AVIS D'EXPERT. Bruno Duchesne, directeur général de la Banque Populaire Bourgogne, Franche-Comté et Ain, décortique l'évolution économique actuelle.

D'un monde en croissance, il explique pourquoi l'Europe, et tout particulièrement la France, demeure en panne sèche.

Professeur à ses heures, redoutable pédagogue et fin connaisseur du tissu économique de la future grande région Bourgogne Franche-Comté, ce banquier de 56 ans donne aussi des raisons d'espérer..., grâce à l'importance du secteur industriel de ce territoire.

 

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Pourquoi l’Europe est-elle au point mort dans un monde en croissance ?

 

Pour nous Européens, l’idée d’un monde en croissance paraît pour le moins incongrue. Et pourtant, l’ensemble des richesses qui ont été produites en 2014 frôle les 80 000 milliards de $, engendrant une croissance du PIB mondial de l’ordre de 3 %.

Chaque année, celle-ci représente pratiquement l’économie de la France. Ce résultat est obtenu par les performances de l’économie américaine et des pays émergents qui, avec 40 % du PIB mondial, représentent pratiquement les deux tiers de sa croissance. L’Europe, et singulièrement la zone €, sont les grands perdants de la période actuelle.

 

Avec plus de 18 000 milliards de $, l’économie de l’Union Européenne pèse 25 % du PIB mondial, mais avec une croissance nulle depuis 7 ans. A cette situation s’ajoute la menace de la déflation. Un risque majeur, car il résulte de l’enchaînement entre la baisse des prix et la baisse des salaires.

Explication : dans une économie où les prix baissent, la logique des acteurs consiste à réduire les salaires pour maîtriser les prix de revient. Cela se traduit par une baisse, soit des rémunérations unitaires, soit des effectifs. La conséquence immédiate est la chute du pouvoir d’achat des ménages.

Les ménages gagnant moins, ils ont naturellement tendance à moins consommer. Et, de ce fait, ils conduisent à une réduction des prix, entraînant un enchaînement dangereux entre cette baisse et la rémunération des acteurs économiques.

 

La France, bon ou mauvais élève dans la zone € ?

 

La France est le pays d’Europe où la contraction d’activité dans la période 2008-2010, au plus fort de la crise, a été la plus faible, le PIB global ayant régressé de seulement 4 %. Cette situation relativement favorable est liée aux amortisseurs sociaux caractéristiques de notre pays : indemnisation du chômage, retraite prise plus tôt, revenus minimum garantis... En revanche, elle rend la sortie de crise plus délicate, que traduisent quelques chiffres simples de 2014.

La dette publique française est supérieure à la moyenne de la zone euro. Avec 95 % de dette publique, la France est 3 points au-dessus de la moyenne, alors que 12 des 28 pays européens sont en dessous de 60 %.

Le déficit public français s’est élevé à 4 % en 2014, sachant qu’il n’est plus que de 3 % pour l’ensemble des pays de la zone euro, 18 états membres sur les 28 se trouvant par ailleurs en dessous de 3 %, et l’Allemagne étant en situation d’excédent budgétaire.

L’économie française demeure au point mort, même si les facteurs exogènes permettent d’espérer en 2015 un retour à une croissance de l’ordre de 1 %.

Enfin, l’inflation est négative : fin mars, elle se situait 2015 à - 0.1 %. Le risque de déflation est donc avéré pour la France.

 

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Quels facteurs d’espoir pour la zone € et plus particulièrement pour la France ?

 

Nous pouvons espérer un retour à la croissance lié à trois grands facteurs :

- de nature plus géopolitique qu’économique, le premier concerne la baisse du prix des matières premières,

-  le second est lié aux taux d’intérêt, pilotés directement ou indirectement par la Banque Centrale Européenne (BCE),

- le troisième tient à la parité entre l’€ et le $.

 

Le premier facteur résulte de la baisse du prix des matières premières, en premier lieu du pétrole, le baril se situant dans une fourchette de 50 à 60 $ depuis plusieurs mois. Les pays producteurs de pétrole agissent par ce biais pour contrer la production de pétrole issu du gaz de schiste, moins cher.

La croissance désormais mieux contenue de la Chine conduit également à une diminution du prix des matières premières industrielles. Et le double effet de la baisse du prix du pétrole et de la baisse du prix des métaux industriels produit un avantage concurrentiel très significatif pour les ménages et les entreprises.

 

Le deuxième facteur découle de la politique de la BCE. Même si elle a réagi tardivement, la banque européenne, focalisée par sa lutte contre l’inflation, a fini dans le dernier trimestre 2013 par baisser son taux de refinancement, entraînant en cascade une baisse de l’ensemble des taux d’intérêt courts.

Les indices de refinancement au jour le jour à 1 mois et à 3 mois sont désormais négatifs. Sur le dernier trimestre 2014, la BCE a annoncé des interventions quantitatives aboutissant à un programme de rachat de dettes souveraines, allant jusqu’à la fin 2016. Concrètement, elle rachètera chaque mois 60 milliards d’€ de dettes sur les marchés. La conséquence est immédiate. Les états peuvent s’endetter, sans avoir besoin d’augmenter leurs taux d’intérêt, puisque face à leur offre de dette souveraine, existe désormais la demande de la BCE.

 

Premier bilan : une baisse formidable des taux d’intérêt longs. Les taux allemands à 10 ans sont à 0, les taux français se situent aux alentours de 0,4 % et les taux italiens ou espagnols, dont on pensait qu’ils auraient pu, il y a 18 mois seulement, provoquer la faillite de ces états, sont désormais revenus au-dessous des taux américains, à moins de 2 %.

La politique de la Banque Centrale Européenne est extrêmement claire. Avec des taux d’intérêt courts faibles, elle veut décourager l’épargne et l’orienter vers les placements productifs. Avec des taux d’intérêt longs faibles, elle veut permettre aux entreprises d’investir à des coûts réduits et « resolvabiliser » les états membres de la zone €.

 

Ce choix intervient au moment même où la reprise revient aux États-Unis. La Réserve Fédérale américaine conduit une politique parfaitement inverse. Les taux d’intérêt européens baissent pendant que les taux d’intérêt américains montent, ce qui a provoqué une baisse formidable de l’€ : plus de 30 % entre la fin 2014 et le 1er trimestre 2015.

Concrètement, avec une épargne faiblement rémunérée et plus orientée vers la consommation ou l’investissement, des taux longs extrêmement bas favorisant l’investissement, avec un cours de l’€ faible et une baisse finalement inattendue du coût des matières premières, les premiers gagnants devraient être les entreprises exportatrices qui voient leurs prix de vente baisser en dehors de la zone € de plus de 30 %.

 

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L’intervention de la BCE : politique durable ou mesures conjoncturelles ?

 

Le positionnement de la Banque Centrale Européenne est désormais très clair. Mais une question demeure : pourquoi n’a-t-elle pas enclenché cette politique plus tôt ? Deux arguments essentiels permettent de comprendre ce choix.

Le premier tient au paradigme de lutte contre l’inflation. Pour la Banque Centrale Européenne, les risques fondamentaux sont liés à l’hyper-inflation, et toute la politique de taux d’intérêt conduite depuis 2007 a été destinée à la juguler.

La seconde explication tient au changement d’orientation de la Réserve Fédérale américaine. En effet, si la Banque Centrale Européenne avait engagé sa politique quantitative alors même que la Réserve Fédérale Américaine était dans le même schéma, il est probable que l’effet sur les taux aurait été atteint, mais sans doute pas celui sur la monnaie.

Pour la BCE, ce facteur cumulé à la baisse des matières premières et à celle de l’€, doit conduire à une amélioration très significative de la compétitivité des entreprises européennes sur les marchés mondiaux.

 

Les régions Bourgogne et Franche-Comté peuvent-elles tirer leur épingle du jeu ?

 

Les deux régions comptent 7 500 entreprises de plus d’un million et demi d’€ de chiffre d’affaires, et plus de 30 % réalisent une activité significative à l’international.

La nouvelle région Bourgogne Franche-Comté se caractérise également par l’importance des emplois salariés dans l’industrie, qui représentera 22,5 % de l’ensemble des emplois. Avec des secteurs industriels forts : la métallurgie, la mécanique, l’agroalimentaire, les produits en caoutchouc, la micromécanique ou encore l’automobile, la Bourgogne Franche-Comté bénéficie incontestablement d’atouts pour tirer profit d’une croissance revenue.

Les secteurs industriels concernés sont pour l’essentiel à cycle long, ce qui explique le décalage dans la reprise que nous observons en particulier en Franche-Comté. Classiquement, si le retour à la croissance se révélera plus long, il sera vraisemblablement plus durable.

 

Bruno Duchesne

Directeur général de la Banque Populaire Bourgogne, Franche-Comté et Ain

 

Photos fournies par la Banque Populaire.

 

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