La Haute-Marne compte plusieurs parcs et jardins remarquables, un label attribué par le Ministère de la Culture pour leur intérêt botanique ou historique. Découverte à l’occasion des rendez-vous au jardin des 4 et 5 juin derniers qui donnent le la aux visites estivales.
• Au château de Cirey-sur-Blaise, la vie de châtelain au 21e siècle
La vie au château de Cirey-sur-Blaise, au nord de Chaumont, ne diffère guère de celle vécue par ses propriétaires successifs depuis le premier seigneur connu, Arnoult, à la fin du 12e siècle. Elle semble s'écouler hors du temps. A une – énorme – exception toutefois : les « châtelains actuels », Adelaïde et Thierry Pringalle mettent la main à la pâte pour entretenir les lieux. Et avec quelle énergie !
Le couple exploite la ferme attenante (en photo ci-dessous. © Traces Ecrites), dédiée à un élevage de 130 vaches charolaises et à la culture de céréales, la forêt qui l’entoure, pilote les visites (aidés par un guide en saison touristique) et, chantier infini, maintient le patrimoine en bon état, partiellement inscrit aux Monuments historiques et à l’inventaire supplémentaire. Ils se font successivement peintres, menuisiers, jardiniers…
« Pendant le confinement, nous avons repeint à l’ocre et huile de lin, toutes les menuiseries et charpentes des écuries », confie Adelaïde Pringalle, au cours de la visite de la ferme qu’elle prépare à l’ouverture au public, en 2023 ou 2024, lorsque poulailler, pigeonnier et porcherie auront été remis à neuf. Le séchoir à gibier, à proximité, sera aussi rénové comme lieu de pique-nique.
Le clou de la rénovation sera sans aucun doute, le jardin du 18ème siècle, attenant à la ferme, qui s’étend sur 5 hectares. Créé par ses illustres occupants pendant 15 ans, Voltaire et Emilie du Châtelet, il retrouve sa géométrie initiale version 21e siècle. Adelaïde Pringalle (en photo ci-dessous. © Traces Ecrites) parle de récupération des eaux de pluie des toitures pour arroser les hydrangeas récemment plantés le long du mur des écuries. La grande allée et les carrés du potager et du jardin fleuri ont été redessinés. Ils sont replantés avec la sobriété que requiert aujourd’hui un jardinage responsable : fleurissement résistant, fruitiers et petites haies de charmilles.
« On reconstruit le jardin petit à petit – cet automne on ajoutera des rosiers –, dans l’esprit d’un entretien supportable – car on fait beaucoup par nous même – et dans le respect de son aspect d’autrefois. »
Le parc du chateau se visite (*) librement, indépendamment du château (ou en même temps). Il livre un second point d’intérêt pour les amateurs de jardins.
Le long du canal alimenté par la rivière Blaise, un jardin romantique du 19ème siècle, révèle au gré d’une déambulation, une collection d’arbres (platanes, tulipiers de Virginie…), des petits coins fleuris avec goût. Point de pelouse à l’anglaise : là aussi les propriétaires ont fait une réinterprétation contemporaine de l'art des jardins, laissant herbes et plantes sauvages s’épanouir le long des allées.
Le château, dans la famille d’Adélaïde Pringalle depuis le 19e siècle grâce à des industriels encore actifs dans l’Est, Les Viellard (**), séduit pas moins de 4.000 visiteurs par an, attirés par l’omniprésence de Voltaire. Fuyant Paris après la publication des dérangeantes « Lettres philosophiques », il y trouva refuge de 1734 à 1749, invité par sa maîtresse la marquise du Châtelet, mathématicienne et physicienne, autre brillant esprit du siècle des Lumières.
Fort dépensier, avec la fortune de l’infortuné marquis du Châtelet, il fait agrandir le château pour y mener une vie mondaine comme à Paris, en toute sécurité à la frontière de la Lorraine où il aurait pu s’enfuir en cas de besoin, celle-ci ne faisant pas partie du royaume de France. La visite des intérieurs révèlent deux endroits particulièrement étonnantes, le minuscule théâtre sous les combles et en sous-sol, les impressionnantes cuisines.
• Le château du Grand Jardin transformé en lieu culturel
Ce sont trois facettes de l’aménagement paysager qu’offre le château du Grand Jardin à Joinville, plus au nord de la Haute-Marne. Ses 4,50 hectares de jardins en bordure de la Marne, se déclinent en un jardin dit à la Française, un vaste parc arboré et des parterres de simples.
Le premier remonte aux origines du « pavillon de plaisance » que s’était fait bâtir au 16e siècle, Claude de Lorraine, le premier duc de Guise, non pas pour y vivre mais y festoyer. Sa résidence, disparue à La Révolution française, se trouvait en face et en surplomb d’une forteresse moyenâgeuse. Formé d’entrelacs et de formes géométries toutes différentes, délimitées par des petites haies de buis, les parterres sont ornés de 36 topiaires d’ifs et de buis taillés en boules, cônes et spirales.
« Un carré demande une semaine de travail à deux jardiniers », explique Julie Piront (photo ci-dessus. © Traces Ecrites), guide à l’office de tourisme de Joinville. A l’époque de Claude de Lorraine qui y trouvait là un havre de paix, après avoir mené batailles (notamment la fameuse de Marignan) pour François 1er, « le jardin était un élément important de la manifestation du pouvoir des Guise », poursuit-elle. Tout autant que l’architecture de la Renaissance française, avec ses façades et sculptures ornementales à la gloire des faits d’armes du maître des lieux.
Le parc dit « pittoresque » est beaucoup plus récent. On le doit au maître de forges Pierre Salin-Capitain qui l’avait racheté au 19e siècle aux héritiers de la famille d’Orléans, successeure des Guise. Typique des parcs anglais du début du 18e siècle, il abrite des essences rares ou exotiques comme on les aimait à l’époque : tulipiers de Virginie, cyprès chauves, arbres aux 40 écus, hêtres pourpres. « La nature était présentée dans son aspect le plus naturel, tout en étant soigneusement aménagée comme un tableau, avec des jeux de lumière et d’ombres, des perspectives, des touches de fleurs de couleur », décrit Julie Piront.
Sur tout le pourtour du parc, 15 espèces et 153 variétés de buis forment une collection labellisée « nationale » depuis 2018. Le buis forme aussi un labyrinthe de verdure, qui était un lieu d’amusements et de rendez-vous galants. On peut encore s’y perdre aujourd’hui pour atteindre en son centre, l’arbre du paradis, greffé de quatre variétés de pommes.
La promenade mène ensuite, face à la terrasse du château, au jardin des simples (photo ci-dessous. © Traces Ecrites) avec leurs plantes médicinales, aux carrés de fleurs à couper variant au fil des saisons — 5.500 sujets sont plantés à la mi-mai et autant de bulbes à l’automne — et au verger composé en espaliers.
Le Conseil départemental de la Haute-Marne qui a acquis le domaine en 1978, a complètement restauré le château, Monument historique depuis 1925, et les jardins, pour en faire un lieu touristique et d’animation culturelle. Dans la grande salle d’apparat du 16e siècle se préparait, le jour de notre visite, une pièce de théâtre.


Pour cet itinéraire de découverte de jardins « extraordinaires », deux suggestions dédiées au gite et au couvert. Une halte au domaine de cinq hectares de la Source Bleue, à Gudmont-Villiers, près Villiers-sur-Marne, commune située entre Joinville et Chaumont, permet d’allier détente et gastronomie. L’établissement tire son nom d’une source vraiment bleue (photo ci-dessus. © Traces Ecrites) qui alimente un étang (photo ci-dessous. © Traces Ecrites). Ce dernier doté d’un barrage fournissait jadis l’énergie à une papeterie.
C’est dans ce vieux corps de bâtiment qu’officie le chef François Thuillier qui aime plus que tout cuisiner le poisson. Et notamment la truite. Sa femme Nathalie veille au confort de ses hôtes leur offrant pour la nuit le choix entre 11 chambres, une suite familiale, au style Art Déco, et deux roulottes. Une adresse également très agréable pour organiser un événement. Informations et réservation : +33 3 25 94 70 35, reservation@hotelsourcebleue.com

A Thonnance-les-Joinville, le restaurant de la Côte Verte, que dirige depuis sept ans Aurélie et Rudy Robbe, se veut aussi incontournable. Lui aux fourneaux, elle au service avec une équipe aussi efficace que sympathique, proposent une cuisine traditionnelle, mais originale. Le ris de veau aux morilles avec son jus réduit au porto en fait se damner plus d’un.
L’établissement doit son nom à une vertigineuse colline verte qui le domine. De nombreux touristes, notamment allemands, connaissent cette adresse sur la même commune que Les Jardins de mon Moulin. Aussi, est-il prudent de réserver : 03.25.94.03.63 et la-cote-verte@orange.fr
• Les jardins de mon Moulin, des bénévoles collectionneurs de pivoines mais pas que
Comme son nom l’indique, ce jardin s’est déployé dans l’environnement d’un ancien moulin à force de persévérance et de passion de Philippe Lefort (en photo ci-dessous. © Traces Ecrites), le propriétaire des lieux à Thonnance-lès-Joinville. Les vedettes qui déplacent des bus de touristes, ce sont les pivoines dont la floraison se termine en ce moment. Mais la saison du jardin n’est pas finie, insiste t-il. « On attend les hydrangéas, et en juillet, le jardin est magnifique avec les hostas, les graminées et les sauges. » Des plates-bandes à l’anglaise forment ici et là sur les 2 hectares, des tableaux fleuris.
N’empêche que ce sont les pivoines qui ont fait la réputation des Jardins de mon Moulin : 850 variétés en provenance du monde entier, forment ce conservatoire national (CCVS). Philippe Lefort est parti d’une page blanche il y a 20 ans. « La pivoine est une des plus jolies fleurs, sa floraison généreuse se décline en de nombreuses couleurs et deux catégories, les herbacées qui disparaissent l’hiver et les arbustives. » La pépinière en plein champ en atteste.
Les bénévoles de l’association gestionnaire des lieux et les deux jardiniers salariés à temps partiel en font la culture en dédoublant les pieds mères tous les 3-4 ans. Une source de revenus pour compléter la recette des 5.000 entrées annuelles.
Toutes les photos © Traces Ecrites
Informations pratiques
- Château de Cirey-sur-Blaise
Visites guidées de l'intérieur du château, dimanche 12 juin 2022, 15h et 16h30- Parc ouvert tous les après-midis à l'exception du samedi 25 juin. Visite libre du jardin, 5 € et avec la visite guidée du château, 9,50 €.
Horaires de juillet et août sur le site du château : www.chateaudecirey.com
- Château du Grand Jardin à Joinville
Actuellement et jusqu’à fin août, ouvert du lundi au dimanche, 9h30 - 19h00 avec des visites guidées tous les jours. Tarifs individuels de 3 à 5 €.
Plus de détails sur le site de l'office de tourisme de Joinville.
- Les jardins de mon Moulin
Ouverts de mai à début octobre, du jeudi au dimanche et les jours fériés, 10h-12h et 14h-18h30. Entrée 7 € et tarif réduits pour les moins de 12 ans. www.lesjardinsdemonmoulin.fr
(*) La famille d'industriels Vielliard qui détient toujours des poids-lourds de l'industrie en Franche-Comté, notamment le groupe Lisi. Armand Viellard est l'arrière-arrière grand-père d'Adelaïde Pringalle, de son nom de jeune fille de Salignac Fénelon. Il acquit le château de Cirey en 1892 et l'apporta en dot au mariage de sa fille avec Jean de Salignac Fénelon.