AVIS D’EXPERT/PROTECTION INTELLECTUELLE. Dorian Guiu, du cabinet qui porte son nom et spécialiste en propriété intellectuelle - brevets, marques, dessins et modèles, droits d'auteur, formes et sons ou même odeurs -, explique pour sa première première contribution à Traces Ecrites News : la marque. Ce qu'elle recouvre, ses bénéfices et l'impérieuse nécessité de sa protection.

• Tout le monde pense le savoir, mais au final, qu’est-ce qu’une marque ?
C’est un signe qui sert à distinguer les produits ou services proposés par une entreprise de ceux proposés par ses concurrents. La marque est donc un indicateur d’origine pour le consommateur. Elle peut être constituée d’un ou plusieurs mots. Il peut aussi s’agir, par exemple, d’un visuel, de sigles, de chiffres, d’une forme en trois dimensions, d’un son et sans doute bientôt d’une odeur.
Une marque est un monopole : elle permet à son titulaire d’interdire à un tiers de l’utiliser sans son autorisation. A défaut, ce tiers se rend coupable de contrefaçon. Les sanctions potentielles en cas de contrefaçon sont relativement lourdes : cessation immédiate d’utiliser la marque sur tout support, dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, destruction et retrait des produits des circuits commerciaux, publication de la décision de condamnation dans les journaux ou sur Internet, etc.
La contrefaçon peut être reconnue même si son auteur ignorait l’existence de la marque qui lui est opposée. Et dans certains cas, la contrefaçon peut même être un délit pénal passible de peines d’emprisonnement !
Ainsi, la contrefaçon n’est pas limitée aux réseaux mafieux organisant la copie, de plus ou moins bonne qualité de produits Nike, Chanel ou Longchamp. Elle touche toutes les entreprises, notamment les PME.
• Concrètement, que permet d'obtenir ce monopole ?
Ce monopole est puissant car il ne se limite pas à la copie servile de la marque. En effet, la loi prévoit que le titulaire d’une marque déposée peut s’opposer à l’usage d’une marque simplement proche de la sienne - on parle juridiquement de « marque similaire »).
Par exemple, il a récemment été jugé que « SICCA » était similaire à « SITA », de même que « KIITOS » à l’égard de « PARA'KITO » ou encore que le signe imitait la marque IFORI. Le spectre de protection est donc très large.
Pour autant, le monopole n’est pas absolu, car il n’est en principe pas possible d’interdire l’utilisation de la marque par un tiers dans un domaine d’activité différent. C’est ainsi que « MONT BLANC » correspond à deux marques bien connues, l’une pour des stylos, l’autre pour des crèmes dessert, appartenant à deux entreprises différentes. En effet, la protection conférée par une marque dépend notamment de la liste des produits et services (répartis dans des « classes ») définie au moment du dépôt. Cette liste constitue le « libellé ».
Cependant, ce monopole sur la marque permet d’empêcher l’utilisation d’une marque identique ou similaire lorsqu’elle est utilisée non seulement en lien avec des produits ou services identiques à ceux du libellé, mais également en relation avec des produits ou des services considérés comme similaires.
Par exemple, le titulaire d’une marque « MODICHEVEU » déposée pour des « services de salon de coiffure » pourrait interdire à un laboratoire cosmétique d’utiliser « MODICHEVEU » pour des « shampoings ». En effet, les salons de coiffure et les shampoings sont considérés, au plan juridique, comme similaires en raison de leur complémentarité - les premiers nécessitant l’emploi des seconds pour leur prestation. Le monopole conféré par la marque permet donc d’empêcher cet usage afin d’éviter une confusion du consommateur sur l’origine des shampoings.
Il en va de même d’une activité de « vente de boissons alcoolisées » à l’égard de « services de restauration ». Cela signifie concrètement que grâce à sa marque, un viticulteur pourrait faire descendre l’enseigne non seulement d’un concurrent direct mais aussi celle d’un restaurateur qui utiliserait un nom identique (ou similaire) à sa marque.

• Quelles conditions faut-il respecter pour avoir le droit de bénéficier d'une marque ?
La loi pose plusieurs conditions. Il y en a principalement deux. La marque doit tout d'abord être distinctive, autrement dit suffisamment « originale » (et idéalement arbitraire) au regard des produits et services visés au libellé.
Par exemple, une marque BOULANGER serait refusée en relation avec une activité de boulangerie ou de meunerie (si un monopole était valable sur le nom « BOULANGER » pour ces activités, toutes les entreprises du secteur seraient privées de la possibilité d’utiliser un nom indispensable pour elles !). Ce nom est en revanche parfaitement distinctif pour désigner une chaîne de magasins d'électroménager et de produits multimédia.
La marque doit par ailleurs être disponible : elle ne doit pas porter atteinte à des droits antérieurs (par exemple, des marques appartenant à des tiers). C'est cette condition qui implique les vérifications les plus attentives, dont on constate en pratique qu’elles ne sont pas toujours opérées.
• Si je dépose ma marque auprès de l’INPI (Institut National de la propriété Industrielle), suis-je protégé dans le monde entier ?
Absolument pas ! La marque est valable sur un territoire donné, par exemple la France ou l’Union européenne, et uniquement sur ce territoire. Concrètement, cela veut dire qu’une entreprise qui ne détiendrait qu’une marque française « TUKLA » ne pourrait en principe pas empêcher un concurrent d’utiliser le nom « TUKLA » en Allemagne ou aux Etats-Unis.
Les entreprises dont les marchés s’étendent à l’étranger doivent donc déposer leur marque dans chaque pays ou territoire d’intérêt, sur la base d’une stratégie d’extension qu’il est recommandé d’élaborer avec soin (non seulement pour limiter les risques, mais aussi pour optimiser les coûts engagés).
• Si je dépose une marque, combien de temps suis-je protégé ?
La durée de protection n’est pas la même dans tous les pays. En France, la marque est valable pendant une durée initiale de 10 ans et peut être renouvelée par périodes successives de dix ans.
La protection conférée par une marque française peut donc être perpétuelle, pour autant que les formalités légales de renouvellement prévues par le Code de la propriété intellectuelle soient respectées et au bon moment. Ce qui évidemment nécessite d’assurer un suivi précis de la marque au fil du temps.
Qui est Dorian Guiu ?
Formé à la faculté de droit avec pour spécialité le droits des affaires, il intègre ensuite l'école spécialisée de Strasbourg pour devenir avocat.
Ce premier métier, il l'exerce déjà seul en s'inscrivant au barreau de Dijon, puis monte un cabinet en périphérie avec d'autres confrères, avec pour tâche l'animation du département Propriété intellectuelle et nouvelles technologies.
Il rejoint en 2013, l'affaire familiale (lire ci-dessous) en tant qu' associé et reponsable de tout le département juridique.

Le cabinet Guiu - JurisPatent en bref
Créé en 1986 à Dijon, le Cabinet Guiu - JurisPatent, Conseils en Propriété Industrielle, accompagne les PME et les particuliers dans tous les domaines de la propriété intellectuelle : brevets, marques, dessins & modèles, droits d’auteurs, logiciels et noms de domaine.
Il intervient dans la définition des stratégies de protection, la constitution des droits aussi bien en France qu’à l’étranger, leur suivi dans le temps, leur valorisation et leur défense. Le cabinet de Claude et Dorian Guiu renforce sa présence dans l’Est et s’implante à Besançon au sein d’un complexe immobilier, près du pôle Temis Innovation.
« Nous comptons à terme employer sur place une à deux personnes », indique Claude Guiu. Présent à Dijon, Reims, Paris et Lyon, l’entreprise, qui s’appuie sur dix-sept collaborateurs, dont cinq ingénieurs et six juristes, réalise 2,6 millions d’€ de chiffre d’affaires.