La forteresse militaire vieille de huit siècles est partie pour dix ans de réaménagements, qui ont commencé par la restauration des deux ponts-levis et de la porte d’honneur. Ils portent aussi sur l’animation du site, comme prévu ce 8 juillet, pour marier témoignages de sa vocation historique et spectacles contemporains.
Du haut de son vertigineux promontoire, le château de Joux vous contemple de ses presque mille ans d’existence. Il se mérite. Si l’étroite voie entre Pontarlier et La Cluse-et-Mijoux (Doubs) permet de s’en approcher au maximum en voiture, les derniers mètres donnent une idée de la pente abrupte sur laquelle la forteresse s’est bâtie à partir du 13ème siècle.
La mise en jambes se poursuit une fois franchies les portes d’entrée. Elle mène aux deux ponts-levis, au « pont dormant » et au portail historique qui font l’actualité du château en 2022. Ces éléments ont achevé ce printemps leur restauration pour près d’1 million d’€, un chantier conduit par la communauté de communes du Grand Pontarlier, lointaine héritière comme propriétaire de ce qui fut à l’origine la demeure de la famille Joux.
Conçus par les architectes du patrimoine du cabinet lyonnais Archipat, « les travaux ont concilié le respect de leur cachet avec l’adjonction d’éléments qui garantissent leur pérennité, en accord avec la conservation régionale des Monuments historiques, principalement le support métallique qui renforce le platelage en bois du tablier du pont dormant », décrit Pierre-Yves Siramy, directeur de l’ingénierie du Grand Pontarlier.

Mais pas d’inquiétude effectivement : la majesté de la pierre calcaire locale, de Vuillecin, et des lourdes portes en chêne transparaît toujours. Quelques ragréages des sculptures redonnent de l’éclat, de même que le nettoyage de la maçonnerie. « Il a remis en exergue un badigeon ocre qui a restitué pour valoriser ses motifs sculptés », signale Laurène Mansuy.
La directrice du château est intarissable sur les techniques des ponts-levis restaurés. On saura donc que Joux fait cohabiter « le dispositif classique à flèches, ce terme désignant les grandes poutres auquel le tablier est relié », avec « la technique plus rare de la bielle pendante » qui fait appel à des cordes et poulies pour abaisser le contre-poids. Cette dernière a été mise au point par l’ingénieur Amédée François Frézier au 18ème siècle sur quelques sites en France. Joux en est le dernier témoignage, mais Frézier n’en a laissé aucun plan spécifique. Restaurer l’ouvrage a représenté un joli défi pour les entreprises...
La directrice poursuit son exposé sous un de ces motifs qui fait deviner une fleur de lys effacée à la Révolution : mémoire de la période 1674-1789 du Royaume de France où la bâtisse s’est développée à la suite de la conquête de la Franche-Comté. Pas plus que les multiples générations qui l’ont précédé, l’emplacement stratégique sur les routes entre du Nord et du Sud aux portes de la Suisse n’avait échappé à Louis XIV qui dépêcha sur les lieux l'incontournable Vauban pour moderniser les défenses.
De vocation militaire, le château l’a toujours été, jusqu’à sa dernière transformation majeure après la guerre de 1870 : le général Seré de Rivière y a appliqué son système en mode « grande série » de forteresses pour garnisons entières, qu’on retrouve notamment au fort de Mont-Bart dans le Pays de Montbéliard.
Au total, Joux compte cinq enceintes sur deux hectares, et pas moins de 250 pièces. Parmi les plus célèbres, figurent les cellules du temps de son statut de prison d’État qui lui fit accueillir, malgré eux, deux hôtes prestigieux : Mirabeau alors jeune comte pas encore révolutionnaire et Toussaint-Louverture, le fondateur de la République d’Haïti puni pour soupçon de rébellion par Napoléon et qui décéda là en 1803, dans la froideur du haut-Doubs. Sa cellule est toujours régulièrement entretenue par l’État haïtien et décorée du drapeau national.
Le financement de la première campagne de restauration a réuni acteurs publics (Grand Pontarlier, Etat, région, département), des mécènes privés et les souscriptions de particuliers auprès de la Fondation du patrimoine, suite au soutien au projet accordé par la Mission Bern de sauvegarde du patrimoine.
Musique antillaise et revisite de Molière

Mais la communauté de communes entend aussi ancrer le lieu dans l’avenir. Les restaurations récemment terminées ne constituent que la première étape du projet « Renaissance du château de Joux » imaginé sur dix ans jusqu’en 2030 – et plusieurs millions d’€ - autour de deux mots-clés : « Forteresse et libertés ». « Il s’agit de réaffirmer les témoignages de l’histoire militaire tout en jouant l’ouverture, y compris sur la création contemporaine », résume Laurène Mansuy.
Les travaux de restauration des pierres et autres maçonneries se poursuivront au fur et à mesure que nécessaire. De nouveaux espaces seront aménagés, dont un musée d’art et histoire militaire mettant en valeur la collection d’armes anciennes d’une richesse insoupçonnés – « 1.200 pièces, la troisième de France » dixit la directrice - et un musée d’art haïtien autour de 75 tableaux de peintres retraçant l’histoire du pays. La place d’Armes, quant à elle, renoue avec sa fonction d’accueil de spectacles (jusqu’à 350 places) interrompue par la crise sanitaire. Selon une programmation voulue « dépaysante ».
Ce 8 juillet, un concert gabonais donnera un avant-goût de la saison concentrée jusqu’à mi-août durant laquelle résonnera aussi des accents de jazz et de DJ antillais : ils viendront de musiciens qui seront en résidence au château, au même titre que des comédiens attendus pour revisiter des pièces de théâtre, dont les méconnues « La Comtesse d’Escarbagnas » et « Monsieur de Pourceaugnac » de Molière. Ainsi relifté dans son enveloppe et son contenu, le vénérable château souhaite renouer avec sa fréquentation d’avant-Covid située à 45.000 visiteurs par an.