La visite de l’une des seize anciennes carrières de Forterre, dans l’Yonne, offre un décor majestueux et « sculpté » par la main de l’homme. On parle d’une époque où l’ergonomie au travail, comme la chasse aux troubles musculo-squelettiques (TMS), en auraient fait sourire plus d’un. Ici, des générations de carriers ont livré, à la force de leurs bras, de quoi bâtir dans le beau et le solide. En témoignent notamment les piliers de soutènement de la Tour Eiffel. Conseil d’ami, prenez une petite laine, car on déambule en souterrain à travers de vastes salles, parfaitement éclairées mais à une température un tantinet fraîche de 12°.
La Forterre, petite région de l’Yonne, contraste avec sa consoeur limitrophe de Puisaye. Ici pas de grandes forêts, peu de vallons, mais de grands plateaux céréaliers à perte de vue. Cette « forte terre » calcaire exploitait naguère dans son sous-sol une très belle richesse : de la pierre servant à la construction de grands monuments comme l’Opéra Garnier, l’hôtel de Ville de Paris, les piliers de la Tour Eiffel ou encore les cathédrales d’Auxerre et de Sens. Mais pas que…

Si, au début de son extraction à l’époque gallo-romaine (dès 81 après JC), cette roche sédimentaire vieille de 200 millions d’années (*) servait à réaliser des sculptures et des sarcophages, combien de bâtiments publics n’a t-elle pas permis d’ériger au 18ème et surtout 19ème siècles : écoles, mairies, gares, ponts ou encore prisons… La Forterre, au coeur du bassin de Taingy, compta jusqu’à 16 carrières de ce type. Une seule se visite depuis 1992 comme un vestige du passé, celle d’Aubigny. Elle cessa toute activité en 1940. Ayant perdu sa rentabilité, le béton et ses parpaings ayant fait leur oeuvre, le site de 1,5 hectare dévoile au gré d’une visite guidée (**), tout le titanesque labeur des carriers.
Un cinquième seulement extrait
Pour extraire un bloc – on disait un blot – de cette pierre calcaire, tout commence par la suspension d'une barre de fer, appelée « lance », à un trépied en bois, à l'aide d'une chaîne. Le système permettait au carrier – on en dénombra jusqu’à 70 au plus fort de l’exploitation – de la balancer à un rythme régulier sur le front de taille pour faire les deux tranches verticales et une horizontale, en bas. Il utilisait ensuite une autre barre, l’aiguille, pour dégager la tranche par le haut. Le travail s'effectuait avec un engin de 13 kg, manié à bout de bras (le four) durant des heures, les journées de l’époque en totalisant pas moins de treize.

Grâce à une atmosphère saturée d’humidité à plus de 80%, l’utilisation astucieuse de coins de bois encastrés dans les tranches verticales les faisait gonfler, brisant ainsi l'arrière du bloc. Ce dernier basculait en avant sur des fagots de bois, de sorte à amortir la chute. Ensuite, ils étaient « dressés » au bon format, tractés sur des rouleaux de fer à l’aide d’un treuil (le crapaud), puis chargés sur un chariot, (le fardier), tiré jadis par des chevaux. De nombreuses traces noirâtres pigmentent la pierre. L’explication tient aux lampes à huile qui furent remplacées en 1850 par des exemplaires à carbure. La veine calcaire s’étend sur 50 hectares jusqu’à 60 mètres de profondeur et seul un cinquième fut exploité naguère.

La carrière expose par ailleurs de véritables chefs d’oeuvre. Deux associations de compagnons, l’Union Compagnonnique des Devoirs Unis et la Société des Compagnons Tailleurs de Pierre des Devoirs, viennent souvent éprouver leurs techniques dans la carrière d’Aubigny offrant au regard de magnifiques réalisations. Entre 2001 et 2011, 60 membres de L’Union Compagnonnique ont édifié l’Escalier de l’Ascencion. Plus loin, on peut admirer la Rosace Tribolée, une oeuvre collective, datant d’août 1994, de jeunes apprentis sculpteurs, encadrés par trois compagnons de la Société des Compagnons Tailleurs de Pierre des Devoirs du Tour de France.

Des ateliers de taille de pierre

(*) Gorgée d’eau à 80%, l’extraction de la pierre ne dégageait aucune poussière de nature à provoquer des maladies respiratoires. Sa dureté découlait du séchage qui générait une pellicule, le calcin.
(**) Guidée pour les groupes et, tout nouveau, via l’application Legendr pour les individuels à télécharger sur smartphone. Elle invite à percer les mystères de la carrière grâce à des vidéos, photos, podcasts et jeux. Pour en savoir plus : https://carriere-aubigny.com/informations-pratiques-tarifs/

On n’entre pas aux Terres Cuites de Courboissy comme dans le salon d’une banque d’investissement parisienne du 8ème arrondissement. L’entreprise, fondée en 1860, transpire à ses quatre coins l’histoire de la fabrication, à l’origine de briques, puis de pavés ou tomettes, en raison de la présence locale d’argile, de bois et d’eau. Le sol, les murs et les équipements en témoignent. En 2008, Olivier Brunet (59 ans), passionné de décoration et de construction, reprend avec l’appui d’un cousin cette affaire située à Charny Orée de Puisaye (Yonne), devenue trois ans plus tard Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV).

Le label lui est attribué à juste titre car l'entreprise fournit ses produits pour des rénovations historiques : Le Petit Trianon, le Château de Chambord, l’Abbaye Saint-Germain d’Auxerre… Mais ce sont les particuliers qui fournissent le gros de la clientèle. « Beaucoup de résidents secondaires transforment leur bien immobilier en habitation principale et veulent des produits de qualité », explique Olivier Brunet. Ils trouvent chez lui leur bonheur. Les tomettes enduites d’une huile dure à base de soja donnent une belle patine satinée mate. Elles s’avèrent de surcroît idéales pour les chauffages au sol et offrent entre autres qualités d’être hydrofuges.

Leur fabrication obéit à un savoir-faire ancestral que l’entreprise perpétue. L’argile arrive en vrac. On le broie, puis avec de l’eau, on malaxe une pâte dans un mélangeur. Vient ensuite l’extrusion en boudins, la découpe, le pressage et le séchage. Enfin, la cuisson dure une quarantaine d’heures dans des fours à flamme renversée montés à 1200°.
Terres Cuites de Courboissy fabrique aussi des carreaux de faïences du Boulonnais, pour les cuisines et salles de bain, à partir d’argile blanche. Les motifs géométriques sont sérigraphiés avec une pâte d’émail coloré qui donne une protection naturelle à l’issue de la cuisson. Autre produit de l'entreprise, des enduits d’argile en seaux de 25 kilos emplacent la peinture, laissant comme avantage une respiration des murs.
Pour en savoir plus : www.courboissy.fr