Les journées Granvelle de Besançon, alias Davos dans le Doubs, se tenaient les 18 et 19 février, à la Maison de l’Économie. Ce temps de réflexion pour le milieu économique local, organisé par la CCI du Doubs et Grand Besançon Métropole, est toujours l’occasion d’éclairer le monde économique et son futur. Cette année, l’économiste et sociologue Pierre Veltz s’est attaché à déconstruire les mythes de la désindustrialisation française. Selon lui, la France ne se désindustrialise pas, mais la nature de son industrie se transforme. Au concept de monde post-industriel, il préfère celui d’hyper-industriel.
Grand observateur de la vie économique et sociale du pays, Pierre Veltz affiche un CV de premier de la classe : polytechnicien, ingénieur des Ponts – école qu’il dirigera –, économiste et sociologue à l’EHESS (École des Hautes Études en Sciences Sociales). Son passage le 19 février aux journées Granvelle lui donne l’occasion de s’attaquer à l’idée de désindustrialisation de la France, qu’il relativise. « Quand on nous parle de désindustrialisation en France, c’est pour évoquer la perte des emplois industriels, qui est incontestable, mais à relativiser. En 1975, le pays comptait 6 millions d’emplois industriels, un chiffre ramené à 2,7 millions aujourd’hui. Mais c’est lié aux gains de productivité, plutôt qu’à la disparition de l’activité. On produit deux fois plus aujourd’hui, avec deux fois moins de personnes, qu’il y a vingt ans », lance le chercheur. Pierre Veltz concède que la crise de 2008-2009 a fortement impacté le tissu industriel français, mais estime que celui-ci en ressort « purgé des industries à la traîne qui n’étaient plus compétitives. »
« Depuis 2017, il s’ouvre plus d’usines en France qu’il ne s’en ferme. Elles sont par contre plus petites, et nettement plus automatisées », constate l’économiste. Aujourd’hui, l’un des problèmes de l'industrie qui souffre dans le pays d’une image déplorable est la main d’œuvre, trop rare. « L’industrie aujourd’hui ce n’est plus la chaîne de montage, sale et graisseuse. Les métiers et les organisations ont évolués. On y rencontre de meilleures conditions de travail que dans la restauration ! »
Cette mauvaise image persistante s’explique, historiquement, mais aussi à travers un discours dominant, qui devient structurant, et qui assure que l’on est entré dans l’ère « post-industrielle ». Or, observe Pierre Veltz, on produit toujours plus d’objets, trop sans doute, y compris dans les pays où la main d’œuvre est bien payée. « La Suisse est le pays le plus industrialisé au monde, rapporté au nombre d’habitants, loin, très loin devant la Chine. Un Suisse produit 12.400 $ quand un chinois produit 8 fois moins, 1.500 $. »
Demain, l’industrie produira moins de biens, mais plus de services

Au concept délétère d’ère post-industrielle, Pierre Veltz préfère celui d’hyper-industrialisation, qu’il développe en 2017 dans son livre " La société hyperindustrielle. Le nouveau capitalisme productif ". « L’industrie est partout. Si vous ajoutez les activités, en amont et en aval, de la production (support, développement, distribution, marketing), vous observez que le périmètre de la chaîne de valeur de l’industrie est bien plus étendu que ce qui est habituellement pris en compte. Aux USA, il faut presque multiplier par trois le nombre d’emplois industriels pour représenter l’intégralité de cette chaîne. L’hyperindustrie représente environ 30 % de la valeur ajoutée de la France. »
Au final, et à l’en croire, on continue de regarder avec les jumelles du passé - l’industrie tayloriste - un secteur qui a profondément muté et s’apprête à vivre une autre mutation d’ampleur. Demain, l’industrie vendra moins de biens, mais plus de services. « C’est déjà le cas aujourd’hui. Par exemple, une compagnie aérienne n’est pas propriétaire des moteurs de son avion, qu’elle loue au motoriste, avec la maintenance. Ce qui change aujourd’hui, c’est que ce phénomène, anciennement spécifique au B2B, devient grand public. Demain, le grand constructeur automobile installé à Sochaux vendra peut-être moins des voitures qu’une commodité, un service de mobilité. Le client n’achètera plus sa voiture, mais la possibilité pratique et bien organisée de se déplacer. La bonne nouvelle, c’est que ces nouveaux emplois industriels seront, par nature, non délocalisables, puisque précisément liés à un territoire auquel on adapte son service », conclut le chercheur, qui confesse être un grand optimiste.
En clôture des Journées Granvelle, le « grand témoin » Luc Lesénécal, président de Saint-James, une grande réussite française de l’habillement, a marqué les esprits. « Oui, on peut tout à fait produire en France, y compris dans l’habillement, mais pour réussir, il faut avoir une différence à faire valoir. Exporter, finalement, c’est bien vendre une différence. J’ai quelque chose que mes concurrents n’ont pas, et pour laquelle mes clients sont prêts à payer », martèle le chef d’entreprise qui réalise un chiffre d’affaires de 60 millions d’€ en vendant des pulls de haute qualité, fabriqués dans ses ateliers.
Sa différence à lui, c’est la qualité de ses produits, et de leur assemblage. « Moi je vends des pulls à 109 €, qui sont fabriqués en France par des ouvriers très qualifiés en 14 jours. Pour le consommateur, c’est honnête, et il sait ce qu’il achète. » Bien sûr, un label, quel qu’il soit, « fabriqué français » n’est pas à lui seul un gage de qualité ; il faut aussi que le produit raconte une histoire, une histoire vraie, pour séduire les consommateurs sur des segments à forte valeur ajoutée, qui sont les seuls qu’il faut viser.
« Mieux vaut être au sommet d’une niche que noyé dans la masse », estime Luc Lesénécal. Un des biais pour se différencier est de s’appuyer sur le prestige des « Entreprises du Patrimoine Vivant » (EPV), qui ouvre les portes à l’export. Et pour que les petits industriels français en tirent bénéfice, eux qui manquent de la masse critique des grands groupes, il n’y a qu’un mot d’ordre, se regrouper, pour chasser en meute. « Vous êtes 81 EPV en Bourgogne Franche-Comté, regroupez-vous, allez voir votre présidente de région pour faire valoir votre savoir-faire », lance-t-il.

Bravo pour cet article plein d’optimisme...je souscris à 100% à l’analyse. Ce que l’article ne dit pas, c’est que le succès de cette belle Région est le résultat de 30 ans de lobbying auprès des investisseurs potentiels dont je faisais partie.