Avec en toile de fond changement climatique et impérieuse nécessité de transition écologique, l’article vini-viticole que nous vous proposons appartient au « journalisme fiction », mais s’appuie sur des projections scientifiques étayées. Car si la tradition et le bon sens paysan ont toujours du bon, le progrès accéléré des recherches permet de tracer des contours fiables de ce que sera la Bourgogne viticole et son vin, en 2030. Les deux se rejoignent parfois avec la redécouverte de pratiques ancestrales tombées dans l’oubli. Un grand merci au bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB) et son pôle technique, tout spécialement à Jean-Philippe Gervais et Camille Buissière, de s’être prêtés à l’exercice.
• En prélude
En 2030, la segmentation du vignoble entre les grands crus, premiers crus, villages et régionales n'aura pas bougé. Cette hiérarchisation séculaire des vins de bourgogne semble inscrite dans le marbre. En revanche, le cahier des charges des 84 appellations référencées pourrait évoluer vers plus de liberté.
Et c’est aux professionnels regroupés au sein de chaque organisme de défense et de gestion (ODG) de décider de cette opportunité. « Il faut que tout change pour que rien ne change », selon la célèbre réplique de l’aristocrate italien Giuseppe Tomasi di Lampedusa, dans son roman publié à titre posthume : Le Guépard, tourné au cinéma par Luchino Visconti.

• Le paysage viticole se transformera-t-il ?

Le paysage viticole présentera sans doute en certains endroits une physionomie différente avec l’apport de plus de diversité, en l’occurrence de biodiversité. Des arbres, notamment fruitiers, et des haies, dans l’esprit de l’agroforesterie intègreront les vignobles. À l’image de ce que l’on pouvait voir début au 19ème siècle.
L’écartement des pieds de vignes pourrait aussi plus large pour mieux aérer les rangs. A certaines périodes de l’année, des filets anti-grêle les recouvriront, ainsi que, vraisemblablement, des tunnels d’air chaud et des câbles chauffants pour lutter contre le gel de printemps. De la même façon, des filets d’ombrage et la pose de panneaux photovoltaïques modifieront ponctuellement certains panoramas viticoles.
• Les méthodes culturales évolueront-elles ?

L’état des sols n'aura pu que se bonifier grâce à l’éradication quasi-totale de la plupart des produits phytosanitaires, bio et biodynamie fédérant de plus en plus d’adeptes. L’enherbement sera généralisé avec un désherbage mécanique maîtrisé par l’appui de robots viticoles. Une meilleure préparation des terrains en profondeur favorisera l’infiltration des eaux de pluies pour limiter au maximum le ruissellement sur les coteaux.
Grâce à la progression des recherches sur les mycorhizes - connexion entre des champignons et les racines des plantes –, on pourra mieux sélectionner en pépinière des plants plus résistants et ensemencer les sols cultivés pour offrir plus de résilience. Le rognage ou écimage des vignes laissera place au tressage, évitant ainsi le stress de la plante, respectant mieux son cycle végétatif et offrant une ombre portée salutaire sur le rang d’à côté. Une pratique principalement réservée aux grands crus. Des changements interviendront également au niveau de la densité de plantation.
• Le matériel végétal changera-t-il ?

La réponse est oui sans risque, mais avec retenue. Modifier l’encépagement principal (Pinot Noir et Chardonnay) est un des leviers importants pour s’adapter au changement climatique. Cette évolution se fera toutefois à la marge à hauteur de 5% des plantations et de 10% en terme d’assemblage final des vins. Des variétés de plants plus résistants, tant aux maladies qu’au réchauffement, sont actuellement testées comme le Voltis et le floréal pour les assemblages blancs et, le Vidoc et l’Artaban en ce qui concerne les rouges.
De nouveaux porte-greffes - une vingtaine - offrent des marques d’intérêt pour le vignoble bourguignon, car plus résistants à la sécheresse pour venir atténuer la précocité des maturités. Des études fiables démontrent en effet que les températures d’avril à septembre augmenteront dans les prochaines décennies de 1,9°C à Chablis, 1,8° à Beaune et 1,7° à Mâcon. De quoi réagir…
• Des changements interviendront-ils au niveau de la vinification et de l’élevage ?

Des outils de pilotage de plus en plus fins permettront de déceler le potentiel de garde d’un vin comme beaucoup mieux maîtriser le taux d’acidité. Toujours grâce aux avancées technologiques, les étapes de pressurage et de débourbage - clarification des moûts avant fermentation - pour les vins blancs et les rosés seront des leviers sur lesquels agir en amont de la fermentation.
Pour l’élevage, on jouera sur les volumes avec des tonneaux de différentes contenances. L’apport de SO2 (dioxyde de soufre) aux effets antioxydants et antiseptiques, devrait également être réduit à sa plus simple expression. En terme de bâti, les cuveries ou chaix de vinification devront bénéficier de travaux pour approcher de plus en plus la neutralité carbone.

• Boira-t-on au final le même vin qu’aujourd’hui ?

De tout ce qui précède, on peut affirmer que le vin de bourgogne, rouge comme blanc, conservera toutes ses caractéristiques de pureté, d’élégance et de fraîcheur. On peut y ajouter une diversité aromatique plus large. En résumé, on boira des vins très reconnaissables à ceux d’aujourd’hui, avec sans doute une forte montée en qualité des vignobles moins connus, pour ne pas dire moins prestigieux, tel ceux des Hautes-Côtes de Beaune, comme de Nuits et d’Irancy.
Le mot de la fin, laissons-le à la viticultrice Francine Picard qui dirige les domaines familiaux de la maison de vin qui porte son nom et qui cadre en grande partie à nos propos :
« Faut-il regarder mourir bon nombre de vignerons poussés vers la sortie par les effets parfois dévastateurs de l’évolution climatique. Faut-il rêver de débouchés commerciaux des vins de Bourgogne entièrement orientés vers des consommateurs riches, très riches, de plus en plus riches. Faut-il attendre que les organes de l’Etat nous imposent des règles arbitraires et politiques. Faut-il continuer à se laisser guider par des réflexions encore trop conservatrices. (…)
Ne serait-il pas vital de changer notre mode de pensée, trop individualiste, segmenté, compartimenté, politisé ? Les effets de l’évolution du climat ne se manifestent pas différemment selon que les vignes appartiennent à une maison de négoce, à un vigneron indépendant, bio, coopérateurs, une ex-icône, une future star… »