Les trois interprofessions viticoles s'unissent pour construire une serre bioclimatique dans la Marne, dans l’intention de prémultiplier les pieds de vigne et travailler à leur adaptation climatique. Il y a urgence.
Les travaux de la future serre « insect proof » des interprofessions viticoles de Bourgogne, du Beaujolais et de Champagne, baptisée Qanopée, avancent bon train à Blancs-Coteaux, le bien-nommé bourg de Marne situé à une trentaine de kilomètres de Châlons-en-Champagne.
« Notre permis de construire a été validé en juillet dernier, les travaux de terrassement et les fondations ont débuté en septembre et nous commençons à poser. Nous progressons à un rythme soutenu, en accord avec les engagements pris pour bénéficier du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Nous avons l'objectif de terminer les travaux au 30 juin 2024, pour une mise en vente des premiers bois produits fin 2026, début 2027 », détaille Thiébault Huber, président de la Confédération des Appellations et des Vignerons de Bourgogne (CAVB), et administrateur bourguignon de Qanopée.
Lancé il y a quatre ans, ce projet porte les espoirs de la viticulture de trois régions, dans le but d'assurer la fourniture d’un matériel végétal (greffon et porte-greffe) de haute qualité sanitaire, qui soit adapté, autant que faire se peut, au dérèglement climatique.
Au sein des 4.500 m2 de la serre bioclimatique qui fonctionnera à température contrôlée, les trois interprofessions, regroupées dans une association loi 1901, vont assurer le travail de prémultiplication du matériel végétal, afin d’approvisionner les pépiniéristes. Ceux-ci se chargent de la multiplication et de la livraison de plants de vigne aux viticulteurs.
Actuellement, la prémultiplication s’opère en pleine terre, au sein de structures spécifiques à chaque vignoble : le Comité Champagne (CIVC), l’association du Groupement Régional d’Amélioration et de Prémultiplication de la Vigne Centre Est (GRAPVI) pour la Bourgogne et la Société d'Intérêt Collectif Agricole de Recherches et d’Expérimentations (Sicarex) en Beaujolais. Cependant, une telle opération en plein champ devient chaque jour plus difficile, les vignes dédiées se faisant contaminer par des viroses et des maladies du bois. La législation, d’ailleurs, va évoluer et proscrire, à partir de 2029, cette prémultiplication en pleine terre, obligeant à la réaliser en serre.
Une première mondiale de cette ampleur pour l'insect proof

Au-delà de Quanopée, tout le vignoble français va devoir s’adapter à ces changements. « À terme, cinq serres comme la nôtre devraient se répartir sur le territoire français pour subvenir aux besoins de tous les pépiniéristes. Notre projet a valeur de test en France, et plus globalement. Qanopée sera la première serre “insect proof” au monde de cette ampleur », note Thiébault Huber.
Modifier le mode de prémultiplication pour le rendre sanitairement plus sûr ne va pas sans conséquences économiques. Aujourd’hui, un fagot de 1.000 yeux (*) se vend autour de 80 €, or ce prix sera triplé avec Qanopée. L’administrateur bourguignon du projet relativise : « Un fagot fait réaliser des centaines de milliers de greffes. Rapportée au plant de vigne, l’augmentation du coût s’établit autour de 5 centimes, ce qu’ont bien compris les pépiniéristes, qui nous suivent dans notre démarche. »
La construction de la serre, associée à un bâtiment tertiaire de 900 m2, est assurée par un groupement entre l’entreprise du bâtiment Thouraud (groupe Fayat) à Reims, Manière Mazocky Architecture à Aÿ-Champagne en Marne, le bureau d’études Cohésens (Taissy, Marne), le spécialiste des serres CMF en Loire-Atlantique et le cabinet parisien en hydrologie Urban Water.
Le projet mobilise un budget de près de 8,4 millions d’€, soit 4, 8 millions d’€ de subvention FEADER, 1,2 million d’aides des diverses collectivités territoriales concernées, 860.000 € d’apport des trois interprofessions et 1,5 million d’€ de prêt bancaires.
L’association recrute en ce moment un directeur d’affaires pour Qanopée, qui emploiera à terme quatre équivalents temps plein, secondés par deux ETP durant les périodes d’intense activité. À terme, Qanopée doit s’autofinancer par la vente du matériel végétal aux pépiniéristes. « Notre projet est très ambitieux, d’abord techniquement, mais aussi économiquement. Nous aurons des coûts de fonctionnement importants du fait de la consommation énergétique de la serre. Mais il y a la garantie d’une multiplication de qualité pour les pépiniéristes », analyse Thiébault Huber.
Au sein de la serre Qanopée, 500 m2 sont dévolus au conservatoire des vignes. La profession stocke en effet, depuis plus de trente ans, les diverses variétés, qu’elle compte mettre à l’abri au sein de ce futur coffre-fort végétal. « Aujourd’hui, sur nos principaux cépages, nous conservons 1.870 variétés de pinot noir et plus de 1.200 de chardonnay. Nous réalisons un fastidieux travail de caractérisation pour savoir comment ces échantillons se comportent et comment sélectionner ceux qui seront le mieux adaptés au changement climatique », explique Thiébault Huber, au CAVB.
« Nous ne planterons pas de la syrah en Bourgogne, contrairement à ce que l’on peut entendre. Nous disposons d'un nombre suffisant de variétés de pinot noir dans notre conservatoire pour nous adapter au changement climatique », poursuit-il. En intégrant son conservatoire au sein de sa serre de production, Qanopée devrait permettre une grande réactivité dans la proposition de variétés adaptées aux conditions climatiques. Actuellement, il faut environ cinq ans pour sélectionner et proposer des plants nouveaux. Le projet interrégional espère ramener
ce délai à une année.
(*) les yeux désignent les bourgeons, et le fagot la botte de bois