L’exceptionnelle mobilisation des aides publiques et des fonds de Bpifrance ont maintenu à flot les entreprises industrielles du Grand Est. Mais les données de l’Urssaf montrent qu’un an après le début de la crise sanitaire, l’emploi a payé une lourde facture. Fin 2020, 22.030 postes ont été détruits quand le chômage partiel concernait encore 2,8 % de la masse salariale. Quant au commerce, scruté par la CCI Alsace Eurométropole, il est sans surprise en situation fragile.
« 70% de l’économie va bien ; les marchés ne sont pas effondrés », proclamait Bernard Nicaise, directeur régional de Bpifrance Est, le 29 mars dernier aux journalistes, qui se dit optimiste pour la reprise, lorsque la campagne de vaccination aura fait son œuvre sur le moral des marchés et des consommateurs.
Gestionnaire des Prêts Garantis par l’Etat (PGE), et du plan France Relance pour le compte de l’Etat, le directeur régional appuie son appréciation sur l’activité exceptionnellement intense de 2020 de la banque publique, en hausse de 58%. Dans le Grand Est, 4.844 entreprises ont été aidées à hauteur de 2,2 milliards d’€, ce qui a permis de mobiliser 4,8 milliards d’€ avec les financements d’autres banques et des collectivités locales.
Dans cette enveloppe, figurent les PGE qui ont permis de pallier les difficultés des entreprises dont l’activité a été bouleversée par la pandémie, mais pas que. En attendant des jours meilleurs, 1.082 entreprises ont souscrit un PGE pour 404 millions d’€.
La question de savoir combien ne seront pas en mesure de rembourser est légitime. Il est trop tôt pour avoir des indicateurs fiables, car le PGE a pu mettre en suspens des défaillances. D’ailleurs témoigne Laurent Sahuquet, directeur de la Banque de France Grand Est, le nombre de dépôts de bilan sur un an et en date du 31 janvier s’est effondré de 40,7% dans le Grand Est.
La banque publique situe le taux d’échec entre 4% – « un niveau que n’importe quelle banque peut absorber » – et 8%, plus critique. En outre, si les marchés ne sont pas effondrés, un an après le premier confinement de 2020, l’activité n’a pas rebondi. La tendance repart toutefois légèrement à la hausse depuis le début de l’année, toujours selon la Banque de France.
L’optimisme du directeur régional de la banque publique s’affiche dans la nature des projets subventionnés par le plan France Relance gouvernemental. Car celui-ci favorise les investissements pour relocaliser des activités dans l’hexagone, moderniser les outils de production dans des secteurs moteurs de l'économie nationale, comme l’automobile et l’aéronautique, et financer l’innovation. « Les chefs d’entreprise ont réalisé deux à trois années d’investissements en un an », a précisé Bernard Nicaise.
Pas moins de 31 entreprises ont bénéficié d’un financement France Relance pour un total de 22 millions d’€. Avec, en sus, les différents outils financiers « classiques » (aides, prêts ou fonds propres), 353 entreprises ont mobilisé 123 millions d’€ (+ 55 % comparativement à 2019, traduisant une hausse significative des investissements.
Signe que les entrepreneurs se projettent dans l’avenir, la moitié des prêts habituels de la banque publique ont concerné des projets en lien avec la transition énergétique. Ils ont aussi continué de travailler sur l’approche de l’export, même si les assurances export ont été moins sollicitées en raison de la situation attentiste des acteurs du vin et du champagne qui ont perdu leurs marchés de la restauration.
Les start-up ont également poursuivi leur chemin. Enfin, preuve qu’elle place toujours sa confiance dans les entreprises régionales, Bpifrance a investi ou réinvesti en direct dans huit entreprises portant sa participation en fonds propres dans 42 entreprises du Grand Est pour un montant de 238 millions d’€.
Plus d'un commerçant sur deux en situation fragile pendant que la pharmacie embauche

Quant aux 30% d’entreprises qui, par déduction, vont mal, Bpifrance a peu de données et il faut se tourner vers l’Urssaf qui collecte les cotisations sociales pour mesurer leurs difficultés. Ce sont, on s’en doutait, principalement les secteurs fermés administrativement qui paient le plus lourd tribu : fin 2020, l’hébergement et la restauration avaient perdu 8.000 postes en un an (moins 10% d’effectifs) et le commerce, 2.160 postes.
La CCI Alsace Eurométropole qui a pris le pouls du commerce sur son territoire, formule des conclusions sans appel. Les deux-tiers des commerçants disent avoir subi une baisse de chiffre d’affaires au second semestre 2020, soit 12 points de plus que la moyenne des autres secteurs et 52 % ont subi une érosion de trésorerie. En particulier, le mois de décembre a contrasté avec la fin 2019, avec un chiffre d’affaires en recul pour 48 % des interrogés et un panier moyen plus modeste pour 38 % d’entre eux.
Si bien que 56 % des commerçants se considèrent en situation fragile, contre 40 % des dirigeants toutes activités confondues. Ce baromètre confirme que la crise a été par ailleurs un accélérateur dans la prise du virage numérique. La part des commerçants ne proposant aucun service digital (click & collect, vente sur le web ou les réseaux sociaux) s’est réduite de 33 % à 25 % entre le début et la fin de 2020 et l’équipement en un site marchand est passé de 12 à 38 %. « Essai à transformer », commente la CCI.
L’industrie n'échappe pas un recul de ses effectifs : mais les 7.500 postes perdus pèsent moins dans le secteur (moins 2,5%) compte tenu de son poids dans l’économie régionale (environ 290.000 salariés). La métallurgie est la plus touchée avec la perte de 2.040 postes (moins 4,2% en un an).
Des emplois ont pourtant été créés en 2020. Les embauches dans les industries extractives (+ 1,7 %) sont à mettre en parallèle avec celles de la construction (+ 1,5 % en un an, 1 690 postes supplémentaires). La nature de la crise explique les recrutements dans l’industrie pharmaceutique (+ 2,8 %) et le développement du télétravail, dans les services informatiques qui ont gagné 590 emplois.
Deux chiffres traduisent l’amorce d’une crise sociale si la crise sanitaire venait à s’éterniser. Les intérimaires paient un lourd tribu avec moins 2.820 postes et le nombre de CDD a augmenté. Fin 2020, le chômage partiel représentait dans le Grand Est, 2,8% de la masse salariale.
La Collectivité européenne d’Alsace (CEA) - qui réunit désormais les conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin - initie la création d’un « fonds d’innovation » pour les TPE et PME de son territoire, selon le principe de réveiller l’argent qui a dormi pendant la Covid-19 : « Il s’agit de mobiliser les ressources qui ont été thésaurisées par des investisseurs potentiels », souligne le président de la CEA Frédéric Bierry.
La collectivité réserve une enveloppe de 2 millions d’€ à ce projet qu’elle impulse, dans le but d’y agréger d’autres acteurs : investisseurs privés, BpiFrance, Banque des Territoires, intercommunalités. Et la région Grand Est, incontournable sur le développement économique dont elle a la compétence. La première réunion en vue de la constitution du fonds s’est tenue ce lundi 29 mars. La CEA estime qu’un montant de 10 millions d'€ peut ainsi être réuni.
L’objectif consiste à cibler les entreprises qui n’ont pas pu être aidées par les différents plans de relance, sur les thèmes prioritaires des transitions écologique et numérique, des mobilités durables, de l’alimentation, de la santé et de l’ingénierie. Mathieu Noyer