Son grand-père Jean, globe-trotter émérite, lui a dicté une ligne de conduite : « Vise haut et tient ton rang ». Ce rang, un temps perdu en Bourgogne, mais gagné dans d’autres vignobles plus méridionaux, Laurent Delaunay n’a de cesse de le retrouver. Sans soif revancharde ni ambition dévorante, juste par petites touches, au rythme tranquille du vieillissement de ses dives bouteilles. Portrait d’un homme à l’itinéraire singulier qui vit une très belle aventure économique.

Sachez avec Laurent Delaunay donner du temps au temps. S’il vous reçoit dans sa nouvelle, mais ancestrale maison de vin bourguignonne à l’Étang-Vergy, dans la région des Hautes-Côtes-de-Nuits, en Côte-d’Or, ce ne sera jamais pour une visite éclair. Cet homme de 53 ans, œnologue de formation, tout comme sa femme Catherine, aime raconter l’histoire des siens, le présent qu’il a bâti mais, peut-être avant tout, esquisser l’avenir qu’il espère.
Il fait une chaleur de plomb ce 24 juin dernier. L’ombre salvatrice des vieux arbres du Château de Charmont (19ème siècle), la demeure de Laurent Delaunay où il fut élevé, offre un peu de fraîcheur. L’édifice domine une étroite vallée avec, à flanc de coteau, quelques arpents de vignes en vision directe et, à ses pieds, la toute nouvelle cuverie Édouard Delaunay, du nom de l’arrière grand-père, le fondateur. On y pénètre par une entrée flambant neuve.
La cinquième génération aux commandes qui a racheté en 2017 au groupe Boisset la marque familiale, n’a pas vu trop grand, juste 1.000 m2, mais rénovés en espace moderne, performant et fonctionnel. Un investissement de 1,5 million d'€ offre un outil de vinification précis, ainsi qu’une cave d’élevage avec une capacité de 500 pièces de 228 litres (la contenance du fût bourguignon).
Une seconde tranche de travaux
Ici sont élaborées 25 appellations, dont neuf grands crus et huit premiers crus en côtes de Nuits et côtes de Beaune. « Notre charmes-chambertin 2017 [ndlr : un des 33 grands crus de Bourgogne] a été récemment le vin le mieux classé de l’International Wine Challenge avec une note de 97/100 », évoque pas peu fier Laurent Delaunay. Ses vins reflètent d’ailleurs sa personnalité, affirmée mais pas débordante. Avec lui, pas d’extractions poussées ni de boisage intempestif. Le vin doit exprimer son terroir, mieux, sa parcelle et fin du fin, son climat.

© Traces Ecrites
Un autre million d’€ sera injecté jusqu’au printemps 2020 pour rénover les anciens bureaux, combles et autres dépendances du site. Ils serviront de locaux de réception et d’espace de dégustation pour une clientèle avisée, composée d’amateurs et de professionnels passionnés, en France comme dans une douzaine de pays.
Laurent Delaunay refait un alignement des planètes comme naguère lorsque ses aïeux commercialisaient auprès des grandes compagnies transatlantiques, aériennes ou encore ferroviaires : la Cunard, l’Orient Express, les wagons-lits… Des discussions sont ainsi en cours avec la Singapour Airlines, l’une des meilleures au monde.
Il faudra sans doute cinq ans à Laurent Delaunay pour atteindre l’objectif qu'il s'est fixé : « rétablir la maison Delaunay [ndlr : 3 salariés] parmi les grandes maisons bourguignonnes. » Et elle en fut. Tout commence avec Édouard, fils d’un marchand de vin à nantais qui rachète en 1893 le fonds de commerce de son fournisseur bourguignon Victor Carbillet de Belecherre, installé à Nuits-Saint-Georges et Is-sur-Tille. Ses deux fils, Jean et Marcel, lui succèdent en 1930 et implantent l’affaire à Dijon, près de la gare. « N’oubliez pas que Beaune à l’époque fédérait 120 maisons de vin, Nuits-Saint-Georges, 60 et Dijon autant », explique Laurent Delaunay.
Les vins de cépages de Badet Clément
En 1954, les deux négociants achètent le Château de Charmont et rayonnent en commercialisant parmi les meilleurs producteurs : la romanée conti, et de la famille Liger-Belair, la romanée. Ils font même partie des fondateurs de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. Comme souvent, la succession passe aux enfants, Jean-Marie, le père de Laurent et à son oncle Bernard. « J’ai vécu dans leurs jambes, les regardant faire avec les clients, ma vocation est née à ce moment là. »
Aussi, Laurent rejoint-il naturellement son père en 1989. La Guerre du Golf chahute l’entreprise au point qu’elle doit, pour ne pas disparaître, s’adosser au groupe Boisset. « Jean-Claude Boisset nous a tous repris et nous sommes demeurés avec Catherine, ma femme, deux années à ses côtés », raconte Laurent qui regarde ensuite la ligne d’horizon.
Ce sera la naissance de Badet Clément, bien visible aujourd’hui sur l’autoroute à Nuits-Saint-Georges. Et quelle réussite économique : 53 millions d’€ de chiffre d’affaires consolidé ! Mais le négociant de vins du Languedoc, aussi distributeur avec sa filiale Domaine et Vins de Propriétés (DVP) de 140 domaines, dont 60 en Bourgogne n’a pas toujours vécu des jours tranquilles.
« Nous avons commencé Catherine et moi avec un fax dans la voiture, un téléphone et vogue la galère. » Deux décennies plus tard, ses vins de cépages (25 possibles) du Languedoc et du Rhône, issus de 150 hectares et vinifiés dans quatre cuveries tiennent la dragée haute à bien à des AOC régionales. Un rien Iconoclaste, traditionnaliste à sa façon, Laurent Delaunay ne serait-il pas devenu l’heureux mariage du vin de Bourgogne de demain ?

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