La crise sanitaire a provoqué partout dans le monde un effondrement de la croissance. Cette absence de création de richesse n’est pas encore perçue par les agents économiques, car les gouvernements ont fait le choix, face à cette situation, d’un endettement massif. Quelques voix s'élèvent pour demander l'annulation de ces dettes. Est-ce possible et surtout crédible ? Analyse de la situation et éléments de réponse proposés par Bruno Duchesne, directeur général de la Banque Populaire de Bourgogne-Franche-Comté.


Une dette publique qui explose

Aux Etats-Unis, la dette américaine atteint désormais 25.000 milliards de dollars, soit 100 % du PIB, retrouvant ainsi des niveaux d’endettement connus au lendemain de la seconde guerre mondiale. La dette italienne représente pratiquement 160 % de son PIB. Quant à la France, elle frôle les 120 %.
Les principes qui, jusqu’à il y a quelques mois, dictaient les politiques publiques : réduction des déficits, choix d’investissements productifs, refonte des systèmes de protection sociale ont disparu, sacrifiés sur l’autel du quoi qu’il en coûte.

Cet endettement est rendu possible par deux éléments. Le premier tient à la faiblesse des taux d’intérêt qui permet d’augmenter la dette sans que la charge de celle-ci n’augmente réellement. Le second est le rachat des dettes d’Etat par les banques centrales qui autorise chaque gouvernement à trouver sans difficulté une contrepartie à ses émissions de dettes.
De ce dernier constat est donc née une idée simple : puisque les banques centrales détiennent désormais une part croissante de la dette des états, pourquoi ne pas annuler cette dette d’un trait de plume ?

La réalité est évidemment plus complexe, et mérite d’être analysée à la lumière de trois éléments :

- Les dettes publiques ont-elles déjà été annulées dans le passé ?
- Est-ce aujourd’hui techniquement faisable ?
- Quelle alternative est possible ?

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Des exemples du passé

En premier lieu, les annulations de dettes ont existé dans le passé. Elles correspondent, en règle générale, soit à des périodes de crise extrême, soit à des situations où le niveau de dette d’un pays est suffisamment faible pour être absorbé par la communauté de ses créanciers.

Parmi les cas les plus significatifs, la dernière annulation de dette en France date de 1797. La banqueroute des deux tiers (*) divise la valeur des assignats détenus par les Français par trois, annulant par là-même la dette de l’Etat. Aux Etats-Unis, le dernier exemple d’abandon de dette date de la fin de la guerre de sécession, les états du nord annulant la dette des états du sud.

Enfin, en Europe, un des derniers exemples date de 1953, où les pays alliés ont accepté d’annuler la dette de l’Allemagne. Bien sûr, à côté de ces cas extrêmes, nous trouvons des exemples d’abandons de dettes récemment sur l’Equateur par exemple, mais ils concernent des montants beaucoup plus limités. Ainsi, si la question devait se poser d’une annulation de la dette, ses conditions techniques méritent d’être analysées.

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Evolution de la dette en France et aux Etats-Unis en % de chacun des PIB.



Des moratoires possibles, mais techniquement complexes

Le phénomène nouveau est que la dette est détenue, pour partie, par les banques centrales, et non en totalité par des acteurs privés. La limite des annulations de dettes massives consiste évidemment dans la ruine des épargnants, alors qu’une dette annulée par la Banque Centrale n’a pas de conséquence, puisque sur un plan technique, le passif de la Banque Centrale n’est exigible par personne.

Si ce choix, concernant environ en Europe entre 20 et 30 % des dettes émises par les Etats, est possible, il se heurte cependant à trois obstacles :

• Le premier obstacle est que l’annulation de la dette aboutirait de fait à une création de masse monétaire pouvant conduire à l’inflation.

• Le deuxième obstacle est réglementaire. Le traité de Maastricht prévoit de façon explicite l’interdiction de cette mesure. Il faudrait donc un changement politique majeur pour mettre en œuvre ce dispositif.

• Enfin, il subsiste un obstacle institutionnel. Il est difficile d’imaginer qu’une banque centrale d’une zone économique significative, l’Europe ou les Etats-Unis, puisse procéder à une annulation de dette, sans que cette annulation se fasse de façon coordonnée avec les autres grandes zones économiques.

En résumé, la solution est simpliste parce que les complexités technique, réglementaire et institutionnelle sont probablement trop fortes pour espérer la voir se réaliser.

 

Quelle alternative ?

Pour autant, il existe un terme à l’alternative, car la dette constituée devra se rembourser.

Les trois autres façons de rembourser une dette sont simples :

-  La première consiste à augmenter les impôts, ce qui semble assez peu probable dans le contexte économique actuel,

- La seconde tient à l’espoir d’une croissance forte qui permettrait le désendettement, la croissance de l’économie étant plus forte que la croissance de l’endettement ; malheureusement, les chiffres des trente dernières années démentent clairement cet espoir,

- Enfin, la troisième façon d’affronter ce mur de dette est de maintenir durablement des taux très bas : c’est le modèle à la japonaise qui existe depuis maintenant 25 ans ; la dette de l’Etat croit régulièrement, mais avec un taux d’intérêt proche, voire inférieur à 0, la charge de la dette ne pesant plus sur les budgets publics.

Je crois profondément que c’est le schéma sur lequel nous sommes engagés. Les taux d’intérêt seront bas éternellement, car il n’y a pas d’autre solution pour faire supporter le fardeau d’un endettement excessif des états, partout dans le monde.

Mais si ce phénomène répond à la question de l’endettement, il porte en revanche de nombreuses autres questions : la capacité à rémunérer l’épargne sans risque, et en particulier l’assurance-vie, la hausse induite des actifs réels, en particulier l’immobilier, rendu possible par des taux d’intérêt toujours très bas, et enfin un niveau très élevé des actions qui va de pair avec une volatilité très forte.

En résumé, la période actuelle est marquée par une croissance pharaonique de la dette des états. La solution simpliste de l’annulation de la dette ne fonctionne et ne fonctionnera vraisemblablement pas. En revanche, nous devons accepter de vivre avec des taux d’intérêt durablement bas, voire négatifs, ce qui satisfait les emprunteurs que nous sommes parfois et décevra les épargnants que nous sommes tout aussi souvent.  

(*) Nous sommes à l’époque du Directoire. Dominique Ramel, le ministre des finances, ferme le marché des titres publics et fait passer une loi qui annule les deux tiers de la dette publique.

Illustration graphique fournie par la Banque Populaire de Bourgogne Franche-Comté.

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