Le bureau d’études installé à Pontarlier (Doubs) construit son nouveau siège social avec du bois attaqué par l'insecte scolyte. La démonstration intéresse la filière sylvicole durement touchée par ce parasite, mais elle met aussi en évidence une nécessaire adaptation des filières industrielles.


Apporter une démonstration par l’exemple, telle est l’ambition du bureau d’études Teckicéa. Par la réalisation de son nouveau siège social à Pontarlier (Doubs), il compte prouver que le bois scolyté, du nom de l’insecte qui ravage depuis plusieurs années les forêts d'épicéas de l’Est, est aussi valable pour la construction que le bois sain.

La Sarl de 10 salariés réalisant un chiffre d’affaires annuel d’environ 800.000 € connaît son sujet : elle est une référence régionale de la conception de structures bois et mixtes (bois, métal, béton). « Le seul problème du bois scolyté est d'ordre esthétique », assure son gérant, Sylvain Rochet.

Le petit coléoptère s’attaque fortement aux épicéas communs, qu’il peut décimer en quelques semaines, obligeant à couper les arbres malades. Et le bois qui en résulte prend effectivement une teinte gris-bleu tout en conservant des traces des piqûres, ce qui fait qu’il est délaissé dans l’ameublement et la construction.

 

bpbfc

 

Face à cette attitude, Sylvain Rochet brandit les arguments techniques. « L’institut technologique FCBA, centre technique industriel national pour la forêt, la cellulose, le bois construction et l'ameublement, a conduit des tests sur le bois scolyté, à différents niveaux de séchage. Ceux-ci ont montré qu’il présentait les mêmes caractéristiques mécaniques que le matériau non attaqué. »

Fort de cette conclusion scientifique, le bureau d’études s’est attelé à un second défi : s’assurer d’un approvisionnement en bois d’ingénierie local pour son chantier. À la différence du brut, celui-ci est de nature industrielle, étant retravaillé pour en améliorer certaines caractéristiques, comme le CLT (Cross-Laminated Timber, ou lamellé-croisé), le contrecollé, le bois massif abouté…

« Dans le massif du Jura, nous disposons d’une industrie de première transformation - les scieurs - et, dans une moindre mesure, de seconde transformation : Pro Lignium, à Frasne, fait du contrecollé et du massif abouté, XLAM à Mignovillard produit du CLT, Simonin à Montlebon réalise du lamellé-collé. Le problème de ces entreprises, c’est qu’elles ne sont pas organisées en filière qui travaillerait vraiment ensemble », analyse le gérant.

 

Une très légère économie

Teckicea bois detail
Les stigmates du scolyte se voient relativement peu. © Arnaud Morel


Conséquence, Sylvain Rochet a dû convaincre chacun des acteurs de participer au projet. D’abord, une scierie de lui vendre du bois scolyté. « Les scieurs éliminent les parties attaquées du bois et le vendent comme non scolyté, ils ne comprenaient pas pourquoi je voulais du bois marqué. Quant aux transformateurs, ils se fournissent souvent dans les pays d'Europe du Nord, qui assurent de gros volumes à la qualité irréprochable », estime-t-il. L’entreprise Simonin, à 30 km du chantier, s’est chargée des opérations de transformation, notamment une prestation de collage.

Sur place, le chantier va bon train. Le bâtiment de 540 m2, en périphérie de Pontarlier, mobilise une enveloppe d’un million d’€. Il devrait être livré à l’automne. Teckicéa s’installera au premier étage et sera rejoint par un cabinet d’expertise-comptable au rez-de-chaussée. Le projet recourt au bois scolyté pour la charpente, les murs à ossatures et les planchers. « Ce n’est même pas moche, j’aurais presque aimé que le bois soit plus marqué », note Sylvain Rochet.

 

expertcomptable

 

Celui-ci expose également l’aspect financier de l’opération. « Nous cherchions à faire une démonstration, et pas des économies. Mais au final, nous économisons environ 5.000 € sur les 250.000 € du lot bois. Cela reste toutefois très marginal, ce ne peut être la motivation pour avoir recours à du bois scolyté. » Le m3 d’épicéa sain se vend en grume « bord de route » autour de 80 €, contre 20 à 40 € pour le bois scolyté. Après transformation, les prix à l’état prêt à l’usage atteignent respectivement 450 et 350 €.

 

Sylvain Rochet, génération bois

sylvain rochet
Fils de constructeur bois, le gérant de Teckicéa est ingénieur de l'Enstib d'Epinal. © Arnaud Morel

Fondateur, en 2000, de Teckicéa, Sylvain Rochet s’inscrit dans une histoire familiale tournée vers la construction bois. L’entreprise de ses parents, les établissements Rochet à Bletterans (Jura), fournissait déjà des bâtiments clé en main à ossature bois. « Elle n’a pas survécu à la crise de la fin des années 1980 et a été liquidée en 1991 », se souvient le presque quinquagénaire.
Lui choisit de valoriser une formation d’ingénieur à l’École nationale supérieure des technologies et industries du bois (Enstib) d’Épinal (Vosges) pour fournir une expertise tournée vers une ressource durable et locale. Le mantra résonne avec l’air du temps : depuis trois ans, le carnet de commandes explose. « Nous travaillons pour moitié en maîtrise d’œuvre, et en conseil et études pour des entreprises. Nous sommes notamment capables de générer un modèle 3D des bâtiments, intégrant toutes les données d’assemblage et celles de découpe pour la taille industrielle. »

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