Pour les Européens que nous sommes, l’élection de Joe Biden à la Présidence des Etats-Unis met fin à 4 ans de présidence chaotique et isolationniste de Donald Trump. Cette élection apparaît comme une rupture forte entre une Amérique centrée sur elle-même : « America First », et des Etats-Unis ouverts sur le monde : « Make Our Planet Great Again ». Mais ce changement politique n’est pas aussi clair au plan économique, pour trois raisons. Pourquoi ? D’abord parce que le bilan économique de la Présidence Trump n’est pas si mauvais. Ensuite, parce que le maintien vraisemblable d’un Congrès divisé rendra difficile une politique budgétaire de rupture. Enfin, parce que sur le fond, les promesses des deux candidats en terme d’équilibre économique ne sont pas si éloignées l’une de l’autre. Explication par Bruno Duchesne, directeur général de la Banque Populaire de Bourgogne-Franche-Comté.


 

• Un bilan économique terni par la gestion désastreuse de la crise du Covid

Trois succès sont à porter au crédit de Donald Trump. Le premier concerne le chômage qui, avant la crise sanitaire, était tombé au plus bas depuis 1953, avec un taux de chômage de 3.5 %. Le second en est la conséquence, avec une pauvreté en baisse, les salaires progressant de 5 % chez les plus pauvres. Le dernier succès concerne les marchés des actions dont la progression en 4 ans se situait aux environs de 50 %.

Paradoxalement, l’échec assez net de cette politique économique concernait la réduction du déficit commercial, avec au final peu d’emplois industriels rapatriés, une poursuite de la perte d’emplois dans l’industrie et un déficit commercial toujours très significatif. Bien sûr, la crise sanitaire a terni ce bilan. Mais elle est perçue aux Etats-Unis comme conjoncturelle, et le succès économique reste toujours porté au crédit de Donald Trump.

• Un congrès probablement divisé, permettant une obstruction systématique

Les élections sénatoriales en Géorgie détermineront la majorité au Sénat américain. Dans l’hypothèse où celui-ci resterait sous le contrôle des Républicains, tout ce qui de près ou de loin ressemble à une initiative démocrate un peu radicale sera combattu. Cette situation serait assez nouvelle dans l’environnement politique aux Etats-Unis. Depuis 1992, tous les présidents ont disposé, au début de leur mandat, d’un Congrès uni, leur permettant, au cours de leurs deux premières années, de mettre en œuvre tout ou partie de leur politique économique.

Sauf surprise dans l’Etat de Géorgie (*), il n’y aura pas de Grand Soir, ni sur les impôts, ni sur la réglementation, ni sur le verdissement. Certes, le discours politique de Joe Biden porte ces enjeux, mais sa capacité à les mettre en œuvre de façon significative sera assez largement entamée.

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Bruno Duchesne, DG de la Banque Populaire de Bourgogne - Franche-comté depuis 2012. © Traces Ecrites

• Des grands équilibres économiques peu éloignés

Dans les faits, les promesses des deux candidats aboutissaient à des déficits publics durables très significatifs. Ainsi, la dette fédérale augmentait en 10 ans de 18 points de PIB avec Biden, et de 16 points de PIB avec Trump. Dans les deux camps, l’objectif était de renforcer la classe moyenne, avec des choix plutôt individualistes pour les Républicains et plutôt collectifs pour les Démocrates.

Ainsi, le programme de Joe Biden prévoit une augmentation de la taxation des hauts revenus, la hausse du taux de l’impôt sur les sociétés, l’augmentation de l’assurance-maladie publique et l’augmentation des dépenses d’enseignement. L’ensemble de ces mesures coûterait de l’ordre de 2 points de PIB par an, qui est beaucoup en valeur absolue, mais peu au regard du déficit actuel des Etats-Unis : de l’ordre de 15 % du PIB.

En réalité, le discours et le modèle de société seront plus transformés que les grands équilibres économiques. Cette mise en cohérence s’accompagnera d’une dimension géopolitique nouvelle concernant la place des Etats-Unis dans le monde. Trois thèmes guident la politique de Joe Biden en la matière. En premier lieu, la place de l’économie américaine doit être forte dans un monde compétitif, ce qui signifie qu’elle doit être ouverte.

Le second concerne les relations avec la Chine avec, en toile de fond, une forme de leadership mondial, en particulier technologique. Enfin, et c’est probablement la dimension la plus importante pour nous, le nouveau Président américain souhaite redonner une dimension multilatérale aux relations internationales américaines. Il l’a fait dès le 1er jour en annonçant sa volonté de réintégrer l’accord de Paris sur le climat.

Ainsi, la communication désordonnée de Donald Trump et surtout la crise sanitaire ont terni un bilan économique plutôt positif en termes de croissance, d’emploi et de pouvoir d’achat aux Etats-Unis. Les choix de Joe Biden ne feront pas apparaître de bouleversements, faute d’une majorité durable au Congrès. En revanche, il infléchira la politique économique dans deux directions : la lutte contre les inégalités et le développement des classes moyennes.

La rupture viendra beaucoup plus de la posture géopolitique, avec le retour des Etats-Unis dans le concert des nations, le rétablissement d’une relation plus équilibrée avec la Chine, et la réintégration des instances internationales. Pour Joe Biden, le monde est fondamentalement multilatéral et repose sur un nouvel équilibre dans lequel les USA ont un rôle majeur à jouer.

(*) Cet Etat qui doit envoyer deux sénateurs au congrès de Washington n’a pas réussi à les désigner au même moment que l'élection pérsidentielle, tant le résultat du scrutin est serré. Un second tour, crucial pour Joe Biden, se déroulera les 5 janvier prochain.

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