NUCLÉAIRE/BOURGOGNE. Vendredi 19 juin, les salariés d'Areva se sont déplacés sur le marché de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) pour sensibiliser le public à l'avenir de l'entreprise depuis que l'Etat a décidé de céder la construction des réacteurs des centrales nucléaires à EDF, son principal client.

L'occasion d'une visite à l'usine de Saint-Marcel, la seule du groupe Areva à fabriquer les gros composants qui forment le cœur d'une centrale nucléaire. Et d'un état des lieux de la situation économique et sociale de l'entreprise.

 

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Introduction et mise en place de la plaque entretoise dans la partie inférieure d'un générateur de vapeur pour l'EPR de Olkiluoto (Finlande). ©Charlène Moreau.

 

Vous allez en prendre plein les yeux, me prévient-on, avant la visite de la seule usine au monde du groupe Areva qui fabrique les gros composants qui forment le cœur d'une centrale nucléaire. Situés à Saint-Marcel, dans l'agglomération de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), les ateliers occupent 39 000 m2 et s'étendent sur 300 m de long.

 

Le gigantisme ne s'arrête pas là. Flanquée d'un pont-roulant capable de soulever 1000 tonnes, la plus haute travée s'élève à 36 mètres, la hauteur nécessaire pour manipuler la vingtaine de mètres du générateur en fabrication au moment de notre visite. Une opération de longue haleine que le directeur, Patrick Poret, résume ainsi : « En une heure de visite, vous venez de vivre trois années ».

 

396 opérateurs - des soudeurs, des chaudronniers et des contrôleurs - se relaient 24h sur 24 h et 7 jours sur 7 pour fabriquer les pièces de ce que l'on appelle la boucle primaire d'une centrale nucléaire. Leur énumération suffit à expliquer le poids des pièces - des centaines de tonnes - et leur volume - jusqu'à 10 mètres de diamètre - en raison de l'épaisseur de l'acier qui les composent.

 

Les plaques entretoises qui séparent chaque section d'un générateur, par exemple, ont une épaisseur de 60 cm : il faut un mois à trois équipes, pour percer les trous qui font passer le tuyauterie.

 

Usine de papiers

 

C'est l'usine voisine de Creusot Forge située à une quarantaine de km (300 salariés) qui forge et usine les pièces avant leur arrivée à Saint-Marcel, pour être équipées et assemblées. En 2013, la forge s'est équipée d'une nouvelle presse de 9000 tonnes.

 

En dehors de la cuve, qui renferme le cœur du réacteur constitué des assemblages de combustible, et de son couvercle, on fabrique à Saint-Marcel les générateurs de vapeur : ils transforment l'eau en vapeur qui entraîne une turbine couplée à un alternateur produisant de l'électricité. Selon la taille de la centrale, il peut y en avoir plusieurs.

 

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Différentes parties d'un générateur de vapeur avant assemblage final. L'ensemble peut atteindre 24 mètres. ©Areva.

 

Saint-Marcel fabrique également les pressuriseurs qui maintiennent l'eau à une pression constante de 155 bars et toute la tuyauterie qui transporte l'eau chaude et les circuits de refroidissement.

 

Le soudage est le cœur du métier de l'usine de Saint-Marcel, des opérations en grande partie manuelles qui demandent une grande dextérité et des qualifications spécifiques, acquises en interne. « Il faut cinq ans à un soudeur nucléaire pour bien maîtriser son métier. »

 

Patrick Poret qui a en charge les deux usines sœurs, de Saint-Marcel et du Creusot, énumère les autres métiers. L'un d'eux est moins visible, cependant essentiel : le contrôle tout au long du processus de fabrication. Ce qui lui faire dire qu'il dirige une seconde usine, de papiers.

 

Surveillés par l'autorité de sûreté nucléaire (ASN) et par le client, les contrôles s'effectuent avant l'industrialisation, par des contrôles destructifs sur maquette et pendant la fabrication. Dans la section "tubage", est écrit sur le mur " une heure de contrôle pour 3 heures de fabrication ". On comprend alors qu'il faille trois années avant d'expédier un générateur sur son site.

 

Ces précautions, rassurantes, grippent la fluidité du cycle de fabrication. Loin d'en être la raison majeure, la longueur des démarches administratives ajoutent aux difficultés actuelles d'Areva. Les pertes de 4,8 milliards d'€ révélées en début d'année (soit la moitié du chiffre d'affaires) entraînent la suppression d'un emploi sur cinq  (3000 à 4000) en France, et une cession du cœur de métier du groupe nucléaire à EDF, son principal client.

 

Retour en arrière

 

Chez les représentants du personnel, c'est là que le bât blesse. « En séparant les activités réacteurs du reste du cycle (NDLR : qui s'étend de l'exploitation des mines d'uranium au recyclage du combustible, en passant par les services liés à l'exploitation des centrales), l'Etat fait purement et simplement disparaître d'un trait toutes les raisons qui avaient présidé à la construction du groupe en 2001 », répète la CFDT, l'organisation patronale majoritaire à Saint-Marcel, dans ses tracts qu'elle distribue depuis la décision de l'Etat, actionnaire d'Areva à hauteur de 87%, de céder le contrôle à EDF.

 

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Tubage d'un générateur de vapeur. ©Areva.

 

En Saône-et-Loire, on a le sentiment de vivre un véritable retour en arrière. En 2001, l'Etat décidait de la création d'une filière intégrée en regroupant les activités de Framatome dans l'assemblage du combustible et la construction de réacteurs et les compétences de Cogema dans les mines, l'enrichissement de l'uranium et le retraitement. Un modèle qui n'aurait pas fait ses preuves, selon la direction du groupe, mais qui également est lié à des contrats mal négociés à des prix trop bas.

 

L'EPR de Flammanville (Manche) affiche cinq années de retard et un surcoût de 3 milliards d'€ ainsi qu'une anomalie sur la résistance de l'acier de la cuve. Un autre EPR, en construction en Finlande, accuse, lui, sept ans de retard en raison d'une cascade d'erreurs en tout genre.

 

En rassemblant au profit d'EDF, les activités industrielles de construction des réacteurs, d'assemblage de combustible et de maintenance sur site, la nouvelle entité, Areva NP, sera t-elle crédible sur le marché international du nucléaire ?

 

Les observateurs spécialistes du nucléaire s'interrogent sur la capacité de la nouvelle entreprise à décrocher des contrats avec les concurrents d'EDF, à cause de cette perte d'autonomie. Alexandre Crétiaux, secrétaire du comité d'entreprise du site de Saint-Marcel, pointe le danger qu'Areva NP ne devienne qu' « un simple sous-traitant qui répondrait aux appels d'offres de son actionnaire majoritaire.»

 

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2300 emplois en Bourgogne

 

Par ailleurs, la nouvelle organisation ampute le groupe d'une activité qui se porte bien : la maintenance des centrales installées, un chiffre d'affaires de 3,3 milliards d'€ grâce à la présence d'Areva dans la moitié des centrales nucléaires dans le monde.

 

« Le groupe doit conserver les brevets et codes de calculs qui lui permettent d'être prestataires de centaines de réacteurs dans le monde », indique un bulletin d'information de CFDT. En Bourgogne où Areva compte 2300 emplois, 450 techniciens et ingénieurs sont affectés à la préparation des projets et la maintenance des composants nucléaires.

 

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L'expédition de ces gros composants pour centrale nucléaire se fait sur la Saône qui borde l'usine. ©Élodie Ferrare.

 

Avant l'annonce de la restructuration, un plan social a été activé au niveau mondial qui touchera aussi les usines de Bourgogne.  « L'usine de St-Marcel doit poursuivre les efforts de compétitivité dans tous ses métiers pour s'adapter à la charge », affirme Patrick Poret, bien que le site industriel ait un plan de charge « avec une visibilité correcte jusqu'en 2018 ». 

 

Dans le cadre du grand carénage (plan de renouvellement du parc des centrales françaises), EDF lui a confié 24 générateurs de vapeur sur ses réacteurs de 1 300 mégawatts et six pour ceux de 900 mégawatts. L'entreprise a également dans ses cartons un couvercle de cuve pour la centrale belge de Doel et la co-traitance avec un fabricant chinois des trois générateurs de remplacement de la centrale de Koeberg en Afrique du Sud.

 

Les pièces de cette dernière sont actuellement forgées chez son voisin du Creusot qui, lui, a une visibilité, à seulement six à huit mois et devrait, selon la direction, être en sous-charge de 40% en 2016.

 

Avant les événements, la proposition de la direction de lisser les cycles des deux usines par une flexibilité des effectifs et le gel des embauches externes au profit de la mobilité interne, avait déjà alerté les syndicats sur la santé de l'entreprise. Les représentants des personnels dénoncent aussi la remise en question d'avantages aux salariés qui leur ferait perdre 3000 € par an. Car, tiennent-ils à souligner, « contrairement à ce qu'on imagine, les salaires des ouvriers et des employés d'Areva ne sont pas énormes : 2000 € par mois en moyenne il y a un an ».

 

Une interrrogation porte aussi sur les sous-traitants d'Areva. En Bourgogne, le pôle de compétitivité nucléaire représente 10 000 emplois dans des entreprises qui travaillent tout ou partie pour Areva.

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