DÉPÔT DE BILAN/ CÔTE-D’OR. Les dirigeants des sociétés Techni Signal et Virelec expliquent les causes de leur dépôt de bilan, le parcours du combattant qui en découle, et témoignent avec sincérité des conséquences financières et psychologiques qui ont suivi.
Pour les épauler dans ce combat aujourd’hui en partie gagné, l’appui de BFC Accompagnement, service de la Banque Populaire de Bourgogne Franche-Comté dédié à l’accompagnement des entreprises sous procédure collective, qui présentait hier 13 juin son premier bilan, a été plus que précieux (*).
Raconter dans ce pays pourquoi et comment on vit cette situation n’est guère facile. Le malheureux « failli » est presque toujours considéré comme un incompétent, un tricheur, voire pire : un escroc qui l’a bien cherché.
Ailleurs, et notamment dans les pays anglo-saxons, les mentalités font la plupart du temps de l’échec une fabrique à succès. A relire sur le sujet le pertinent point de vue de Cyril Hug, fondateur du laboratoire d’analyses industrielles Filab à Dijon.
Valérie Monier se souvient parfaitement du jour où le mandataire judiciaire, qui représentait ses créanciers, lui a expliqué trois heures durant à son étude les conséquences légales d’un redressement judiciaire (RJ).
Nous sommes en février 2016 et le tribunal de commerce de Dijon vient de placer quelques jours plus tôt l’entreprise Techni Signal, dont elle est la gérante, sous cette procédure collective avec une première période d’observation de six mois. « Il a tenté de me rassurer en disant qu’il était aussi là pour aider », confesse-t-elle.
Cet installateur national de systèmes complexes de signalisation ferroviaire pour trains, tramways, métros et engins portuaires, implanté à Marigny-le-Cahouet (Côte-d’Or), subissait un impayé de 300.000 € pour un chiffre d’affaires global de 800.000 €. Le trou était trop important pour éviter le dépôt de bilan.
« Un grand vide vous saisit à ce moment-là, car vous ne maîtrisez plus rien et les coups durs s’enchaînent », commente Daniel Gomis, son compagnon et directeur de l’entreprise. Dans l’ordre, l’ancienne banque bloque le compte et retire tous les moyens de paiement, les fournisseurs refusent de livrer ou exigent un règlement immédiat et les charognards, que nous évoquerons plus loin, commencent à rôder distillant le fiel du genre : « l’entreprise n’existe plus, elle a été liquidée, le patron est un escroc ».
Il faut dire que le redressement judiciaire est une procédure publique, faisant l’objet d’une publicité et décidée par un tribunal qui nomme la plupart du temps un administrateur judiciaire pour gérer à la place du dirigeant. Seul avantage notable, la dette est gelée.
Au chevet de l’entreprise
« On a la tentation de tout arrêter et de vendre, d’autant qu’immédiatement après votre déconvenue, les vautours attendent, font des offres de rachat au tribunal, supputent du vil prix d’acquisition et cherche à débaucher vos salariés que vous avez formé pendant de longues années », explique Daniel Gomis, qui n’a pas et n’aura jamais sa langue dans sa poche.
Deux facteurs sauvent l’entreprise du dépeçage. Le premier a été la réaction du personnel. « Nous avons joué la totale transparence avec nos neuf salariés et pas un n’a souhaité partir », assure Valérie Monier. Techni Signal a été par ailleurs parmi les premières à bénéficier de BFC Accompagnement, lancé en mai 2016 par la Banque Populaire de Bourgogne Franche-Comté.
Contrairement aux spécialistes parisiens du genre qui facturent à prix d’or leur intervention, le service spécialisé de l’établissement mutualiste (trois conseillers) pratique les mêmes tarifs que pour la gestion d’un client classique, assure t-il, ouvre un compte dans les 24 heures, avec tous les moyens de paiement dédiés, et donne un accès Interrnet pour la gestion à distance.
« C’est ce que nous attendions depuis longtemps car il faut toujours en cas de redressement judiciaire être hyper-réactif et favoriser les flux financiers, la survie de l’entreprise en dépend », affirme Jean-Joachim Bissieux, mandataire judiciaire installé à Dijon.

« Le chef d’entreprise se sent moins seul par un traitement personnalisé qui nous implique avec l’administrateur et l’expert-comptable », certifie Alain Jacquemart, responsable de BFC Accompagnement.
Après deux périodes d’observation de six mois, Techni Signal est entrée en plan de continuation d’un montant de 300.000 € sur dix ans par jugement du tribunal. L'installateur électrique devrait le rembourser assez facilement, en raison d’un marché très porteur dans son métier. La SNCF a en effet prévu de quadrupler ces prochaines années son enveloppe de travaux de signalisation.
« Je voyais partir toute ma vie en miettes »
Pour Virelec, implantée à Longvic, dans l’agglomération dijonnaise, le cas était différent. Racheté en 1998 par Jean-Pierre Schultz, ce spécialiste des systèmes de sécurité en milieu bancaire, carcéral et contraint, comme les sites nucléaires, a vécu tout à la fois un retournement de conjoncture, un mauvais choix et des difficultés avec un client.
Soit 850.000 € sur une dette totale retenue au moment du redressement (le 17 mai 2016) d’1,25 million. « Je n’aurais pas dû attendre car la situation était sérieuse, mais pas dramatique », révèle Jean-Pierre Schultz.
« Ils attendent toujours trop et c’est là le drame, alors que s’ils vont voir le président du tribunal à temps, ils peuvent avoir des conseils précieux et gratuits, notamment pour passer en procédures amiables non publiques : conciliation et mandat ad hoc, ou encore bien préparer leur redressement judiciaire », indique Christian Ducatte, administrateur judiciaire.
Ici, la période d’observation ne durera que six mois après des départs volontaires et cinq licenciements. « Je suis tombé sur un président de tribunal à l’écoute, un mandataire qui m'a mis à l’aise et un administrateur rassurant, ce qui a beaucoup aidé à remotiver tout le monde et évité de perdre un seul client », reconnaît le P-DG de Virelec : 27 salariés et 3,5 millions d’€ de chiffre d’affaires attendu cette année.

« Cela ne se passe pas toujours ainsi car j’ai personnellement vécu un redressement judiciaire dans un autre emploi où l’administrateur était infect », glisse Pierre Maréchal, le directeur administratif et financier. « Reste que l’on sort, vidé, rincé, étripé de pareille épreuve car je voyais ma vie partir en miettes », renchérit Jean-Pierre Schultz.
C’est le fameux adage des 3D : dépôt de bilan, dépression, divorce, auquel on peut en ajouter un quatrième avec déménagement. « Dites surtout qu’il n’y a aucune fatalité, il faut juste savoir anticiper », tonne Christian Ducatte.
(*) La Caisse d’Epargne de Bourgogne Franche-Comté a également mis en place un accompagnement de ce type.
Un bon bilan
A l’issue d’une année de fonctionnement, la Banque Populaire de Bourgogne-Franche-Comté est très satisfaite de son service d’accompagnement. Sur les 1.000 redressements judiciaires décidés en un an, elle engrange 300 entrées en relation et vise les 500 l’an prochain. Ce succès devrait permettre à nombre d’entreprises de passer un mauvais cap. « Nous avons l’idée de franchiser cette initiative auprès de nos consoeurs du groupe BPBFC », évoque Bruno Duchesne, le directeur général de la banque.
Thèmes et articles intéressants, Il faudrait que plus d'entrepreneurs puissent avoir accès à ces témoignages, pour les guider dans leur entreprise.