MONNAIE. A quelques semaines de l’élection présidentielle, les analyses portant sur la sortie éventuelle de l’euro et le retour au franc se multiplient. Ce scénario, inenvisageable il y a quelques mois, redevient possible à la faveur des incertitudes de la période.

Les partisans du retour au franc partent d’une idée simple. L’instauration d’une nouvelle monnaie redonnerait à la France sa souveraineté monétaire, lui permettant ainsi de faire fluctuer sa monnaie et de s’exonérer des contraintes d’un euro fort.

Une conséquence évidente est bien sûr la baisse du franc par rapport aux monnaies de référence — dollar, euro, yen —, qui apporterait une

plus grande compétitivité des produits français à l’exportation.

Si cette équation est exacte au plan des principes, elle s’accompagne d’un grand nombre d’incertitudes juridiques et techniques.

Petite leçon d'économie avec Bruno Duchesne, directeur général de la Banque Populaire de Bourgogne - Franche-Comté.

 

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Existe-t-il un cadre juridique pour sortir de l’euro ?

 

Dans les faits, aucun traité européen ne prévoit cette situation, à savoir la sortie de l’euro sans la sortie de l’Union Européenne (UE). Le seul article qui pourrait être utilisé est l’article 50 du traité de Lisbonne adopté en décembre 2009.

Mais il lie Union Européenne et euro pour les pays qui l’utilisent, et supposerait une articulation complexe pour passer de l’une à l’autre monnaie dans la négociation.

Plus simplement, les principes du droit international prévoient que chaque état a la possibilité de créer ou de remplacer sa monnaie. C’est probablement en vertu de ce principe que le franc pourrait être utilisé comme nouvelle monnaie, avec une parité fixée par le Gouvernement.

 

Quelle serait la valeur du franc ?

 

Fondamentalement, le choix du retour à une monnaie nationale a pour objectif d’améliorer la compétitivité des entreprises françaises, en faisant baisser le franc par rapport à l’euro.

Personne, en l’état, n’est capable d’anticiper ou de modéliser précisément la baisse de valeur d’une nouvelle monnaie dans cette hypothèse.

Plusieurs scénarios ont été étudiés par les économistes qui imaginent une baisse possible entre 10 et 30 % de ce nouveau franc par rapport à l’euro.

 

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Mais alors, quel traitement pour la dette publique et la dette privée ?

 

Une transformation à parité de l’euro vers un nouveau franc aura évidemment des conséquences sur la valeur de la dette. Plusieurs situations méritent d’être analysées.

En droit international, les dettes privées sont soumises aux règles du pays d’émission. Or, un tiers des dettes privées françaises, en particulier celles des grands groupes, sont émises dans d’autres pays ou avec un autre droit que le droit français.

Concrètement, cela signifie que 1.000 milliards d’€ de dettes privées françaises devraient rester libellées en euro, entraînant de facto, compte tenu de la dévaluation compétitive du Franc, une hausse du coût de 10 à 30 % pour les entreprises privées.

En ce qui concerne la dette publique, la règle est plus simple, puisqu’elle est naturellement soumise au droit français, mais dans le même temps, 60 % de la dette publique française, soit 1.200 milliards d’€, est détenue par des étrangers.

Un changement de monnaie pourrait être analysé par les créanciers comme étant un défaut, particulièrement dans l’hypothèse où la monnaie serait dévaluée. Ce défaut amènerait une exigibilité immédiate de la dette et mettrait de facto la France en faillite.

Une façon de lutter contre cette situation serait d’augmenter très significativement les taux d’intérêt servis pour une dette libellée en franc, avec pour conséquence tout aussi immédiate un renchérissement très significatif du coût de la dette publique dans le budget de l’état.

 

Pour quel effet sur l’inflation ?

 

Très rapidement, après l’instauration de la nouvelle monnaie, l’inflation sera importée, les prix de tous les produits achetés à l’étranger, et tout particulièrement les matières premières, augmenteront.

Le renchérissement de ces importations, accompagné de la hausse inéluctable des taux d’intérêt - analysée précédemment - produira nécessairement une hausse très significative des prix.

Faire financer la dette publique par la Banque de France, comme c’était le cas jusqu’en 1973, ne règle en rien cette question, puisque la création de masse monétaire produit également de l’inflation.

Ainsi, mécaniquement, les prix augmenteront de façon très significative dans la foulée de l’arrivée de la nouvelle monnaie.

 

bduchesneL’épargne des français serait-elle réellement protégée ?

 

La perspective de la baisse de valeur de la nouvelle monnaie entraînera évidemment une défiance de la part des épargnants.

Face à cette situation, les agents économiques auront tendance à conserver leurs avoirs en euros pour les convertir en francs, une fois la première dévaluation passée.

En Grèce, les ménages sont allés retirer massivement leurs euros dans les banques, fragilisant le système bancaire et obligeant l’état à instaurer un contrôle des retraits d’argent et un contrôle des changes.

 

Une fois le premier choc passé, la situation peut-elle se stabiliser ?

 

Face aux incertitudes majeures amenées par un scénario de sortie de l’euro, il est peu probable que l’équilibre économique de l’Union Européenne demeure en l’état.

L’Espagne ou l’Italie ne pourraient se satisfaire de porter, pour compte commun, la parité de l’euro, alors même que la Grande Bretagne, sortie de l’Union Européenne, et la France sortie de la zone euro, pourraient grâce à leur souveraineté globale ou monétaire, mener des politiques économiques autonomes.

Il y aura alors fort à parier que la contagion gagnerait ces pays, avec des conséquences dont personne ne mesure les effets.

 

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Au final, chimère ou martingale ?

 

Ainsi, si tout le monde s’accorde à reconnaître que la sortie de l’euro amènerait de facto une baisse de la nouvelle monnaie permettant une compétitivité accrue des entreprises françaises à l’international, ce changement entraînerait un degré maximal d’incertitude.

Le cadre juridique demeure flou, et pour le moins inédit. Personne ne peut anticiper la baisse réelle de la valeur du franc, avec pour corollaire une grande difficulté à chiffrer les bénéfices ou les risques de cette dévaluation de fait.

Le traitement de la dette, qu’elle soit privée ou publique n’est absolument pas sécurisée. Environ 2.200 milliards d’€ de dette, dont 1.000 milliards de dette privée et 1.200 milliards de dette publique seraient soumis soit à une hausse très significative, soit à un risque juridique d’exigibilité immédiate, faisant courir un risque de faillite à de nombreux acteurs économiques.

L’inflation reprendrait à coup sûr, dans des proportions vraisemblablement importantes, gonflées par l’augmention du prix des importations et par des taux d’intérêt en forte hausse.

L’épargne à court terme serait elle aussi menacée, car aucun agent économique rationnel n’acceptera de voir son épargne convertie dans une monnaie dévaluée, entraînant de facto des retraits massifs et fragilisant le système bancaire.

Enfin, personne ne peut sérieusement imaginer qu’au sein de l’Union Européenne, la 2ème puissance économique puisse revenir à une monnaie nationale, sans que cela n’entraîne des mouvements de même nature au niveau des pays voisins.

En résumé, l’abandon de l’euro pour un retour au franc est une idée simpliste, une chimère absolue, ouvrant une période d’incertitudes sans précédent, avec des risques très forts pour les épargnants, pour les emprunteurs, pour les consommateurs, et fondamentalement pour l’équilibre économique de l’Union Européenne.

3 commentaire(s) pour cet article
  1. La rédactiondit :

    Merci de ce dernier témoignage monsieur Guiboux, Permettez-nous juste de préciser que nous sommes également un media en ligne spécialisé sur tout l'Est. Et que si Bruno Duchesne choisit de publier régulièrement sur notre site d'information économique, c'est que peut-être il y trouve un lectorat attentif et fourni. Le rédaction

  2. Guiboux Jean-Bernarddit :

    Merci Monsieur DUCHESNE pour cet article très clair et très pédagogique. Il serait intéressant qu'il soit publié dans des revues économiques spécialisées 'Les Echos ou autres...) mais aussi dans des quotidiens régionaux. Il aurait été également intéressant qu'il serve d'appui au débat présidentiel d'hier soir. Chacun aurait pu réagir et on aurait certainement eu un débat moins soporifique que celui auquel on a assisté. (à quelques morceaux de bravoure près)

  3. Collarddit :

    Excellent article qui devrait être distribué à tous les électeurs en même temps que l'envoi des professions de foi des candidats !

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