre industriel, une plante qui présente l’avantage de ne nécessiter aucun traitement phytosanitaire. Aujourd'hui, elle cultive 2.000 ha de chanvre industriel dans l’Est de la France, principalement en Bourgogne Franche-Comté.
En 1996 démarre l’usine de transformation Eurochanvre, à Arc-lès-Gray (Haute-Saône) et cette filiale de la coopérative commence à commercialiser la chénevotte, le bois de la tige pour le paillage horticole, comme litières pour animaux.
