Le risque de galvauder le destin culturel d’un produit noble, et semer la pagaille sur les marchés. (BIVB /armellephotographe.com)
Le risque de galvauder le destin culturel d’un produit noble, et semer la pagaille sur les marchés. (BIVB /armellephotographe.com)

VITICULTURE. Mi-décembre dernier, un lobby composé d’une quinzaine de pays membres de l’UE a gagné une première bataille hautement symbolique.

La Commission européenne propose désormais un système de régulation pour tempérer la suppression des droits de plantation de la vigne planifiée en 2016.

Aux premières loges de ce combat qui vise à éviter le grand dérapage annoncé de la production du vin : la Bourgogne.

Retour sur un feuilleton à la fois dramatique et révélateur de nos contradictions européennes.

Avis d’expert déjà publié dans Bourgogne Magazine sous la plume de son directeur de publication, Dominique Bruillot.

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En France, le régime des droits de plantation est né en 36, en même temps que les congés payés. C’est presque un signe. Il faudra attendre à nouveau 36 ans pour que la communauté européenne en adopte le principe.

Mais le vent de la libéralisation balayant beaucoup de choses parmi d’autres, il risque désormais d’emporter avec lui ce qui fait encore les fondamentaux de la bonne régulation du monde du vin.

Allant jusqu’à programmer l’acte le plus anarchique possible : faire sauter l’encadrement des plantations dès 2016 pour donner la possibilité, au plus grand nombre et sur l’ensemble de la communauté européenne, de faire pousser la vigne où bon lui semble. Y compris dans des contrées exotiques ou dans des lieux improbables, au risque de galvauder le destin culturel d’un produit noble, et semer la pagaille sur les marchés.

D’un point de vue plus technique, cela permettrait d’ouvrir l’AOC (appellation d'origine contrôlée) et l’IGP (ex-vins de pays) à tout terroir respectant un cahier des charges. Pire, c’est un passeport au large pour les vins sans indication géographique, qui pourront jouer comme jamais de leurs étiquettes ronflantes pour mieux masquer des rendements et des pratiques œnologiques peu digestes.

Rien que sur les terres sacrées du vin, on pourrait ainsi tripler les productions d’AOC. En Bourgogne par exemple, la surface exploitée est de 28 000 hectares à ce jour. Celle éligible à un élargissement de l’AOC est de plus du double. A l’échelle des régions françaises, le rapport est de un à trois : moins de 500 000 hectares plantés pour plus d’1,6 million disponibles.

D’un côté on imagine pouvoir démocratiser l’accession aux vignobles, de l’autre on bafoue le cadre élémentaire d’une production raisonnée, la seule capable d’éviter les dérives de la surconsommation d’alcool. (Crédit photo : BIVB)
D’un côté on imagine pouvoir démocratiser l’accession aux vignobles, de l’autre on bafoue le cadre élémentaire d’une production raisonnée, la seule capable d’éviter les dérives de la surconsommation d’alcool.
(Crédit photo : BIVB)

Des crus à Riga ou à Groland ?

Ce potentiel dynamiterait les repères existants, modifierait les paysages (comme des vignobles qui descendent dans la plaine), perturberait l’environnement et l’aménagement du territoire.

Il multiplierait à l’envi les routes touristiques des vins et menacerait directement les petites exploitations familiales qui ne trouveraient plus de salut sur un marché de masse et sans âme.

Ici, le politiquement correct s’oppose au politiquement correct. D’un côté on imagine pouvoir démocratiser l’accession aux vignobles, de l’autre on bafoue le cadre élémentaire d’une production raisonnée, la seule capable d’éviter les dérives de la surconsommation d’alcool et la paupérisation d’un système basé sur la qualité.

Des crus à Riga ou à Groland, en Moldavie ou en Lituanie, ce serait comme mettre de la foutaise en bouteille, lancer un appel au meurtre des appellations contrôlées, appauvrir jusqu’à l’extrême onction la dimension hautement culturelle du produit que nous vénérons tous (ou presque) en Bourgogne.

Ceci étant posé, les réactions n’ont pas tardé. Treize pays sur les 27 que compte l’Union européenne (soit la majorité moins un), tous producteurs reconnus de vins, sont vite montés au créneau auprès de la Commission européenne pour imposer une modification sensible de la législation avant l’échéance effrayante du 1er janvier 2016.

«La Bourgogne s’est retrouvée en première ligne du combat», clame François Patriat, président de la Région. L’ex-ministre de l’Agriculture (2002) connaît bien son sujet.

Il a su renouer avec la tradition locale des croisades, embarquant dans son sillage l’ensemble des forces vives d’un territoire emblématique. Sans trop de difficulté il est vrai, tant le bon sens bourguignon impose de protéger des AOC de prestige tout autant que des génériques qui seraient directement menacés par de telles perspectives. Il en a même fait une «question politique», au sens large du terme.

Nicolas Sarkozy lui-même, qui n’est pourtant pas réputé pour son addiction aux grands crus, a qualifié l’idée européenne de catastrophe. (Crédit Photo BIVB / Bernuy J.L.)
Nicolas Sarkozy lui-même, qui n’est pourtant pas réputé pour son addiction aux grands crus, a qualifié l’idée européenne de catastrophe. (Crédit Photo BIVB / Bernuy J.L.)

Treize à table

Globalement, personne ne nie que la rigidité actuelle du régime des droits de plantation peut encourager la Commission européenne à lâcher du lest.

De là à lever tous les garde-fous… La CAVB (Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne) en appelle à la «réintroduction d’un instrument qui permette de maîtriser le potentiel de production, tant pour les AOC que les IGP et les vins sans IG (indication géographique)».

Le tout pour «accompagner le développement des exploitations et la diversification des productions tout en assurant un équilibre entre l’offre et la demande». L'ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, qui n’est pourtant pas réputé pour son addiction aux grands crus, avait qualifié l’idée européenne de catastrophe.

En avril 2010, neuf pays (Allemagne, France, Italie, Chypre, Luxembourg, Hongrie, Autriche, Portugal, Roumanie) ont alerté la Commission, rejoints peu après par trois autres (Espagne, République tchèque et Slovaquie), puis (juste retour de la solidarité européenne ?) par la Grèce en novembre 2011.

Le lobby s’est un peu étoffé depuis, jusqu’à ébranler le mastodonte bruxellois. Chaque avancée sera désormais saluée comme une bataille gagnée.

La proposition de la Commission européenne, mi-décembre, de «mettre en place un système de régulation qui s’appliquerait à l’ensemble des États membres et sur toutes les catégories de vins» a donc été accueillie avec un grand enthousiasme.

Pour autant, ne pas crier victoire. Le chemin qui mène à la raison est long et semé d’embûches dans un système dont le calendrier électoral est souvent source de paralysie administrative. Une fois encore, la technocratie est une épée de Damoclès avec laquelle il faudra composer.

Pour y répondre, levons donc notre verre d’AOC «normale» aux futures avancées sur le sujet.

 

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