ÉVASION/HAUTE-MARNE. La migration des grues cendrées et de nombreuses autres espèces d’oiseaux au lac du Der, près de Saint-Dizier (Haute-Marne), génère une activité touristique singulière. Des ornithologues amateurs de la France entière et d’Europe du nord viennent observer les colonies d’oiseaux qui y font escale par milliers. Découverte avec Gérard Rolin, guide ornithologue.


Chaque automne, ils sont des centaines plantés au bord du lac du Der en Champagne (Haute-Marne) des heures durant, à braver le vent et parfois la pluie, pour observer la migration des grues cendrées. Le moment à ne pas manquer est le lever du soleil, par temps clair. L’envol des oiseaux fait le régal des ornithologues et des amateurs de photographie, les uns comme les autres équipés de longues lunettes de vision et de lourds zooms, posés sur d’indispensables pieds.
La grue cendrée, l’un des plus grands oiseaux d’Europe avec ses deux mètres d’envergue, vient là pour faire une pause nocturne dans sa longue migration des pays d’Europe du nord où elle passe l’été, vers le Sud principalement l’Espagne. Sur une saison, les comptages faits par la Ligue de protection des Oiseaux (LPO) Champagne-Ardenne évaluent les colonies d’oiseaux à y faire escale à environ 250.000.
Mais les hivers de moins en moins rigoureux font de l’Est de la France, un lieu d’hivernage de plus en plus fréquenté. Par son étendue – 48 km2, soit la superficie de la ville de Reims, épandage des crues de la Marne pour régulariser celles de la Seine, et 77 km de rives –, le lac du Der devient le dortoir le plus septentrional pour près de 20.000 grues. La Lorraine aussi, en particulier la Meuse, accueille également les oiseaux pour l’hiver (4.000 dénombrés l’hiver 2017-2018).
Les premiers départs massifs commencent fin octobre, début novembre, période qui suscite même une fête de la grue tout autour du lac. Le petit matin est très prisé des observateurs, car qu’ils soient migrants ou résidents saisonniers, les oiseaux s’envolent pour grapiller et les racines des plantes et les derniers grains de maïs des champs jusqu’à une trentaine de kilomètres à la ronde. Les migrants doivent reprendre des forces car ils parcourent un millier de kilomètres sans s’arrêter. La configuration caractéristique du vol en forme de V leur permet d’économiser 10% de leur énergie, précise Gérard Rolin.
200 espèces sur le lac du Der aux différentes saisons


Gérard Rolin fait partie de ces passionnés qui ont fait de l’ornithologie leur métier. Ancien prof d’anglais dans un lycée agricole, il s’est installé suite à la fermeture de son établissement en 2016 comme guide ornithologique avec le statut d’auto entrepreneur. Entre l’invitation à regarder un vol de vanneau huppé, qu’il reconnait d’un seul coup d’oeil par son aigrette, et un vol de cygnes tubercules qu’il identifie cette fois à l’oreille (le bruit des battements d’ailes), il raconte comment il a démarré, au concours « La start-up est dans le pré de Saint-Dizier » qui invite des porteurs de projet à le formaliser en un week-end.
Des équipes se constituent pour défendre mutuellement leur projet : « Personne n’a cru au mien, jusqu’à ce que l’un des coachs me dise, je vous suis si vous trouvez un véhicule dans les deux heures. » Qu’à cela ne tienne : les bonnes relations conservées avec les responsables de son ancien établissement scolaire lui permettent d’acquérir tout de suite un van qu’il a depuis peint aux couleurs de son activité baptisée Birder (bird signifiant oiseau en anglais). Et il décroche le coup de coeur du jury avec six mois d’hébergement gratuits à l’Espace créateurs d’entreprises de Saint-Dizier.
Depuis il accompagne les amateurs d’oiseaux ou les simples curieux, pendant quelques heures à plusieurs jours, sur les rives du lac du Der et des étangs environnants, et les plus expérimentés dans des voyages plus lointains, en Afrique du Sud, dans le delta du Danube, au Kkazakhstan.
La compagnie de Gérard Rolin permet de ne pas se contenter du spectacle des envols, regardé par le public principalement depuis le site de Chantecoq, à l’ouest du lac, où un observatoire est aménagé. Aux néophypes, il égraine des noms d’oiseaux, parfois pour la première fois entendus, et narre leur mode de vie. Les grues ne sont pas les seules à séjourner l’hiver au lac du Der et à en faire leur lieu de reproduction avant de repartir à la fin du printemps.
Il y a des cygnes chanteurs, des cygnes de Bewick (résidents de Sibérie), des petits oiseaux d’Afrique du Sud, des grèbes huppés, des sternes, des garrots (canards nordiques), des faucons pélerins, autrement appelés Formule 1 des airs.… « ll n’est pas rare d’observer 90 espèces en deux jours », précise Gérard Rolin. Au total, on estime à 200, le nombre d’espèces visibles sur le lac à différentes saisons.
Aux amateurs déjà avisés, il donne quelques tuyaux. Comme à cet observateur belge qui s’étonnait d’un envol soudain de plusieurs espèces. « Un pygargue à queue blanche n’est pas loin », lui souffle t-il. Quelques secondes plus tard, le photographe immortalise le rapace, le seul prédateur à loger au lac du Der, et formule mille remerciements à l’ornithologue pour lui avoir permis d’ajouter cet oiseau rare à son tableau de chasse.


La leçon d’observation dévie vers une discussion sur le changement climatique. L’ornithologue qui avant d’en faire son métier, a observé les oiseaux de longues années pendant ses loisirs, le constate. La présence de la grande aigrette et du goéland leucophée dénonce la disparition de zones marécageuses en Europe de l’Est . « Des espèces nichent de plus en plus loin de leur lieu de résidence. » L’impact de l’homme sur les milieux naturels s'observe aussi, tels que cet étang proche du lac du Der que son propriétaire s’emploie à faire classer en réserve naturelle pour interdire la pêche qui a fait fuir les oiseaux.
A son apogée, de septembre à fin novembre, puis en février-mars, la migration des oiseaux est devenue une activité touristique significative au lac du Der. On estime que la moitié des visiteurs de ce coin de Haute-Marne viennent pour les observer.
Un lac pour limiter les crues de la Seine

Le village-musée du lac du Der se situe au nord du lac, dans l’Aube, à Sainte-Marie du Lac-Nuisement. Il raconte l’histoire de ce réservoir de 48 km3 achevé en 1974 pour limiter les crues de la Seine dans la capitale. Trois villages ont été engloutis : Chantecoq, Nuisement aux Bois et Champaubert aux Bois qui réunissaient 221 habitants. Le projet remonte à la terrible crue de 1910 qui avait inondé Paris. Le réservoir de Champaubert, antérieur, ne suffisait plus pour réguler les crues.
La ville de Paris y associa un projet touristique pour convaincre population et élus locaux. L’établissement public territorial de bassin Seine Grands Lac, propriétaire encore aujourd’hui, gère les niveaux d’eau. Le lac se remplit de décembre à juin pour réguler les crues. L’été, le lac rend à la rivière (la Marne) les eaux accumulées en hiver, autorisant les activités nautiques, de pêche et de baignade. Le niveau varie ainsi de 4.800 hectares à 1.000 hectares d'eau.

Le musée à ciel ouvert est la reconstitution d’un village d’autrefois dont la pièce maîtresse est l’église de Nuisement, sauvée des eaux. Elle a démontée et reconstruite pièce par pièce en 1971. Elle est caractéristique des églises de cette partie de la Champagne, entre Haute-marne, Marne et Aube.
La construction est à pans de bois (ou colombages) avec des murs en torchis fait d’argile et de paille d’avoine, recouverts d’un enduit à la chaux. La façade ouest est tavillonnée, c’est à dire recouverte de petites planches cloutées qui rappellent les travaillons jurassiens.
La maison du forgeron de Nuisement a également retrouvé sa place initiale près de l’église. Également démontée et remontée, elle accueille la buvette du musée. D’autres églises à pans de bois constituent un circuit de découverte qui permet de voir au passage cette architecture typique dans les fermes et habitations des villages. Outines, Lentilles, Puellemontier, Bailly-le-Franc sont quelques-unes d’entre elles.

Guide pratique
Se loger : La Maison des Officiers à Montier-en-Der, ancienne maison du directeur du haras national transformé en centre équestre.
Pour découvrir les oiseaux : Gérard Rolin, Birder ; également randonnées organisées de fin octobre à mi-mars par le village- musée de Sainte Marie du Lac : 03 26 41 01 02.
Autres événements dans l’année : Le festival international de la photographie animalier et de la nature à Montier-en-Der et les villages environnants, dont l’édition 2019 aura lieu du 14 au 17 novembre. Comment exposer ici - Festival des cultures urbaines du 20 au 25 avril 2019 à Saint-Dizier (Haute-Marne)- Festival BD Bulles en Champagne à Vitry en Champagne (Marne) du 5 au 10 octobre 2019.
