CRÉDIT FOURNISSEUR/GRAND EST. Selon la Banque de France, les retards de paiement coûtent 15 milliards d’€ de trésorerie aux PME. Ils seraient même à l’origine d’une faillite sur quatre (source : Altares).
Pour lutter contre ce mal bien français, la loi dite de modernisation de l’économie (LME) impose des plafonnements et des sanctions relativement dissuasives.
Sans grand succès, sachant que sur le premier trimestre 2015, à peine plus d’une entreprise sur 3 (36,8%) paye ses factures sans retard.
Pire, le retard moyen atteint 13,3 jours, situation que n’avait pas connu l’économie française depuis 10 ans.
Face à ce problème, une brigade LME intervient au sein de chaque direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).
Samuel Julien, 33 ans, est l’un des inspecteurs travaillant en Bourgogne. Il a accepté de nous expliquer sa mission et la manière tout en psychologie dont il s’en acquitte.
• Merci de nous rappeler la loi en vigueur concernant les délais de paiement.
La législation les plafonne, soit à 60 jours nets, soit à 45 jours fin de mois. Des délais dérogatoires existent toutefois : plus longs dans l’univers du vin et plus courts pour les transports routiers (30 jours) ou encore les fruits et légumes (30 jours, fin de décade).
• Quand intervenez-vous pour mettre un terme à des abus ?
Avant toute chose, je voudrais préciser que nous parlons bien ici de victimes, de chefs d’entreprise qui n’iront presque jamais devant un tribunal pour faire reconnaître leur bon droit. Et ce, en vertu du principe qu’on ne mord pas la main qui vous nourrit. Reste qu’il y a un sérieux grain de sable dans la mécanique économique et que notre rôle consiste de l’ôter, car le fournisseur ne doit pas servir de banquier et mettre en péril son existence.
Nous intervenons en fonction d’enquêtes sectorielles décidées par notre ministère de tutelle (économie et industrie), sur plaintes signées de leurs auteurs, mais également sur signalement qui garantit systématiquement l’anonymat. L’ensemble des brigades LME doit réaliser au moins 2500 contrôles par an, dont 70 dans des grands groupes.
• Comment intervenez-vous ?
Nous mettons déjà tout en œuvre pour éviter d’éventuelles mesures de rétorsions envers tel ou tel fournisseur de l’entreprise qui est contrôlée. C’est-à-dire que nous noyons le poisson lors d’un contrôle en épluchant globalement le grand livre clients et le grand livre fournisseurs et, au besoin, en remontant jusqu’à trois exercices en arrière. Mais sachez qu’un mauvais payeur le sera presque toujours avec tout le monde.
Sinon, nos contrôles se passent sur rendez-vous ou à l’improviste. Nous restons en général une journée et notre interlocuteur est la plupart du temps le directeur administratif et financier (DAF). La sanction n’est aujourd’hui plus pénale et va du simple avertissement avec un nouveau contrôle à venir, à l’amende. Cette dernière atteint au maximum 75 000 € pour les personnes physiques et 375 000 € pour les personnes morales, mais nous les proportionnons en fonction des circonstances.
Encore plus dissuasif dans certains cas, la publication de l’infraction sur le site Internet de l’entreprise comme dans la presse spécialisée et l’amende peut être doublée s’il y a récidive. S’il y a contestation de notre PV très détaillé, l’entreprise peut faire un recours car la procédure est toujours contradictoire.
• Comment êtes-vous reçu ?
Cela se passe presque toujours bien et je n’ai jamais eu à connaître une opposition à fonctions qui, elle, est punie jusqu’à deux années d’emprisonnement.
Nous recherchons vraiment la meilleure des solutions possibles. Si quelqu’un pratique systématiquement les retards de règlement, c’est peut-être qu’il en est victime lui aussi.
• Qu’invoque-t-on comme mauvaises excuses pour se justifier ?
Elles sont multiples et variées : qu’il y a eu retard dans l’envoi de la facture ; qu’un litige existe ; que la facture n’a pas le bon code demandé ; que les délais internes de validation sont longs ; que le fournisseur n’a émis aucune réclamation… Elles ne tiennent généralement pas longtemps face à nos investigations.
• Avez-vous le sentiment d’être vraiment efficace ?
On ne l’est jamais assez, mais j’ai cet exemple révélateur à vous citer. Il s’agissait d’un fournisseur, dépendant pour 30 à 40% de son chiffre d’affaires d’un client qui le payait systématiquement et sans discussion possible à 90 jours. Nos collègues d’une autre région sont allés contrôler ce dernier directement à son siège social et tout est bien vite rentré dans l’ordre. On a sans doute évité là de très graves difficultés à cette PME.
C’est pourquoi, j’en profite pour lancer un appel. Alertez-nous, ce n’est pas de la délation et la loi de l’ormerta n’est jamais la solution, surtout en situation de crise.
Les retard de paiement début 2015 dans le Grand Est.
Six entreprises sur dix en moyenne payent avec retard dans les deux futures grandes régions.
Alsace : paiement sans retard : 34,8% ; retard moyen en jour : 12,9.
Bourgogne : paiement sans retard : 42,8% ; retard moyen en jour : 10,9.
Champagne-Ardenne : paiement sans retard : 40,5% ; retard moyen en jour : 11.
Franche-Comté : paiement sans retard : 41,9% ; retard moyen en jour : 11,4.
Lorraine : paiement sans retard : 38,1% ; retard moyen en jour : 12,4.
Les autres missions de la Direccte et comment bien facturer :
http://www.bourgogne.direccte.gouv.fr/concurrences
Crédits photos : Traces Écrites