MÉTALLURGIE/DOUBS. Habitué aux prises de risques, le fabricant de casseroles et ustensiles de cuisine a compris qu’il fallait faire preuve de patience pour s’installer sur un nouveau marché.
Six ans après l’ouverture de sa filiale aux Etats-Unis, les ventes commencent à prendre du volume. Et pendant ce temps, sur le Vieux Continent, son usine de Fesches-le-Châtel est plus performante que jamais et permet de fabriquer une nouvelle gamme pour les professionnels.

En 2011, Cristel avait ouvert une filiale à Atlanta pour partir à la conquête du vaste marché américain. « Construire une marque aux Etats-Unis, c’est un gros travail, et l’expérience d’autres marques françaises montrait qu’il fallait au moins cinq ans pour avancer », raconte Bernadette Dodane, co-présidente de l’entreprise, au côté de son mari Paul Dodane, co-président lui aussi, qui pilote toute la R&D.
Dans les années 80, tous les deux avaient sauvé cette Scop promise à la disparition en pariant sur les casseroles haut de gamme, elle à la gestion, lui à la R&D. Trente ans plus tard, le marché américain s’annonçait comme un nouveau défi. Un pari sur le long terme que les 23 sociétaires ont accepté de prendre en faisant remonter des réserves au capital.
« Ces associés, ce sont des entrepreneurs et non des financiers », précise Bernadette Dodane. « Ils sont rémunérés au taux du Livret A de la Caisse d’Epargne et la moitié sont dans l’entreprise. »
La décision de partir outre-Atlantique avait été prise après la crise de 2008 qui avait fortement touché les ventes européennes. Cristel avait déjà connu les perturbations du marché japonais, en 2003, alors que la marque y était présente depuis les années 90.
Alors, pour les Etats-Unis, les deux co-présidents, mais aussi Emmanuel Brugger, directeur général, et Damien Dodane, directeur général délégué en charge de l’export et du marketing, ont fait le choix de prendre le temps de s’y installer.
« Nous aurions pu y aller plus vite si nous avions accepté les corners en bout de gondole à prix barrés mais c’est éphémère et ce n’est pas comme ça qu’on construit une marque, nous avons préféré prendre notre temps », poursuit la co-présidente. « Et cela paie à long terme, la filiale américaine nous coûte de moins en moins cher. »
L’année 2012 avait été consacrée à l’installation avec l’ouverture de comptes, le recrutement d’un directeur de filiales, la recherche de bons avocats, d’un centre logistique bien situé.

Cinq ans plus tard, au pays des fast food, Cristel commence à percer et à recueillir les fruits de son investissement. Aujourd’hui, l’équipe américaine compte trois personnes : un agent à New York pour les grands comptes, une animatrice pour les grands magasins de la Big Apple et une formatrice de personnel de magasins. La marque est par ailleurs en train de mettre en place une équipe digitale pour animer son site commercial.
En 2016, le chiffre d’affaires réalisé sur place a grimpé à 750.000 €, contre moins de 400.000 l’année précédente. « Ce n’est pas encore très élevé mais ça monte », constate Bernadette Dodane avec enthousiasme. « Mais nous avons déjà un bel enracinement et nous sommes toujours en phase d’investissement. »
Conçue pour et avec des chefs étoilés
Pendant ce temps, à Fesches-le-Châtel, dans le Doubs, une usine labellisée Entreprise du patrimoine vivant et Origine France Garantie, le plan de 4 millions d’€ d’investissement réalisé en 2016 porte ses fruits : la ligne de revêtement antiadhérent, une activité jusque-là sous-traitée, permet de maîtriser cette option de finition qui concerne 15% des produits Cristel.
Et avec les trois nouvelles presses d’emboutissage automatisées, la fabrication de la toute nouvelle gamme Castel’Pro, conçue par Paul Dodane pour et avec des chefs étoilés démarre bien. « Il est encore trop tôt pour avoir des chiffres consolidés, mais la gamme a un vrai potentiel », assure Emmanuel Brugger, le directeur général. « A chaque fois qu’on la met dans les mains d’un chef, il passe commande immédiatement. »
Cristel emploie aujourd’hui 90 personnes et réalise 30% d’un chiffre d’affaires 2016 de 12 millions d’€ à l’export, dont 5% aux Etats-Unis. Le chiffre d’affaires 2017 devrait atteindre 12,5 millions et la part des USA tout doucement grandir…
L’histoire de Cristel selon Bernadette Dodane

C’est elle qui avait embarqué son mari, Paul Dodane, dans l’aventure. A eux deux, ils ont sauvé la Scop Cristel – née de l’activité casserie de la manufacture Japy – de la faillite en misant sur le haut de gamme et construit une très belle PME que des groupes financiers ou du luxe aimeraient bien racheter.
Mais l’entreprise n’est pas à vendre, assure-t-elle, ravie de voir que ceux qui poursuivront l’aventure sont du même avis.
Alors, à l’heure où il faudrait passer la main, ce que ni l’un ni l’autre ne semble pressé de faire tant l’entreprise les passionne, Bernadette Dodane a eu envie d’écrire sa version de l’histoire de Cristel. « Ce livre, c’est mon propre témoignage, c’est un livre à la fois philosophique, économique, politique, pédagogique même… Nous avons toujours donné un sens à ce que nous faisions. »
Dans ce livre, elle raconte l’aventure de Cristel au Japon, aux Etats-Unis, l’histoire de l’usine de Fesches-le-Châtel au pied de la forêt qui est plus grande qu’il n’y paraît, et où l’on fabrique 90,25% des produits, d’où le label Origine France Garantie.
« Cristel, c’est une prise de risque continuelle, nous ne nous sommes jamais contentés de tranquillité, d’acquis ou de réussite, même si nous avons bien conscience que tout cela est fragile. Mais nous avons toujours eu envie d’aller de l’avant dans le développement produit, et Paul Dodane a toujours le crayon à la main. » Un livre à paraître en 2018.
