Selon le philosophe Emmanuel Kant, « le travail est l’activité vitale propre au travailleur, l’expression personnelle de sa vie ». Si l’entreprise a pour essence un but économique, il s’agit aussi d’un lieu de rencontre, d’interaction, entre divers salariés, et chacun dispose de sa propre liberté, de ses convictions, de sa culture, de ses croyances, … Ces deux libertés, le travail et la liberté religieuse, sont aujourd’hui beaucoup plus fréquemment confrontées l’une à l’autre et il est parfois difficile de concilier cela.

Telle est la raison pour laquelle le Code du Travail prévoit des garanties des libertés individuelles et collectives des salariés et que les restrictions venant entourer ces libertés doivent être justifiées et proportionnées. Compte-tenu de la multiplicité des situations, la jurisprudence de la Cour de cassation est particulièrement dense à ce sujet. Mathilde Bachelet, avocate chez Du Parc - Cabinets d'Avocats clarifie la situation et fournit de précieux et judicieux conseils.

• L’embauche d’un salarié

« Recherche hôtesse d’accueil avec service d’alcool » Aucune offre d’embauche ne doit permettre de subordonner un recrutement à une appartenance ou une non-appartenance à une religion. Le type d’exemple mentionné ci-devant constitue une discrimination. Dès lors, tous les critères figurant dans une offre d’emploi ne peuvent avoir pour effet d’exclure des candidats. Les exigences professionnelles liées directement au poste sont les seuls critères déterminants.
En outre, aucun recruteur ne peut poser de question liée à la religion ou à la pratique d’une religion lors d’un entretien d’embauche. De la même manière, un employeur ne peut privilégier le recrutement d’un candidat ou d’une candidate d’une conviction particulière qui correspondrait à celle de la majeure partie de la clientèle de son établissement. L’employeur doit uniquement se limiter à poser des questions pertinentes en lien avec l’emploi.

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Mathilde Bachelet, avocate chez Du Parc - Cabinets d'Avocats. © Du Parc.

• L’exécution du travail

Si les conditions d’embauche sont particulièrement strictes, les problématiques incluant la religion et liées à l’exécution du contrat de travail sont plus variées.La situation qui revient de manière récurrente est le refus par un salarié d’exécuter une tâche pour laquelle il a été embauché (servir de l’alcool, être en contact avec de la viande de porc, ne pas travailler certains jours…). A condition que la tâche à effectuer ne conduise pas à la mise en danger du salarié, ce dernier peut être sanctionné s’il refuse d’exécuter certaines tâches qui lui incombent compte-tenu de raisons religieuses.
La seconde problématique la plus courante est celle des absences de salariés à l’occasion de fêtes religieuses. Comme n’importe quelle absence, tout salarié doit obtenir une autorisation pour pouvoir s’absenter, y compris s’il s’agit d’une fête religieuse.

Face à une demande de congé d’un salarié correspondant à une date de fête religieuse :
- Le salarié n'est pas obligé de faire connaître le motif religieux de sa demande.
- Il faut l'autorisation de l’employeur comme pour tout autre congé.
- L'employeur est en droit de refuser (*).

Dès lors, tout salarié absent de manière injustifiée pourra être sanctionné de manière disciplinaire à ce titre. La question de la neutralité religieuse est également régulièrement posée puisque par analogie, il est aisé de croire que la neutralité religieuse qui s’impose aux agents publics doit également s’appliquer aux salariés des entreprises privées.
Tel n’est pas le cas. Néanmoins, le règlement intérieur de l’entreprise peut tout à fait interdire de porter des tenus ou symboles religieux à condition que cette restriction soit justifiée par des motifs répondant aux exigences indiquées par la loi (hygiène, sécurité, …). Si l’employeur émet certaines restrictions, il doit adopter les mêmes règles à l’égard de toutes les religions quelles qu’elles soient.

Une des récentes questions qui s’est posée était de savoir si l’employeur peut interdire à un salarié de prier sur son lieu de travail. Là encore une distinction importante doit être opérée selon qu’il s’agisse du lieu de travail ou du temps de travail. Ainsi, il est tout à fait possible pour un salarié, à condition bien évidemment que cela ne vienne pas perturber l’organisation du travail ou du service, de prier pendant son temps de pause dans son bureau.
En revanche, si cela est effectué sur le temps de travail ou que cela gêne l’exécution du travail des autres membres de l’équipe ou collègues, une interdiction est alors justifiée. La question de la prière en entreprise s’est également posée pour le lieu de prière. Il faut savoir que l’employeur n’est jamais tenu de mettre à disposition une salle de prière et qu’aucun salarié ne peut, sans autorisation, utiliser une salle de l’entreprise pour prier. En fonction de leurs convictions religieuses, certains salariés refusent parfois, ou émettent des réserves à se rendre à la visite médicale. Mais sachez que la visite médicale est une obligation pour tous les salariés et refuser de s’en acquitter est un comportement susceptible d’être sanctionné par l’employeur.

• La clause de neutralité vestimentaire

Depuis août 2016, l’article L1321-2-1 du Code du travail précise que le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché.
Cet article fait suite à l’affaire Baby-Loup et a ensuite fait l’objet d’une application jurisprudentielle remarquée dans un arrêt de la chambre sociale de novembre 2017 (Cass. soc., 22 novembre 2017, nº 13-19.855 PBRI), dans laquelle une femme embauchée en CDI en qualité d’ingénieur conseil avait refusé d’ôter son foulard islamique lorsqu’elle intervenait dans des entreprises clientes de la société. Elle avait alors été licenciée.

La Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE), le 14 mars 2017, avait posé le principe qu’une entreprise peut limiter l’expression religieuse de ses salariés et leur imposer en particulier une « neutralité vestimentaire » sans que cela puisse être considéré comme discriminatoire. Il avait été considéré que la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de cette disposition.
En France, la Cour de cassation avait relevé l’absence de clause de neutralité ainsi que la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une salariée portant un foulard islamique, ce qui ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle. Le licenciement avait alors été considéré comme étant discriminatoire. La clause de neutralité est donc un point du règlement intérieur de l’entreprise qui doit mériter toute l’attention des entreprises et pour la rédaction de laquelle il peut être opportun de se faire assister par un professionnel du droit.

• Le licenciement

Enfin, et non des moindres, si le code du travail interdit de sanctionner un salarié en raison de son origine, de son sexe, … ou de son appartenance ou de sa non-appartenance à une religion, un licenciement fondé sur un tel motif discriminatoire est nul de plein droit. Certaines nuances doivent être apportées, puisqu’une jurisprudence récente de la Cour de cassation a précisé que le fait, pour un salarié, de refuser de jurer pour prêter serment en raison de sa foi n’était pas susceptible de justifier un licenciement.
Dans ce cas de figure, un salarié de la RATP avait refusé de dire « je le jure » comme le lui demandait le Président du TGI de PARIS à l’occasion d’une assermentation car le salarié estimait que sa foi chrétienne le lui interdisait. Il avait proposé une alternative de promesse solennelle conforme à ses convictions. Cette proposition n’ayant pas été accueillie par le magistrat, ce dernier a refusé la prestation de serment et le salarié a été licencié pour faute grave au motif qu’il n’avait pas obtenu son assermentation. Le licenciement a été déclaré nul. Dès lors, lorsqu’il s’agit de convictions religieuses, un employeur ne peut pas dire à sa salariée : « Ne jurez pas Marie-Thérèse ! ».

(*) À noter que certaines conventions collectives prévoient un droit à absence pour cérémonie ou fête religieuse.

1 commentaire(s) pour cet article
  1. Fabienne GORON -MyPass Evolutiondit :

    Merci pour cet article très bien rédigé et documenté.

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