Il y a quelques jours encore, bien peu d’entre nous imaginaient possible le scénario d’un second reconfinement. Pourtant, c’est à la fois résignés et sidérés que nous avons entendu le 28 octobre le Président de la République l’instaurer pour une durée de quatre semaines, au moins. Il ne m’appartient pas de commenter la situation sanitaire : je n’en ai ni les compétences, ni l’envie. En revanche, il me semble nécessaire de s’interroger sur la situation économique à l’issue de ce second reconfinement, dont nous disions tous, au début de l’été, qu’il ferait s’écrouler définitivement l’économie française. Par Bruno Duchesne, directeur général de la Banque Populaire de Bourgogne - Franche-Comté.

 

• Quelle était la situation réelle de la France à mi-octobre 2020, avant le nouveau reconfinement ?

La baisse du PIB attendue sur l’année était de l’ordre de 9 %, entraînant une chute des recettes publiques d’environ 100 milliards d’€. Ce chiffre n’était pas si mauvais en soi, car le déconfinement a permis de rattraper une partie du retard observé de mars à mai 2020, et les chiffres attendus pour 2021 nous situaient à des niveaux de PIB équivalents à ceux d’avant crise.
Ces résultats, en France, ont été rendus possibles par des politiques d’intervention massive, à la fois des Pouvoirs Publics et de la Banque Centrale, mais également par un soutien très significatif de l’ensemble du système bancaire.
Ainsi, au 15 octobre, 125 milliards d’€ de prêts garantis par l’Etat (PGE) avaient été accordés à 600.000 entreprises, et environ 25 milliards d’€ d’échéances avaient été décalés par les banques françaises. Pour résumer, début octobre, l’horizon économique semblait enfin se dégager.

 

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• Mais la crise sanitaire se rappelle cruellement à nous depuis quelques jours, et nous impose de nouvelles restrictions...

C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons. Ce second reconfinement est différent du premier, à la fois parce qu’il laisse les écoles et les services publics ouverts, et une partie très significative de l’activité économique fonctionner.
La baisse de PIB supplémentaire enregistrée sur 2020 sera probablement de 2.5 %, portant le retrait du PIB de 9 à 11.5 %, et entraînant une nouvelle baisse des recettes publiques à hauteur d’environ 30 milliards d’€.
Face à cette situation, l’Etat poursuit ses interventions massives, en maintenant les dispositifs de chômage partiel, en proposant, avec l’accord des banques, le report au 30 juin 2021 des souscriptions des Prêts Garantis par l’Etat, et en ajoutant au dispositif de remboursement de ces mêmes PGE, un an de franchise.

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Le rebond économique suite au déconfinement avait relancé l'industrie. © Traces Ecrites


• Ces mesures d’urgence suffiront-elles ?

En réalité, nul ne le sait, car nous entrons dans une période où, assez vraisemblablement, à chaque période de déconfinement va succéder un reconfinement destiné à freiner la maladie. Seule l’arrivée d’un vaccin permettra de retrouver une activité économique normale. Les deux questions qui se posent alors sont les suivantes :
- Y a-t’il une limite à l’endettement de l’Etat ?
- L’empilement des dettes et des moratoires au profit des acteurs privés peut-il sauver l’économie du pays ?

Sur le premier thème, la réponse est clairement : oui, il y a une limite aux capacités d’endettement d’un pays. Elle est liée à sa propre capacité de remboursement, et s’analyse de façon assez simple par les déficits structurels, se définissant comme le déficit total diminué de la charge de la dette.
En France, ce déficit structurel, qui se situait à 2 % du PIB en 2019, est passé à 5 % en 2020 et s’établit de façon tendancielle à 4 %. Ce chiffre est de fait très préoccupant, car aujourd’hui, à part une hausse massive des impôts, la France ne dispose d’aucun plan d’action permettant un retour à court terme à une trajectoire soutenable.

 

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La deuxième question est plus complexe encore, car elle relève de la microéconomie.
A fin septembre, les premières estimations montraient qu’environ 85 % des entreprises bénéficiaires d'un PGE pourraient le rembourser sans difficulté, et que les 15 % restants mériteraient une analyse plus détaillée afin de trouver des solutions sur-mesure. Ces mêmes estimations montraient que, dans 5 % des cas, les entreprises concernées ne pourraient vraisemblablement pas faire face à leurs engagements, et pourraient avoir recours à une procédure collective.
C’était à la fois beaucoup en valeur absolue, 30.000 entreprises et environ 6 milliards d’€ de PGE non remboursés, mais finalement assez peu en valeur relative pour solder une crise inédite et fondamentale. Le nouveau reconfinement rebat les cartes, parce que les secteurs à risques se concentrent sur 20 % de l’économie générale. Ces secteurs sont connus : le tourisme, la restauration, l’hôtellerie, l’événementiel, l’aéronautique... Ils doivent être analysés, non pas avec une perspective de sortie à l’issue du deuxième reconfinement, mais avec une perspective de reconfinement régulier survenant au moins jusqu’à la fin du 1er semestre 2021.

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Fin septembre, les observateurs estimaient 85 % des entreprises bénéficiaires d'un PGE pourraient le rembourser sans difficulté. © Traces Ecrites


• Est-il encore trop tôt pour bien analyser ces situations ?

 

Elles doivent l’être en prenant en compte à la fois des assouplissements apportés aux PGE, et des outils de fonds propres annoncés par le gouvernement à hauteur d’environ 20 milliards d’€ qui pourraient être libérés à compter de la fin 2020.
La période de mars à mai de cette année nous a montré combien les PME avaient une formidable capacité d’adaptation. Elle nous a montré aussi que l’Etat mobilisait des ressources gigantesques pour soutenir l’économie, et que le système bancaire était au rendez-vous.
Ce deuxième reconfinement doit être mis en perspective, en imaginant qu’il va se reproduire à intervalles réguliers. Il va à nouveau nécessiter une intervention massive de l’Etat, un soutien sans faille des acteurs bancaires, mais surtout des trésors d’inventivité et d’adaptation de l’ensemble des acteurs économiques.
Espérons que début décembre, les Français seront au rendez-vous de la consommation et de l’investissement, ce serait le plus beau cadeau qu’ils pourraient faire aux entrepreneurs du territoire.

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