MENUISERIE/DIJON. Cette affaire, visant la menuiserie industrielle dijonnaise Pacotte et Mignotte (Groupe PM), interpelle. En dépit de plusieurs décisions de justice défavorables, pourquoi Bpifrance, BNP Paribas Développement et Sofimac Régions, trois des actionnaires, veulent révoquer à jet continu Emmanuel Chevasson, repreneur en 2011 et président opérationnel ?

 

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Groupe PM est installé sur la zone industrielle Cap Nord à Dijon. © PM.

 

La question du pourquoi est ici essentielle car, en général, les conflits d’associés ne finissent pas sur la place publique. Dans le monde économique, on règle d’ordinaire ses différents en privé, et plutôt dans le salon feutré d’un restaurant que devant un prétoire. En outre, lorsque des décisions de justice sont régulièrement défavorables à l’une des parties, l’acharnement laisse place entre interlocuteurs de bonne compagnie au dialogue et à la conciliation.

Pour savoir ce que vit actuellement la menuiserie industrielle Pacotte et Mignotte, implantée à Dijon, l’équipe de direction pilotée par Emmanuel Chevasson et les 180 salariés de l’entreprise, il faut réenrouler un fil d’Ariane et revenir quelques mois plus tôt.

Nous sommes au second semestre 2018, le groupe PM (Pacotte et Mignotte), repris en 2011 par Emmanuel Chevasson (tour de table de 4,7 millions d’€, source Sofimac), dans le cadre d’une acquisition avec effet de levier (LBO), souhaite faire auditer son entreprise. La reprise des gros chantiers de bâtiments en 2017, pour lesquels PM fournit portes et surtout fenêtres, crée une surchauffe qui déséquilibre l’activité et pénalise les marges.

 

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Le besoin de réflexions stratégiques s’impose donc et arrivent comme auditeurs en juin 2018 un cabinet, baptisé PMA Corporate Restructuring, fondé par Christophe Béranger, assisté d’une autre du nom d’Advance capital Recovery. Mais ces deux cabinets, venus à titre seulement de conseil d’un commun accord entre tous les actionnaires, proposent en réalité un plan dit de retournement avec pour corollaire, qu’il soit conduit par Christophe Béranger, en tant que manager de transition.

De sources  judiciaires, ce plan  préconise  une vague de 30 licenciements en un premier temps. Surpris, pour ne pas dire interloqué, Emmanuel Chevasson saisit alors le président du tribunal de commerce de Dijon afin de contester cette décision et placer l’entreprise sous protection judiciaire.

Un ordonnance en date du 17 juillet 2018, le magistrat désigne pour une durée de trois mois AJ Partners « pris en la personne de Maurice Picard », administrateur provisoire. Ce dernier a les pleins pouvoirs jusqu’au 17 octobre prochain pour auditer et gérer l’entreprise, négocier avec les banques, examiner le plan de retournement proposé, se prononcer sur sa conformité à l’intérêt social des sociétés du groupe et envisager des scenarii alternatifs permettant un maintien de l’activité et de l’emploi.

 

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Bpifrance, BNP Paribas Développement et Sofimac Régions décident alors de convoquer une assemblée générale des actionnaires le 30 juillet 2018 où il est question de nommer Christophe Béranger, président de PMC Développement, la holding qui contrôle les deux sociétés du groupe PM. Emmanuel Chevasson, via 2EC, sa propre holding actionnaire de PMC Développement, saisit alors en référé le président du tribunal de commerce pour faire reporter cette décision dans la mesure où un administrateur provisoire a été nommé pour agir dans l’intérêt de l’entreprise.

La décision de l’ordonnance du 27 juillet se passe de tout commentaire : « la désignation de Christophe Béranger en qualité de président de PMC Développement seraient contraire à l’intérêt social ainsi qu’à la mission de l’administrateur. »

Un annonce légale qualifiée de « dévastatrice»

 

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Dans l'atelier de menuiseries PVC. © Jachymiak.

 

Tout ceci ne décourage pas Bpifrance, BNP Paribas Développement et Sofimac Régions qui souhaitent convoquer une nouvelle assemblée générale en date du 31 août 2018 avec, cette fois-ci, pour ordre du jour de revoir la rémunération d’Emmanuel Chevasson.

Cette assemblée générale a bien lieu sous la présidence de maître Picard, mais l’ordre du jour est  d’entrée modifié par les trois actionnaires qui, constants dans leurs efforts communs, veulent de nouveau révoquer le dirigeant en titre et nommer Christophe Béranger. Ce qu’ils adoptent à l’exception de Bourgogne Franche-Comté Croissance (Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté).

De nouveau, il y a référé devant le président du Tribunal de commerce de Dijon qui statue, le 5 septembre dernier, en faveur du management en place et des pouvoirs accordés à l’administrateur avec « interdiction faites aux actionnaires de prendre toute décision susceptible de modifier la gouvernance » de l’entreprise.

 

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Mais le 11 septembre suivant paraît dans un journal local une annonce légale indiquant la nomination de Christophe Béranger président du groupe PM a effet immédiat. « Cela a été un coup de poignard dans le dos et a eu un effet dévastateur sur les clients, les salariés, les fournisseurs et ma famille », assure Emmanuel Chevasson, qui tenait ce jeudi une conférence de presse.

L’entrepreneur tient par ailleurs à ajouter du total soutien de ses collaborateurs. « Ils sont tous au travail, nous produisons normalement, je les tiens informés chaque semaine en réunion plénière, mes banques m'assurent constamment de leur confiance mais cette manœuvre en totale contradiction avec les décisions de justice m’étonne surtout de la part de Bpifrance . »

Emmanuel Chevasson lit à ce propos un des engagements figurant dans la charte éthique de la banque publique d’investissement : « Bpifrance se doit d’être un acteur irréprochable et exemplaire en matière d’éthique et de conformité et ce notamment en respect de la confiance que nous accorde l’ensemble de nos clients et partenaires d’affaires. »

 

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© Jachymiak.

On peut en effet s’interroger sur la constance des trois actionnaires d’aller à l’encontre des décisions de justice. On peut aussi s’étonner à l’écoute des conclusions de leurs avocats  à l’audience du 5 septembre 2018 lorsqu’ils déclarent qu’elles « font également fi de ses expériences - [ celle de Christophe Béranger, ndlr ] – dans des secteurs très proches de celui de Pacotte et Mignotte, auprès d’un fabricant de menuiseries extérieures et d’une société d’application de revêtements avec des contraintes de gestion de chantier, Bpifrance étant actionnaire de ces deux sociétés. »

Bpifrance veut ainsi placer à la tête de Pacotte et Mignotte un manager de transition qui intervient chez un concurrent où elle est également actionnaire. Sans être juriste, cela ne pose-t-il pas quelques interrogations de nature juridique ?

La réaction de Bpifrance que nous avons interrogé : « Bpifrance est un investisseur de long-terme, qui accompagne Pacotte & Mignotte depuis 2011, a investi et réinvesti dans l’entreprise à chaque moment clé et a confiance dans son avenir. Celui-ci passe aujourd’hui par un plan de rebond, qui a fait l’objet d’un consensus fort entre l’ensemble des actionnaires et son Président-Directeur général. Ce-dernier s’est opposé à la venue d’un manager de transition, pourtant nécessaire à sa mise en œuvre. D’où la situation de blocage actuelle. »

 

 

 

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Dans l'atelier de stockage des profilés PVC. © Jachymiak.

 

Ce feuilleton économico-judiciaire n’est pas encore clos. Il convient d’indiquer à ce stade l’arrêt de la Cour d’appel de Dijon, deuxième chambre civile, du 20 septembre 2018. En second degré de juridiction, cette dernière statue sur l’ajournement de l’assemblée générale du 30 juillet décidé par le président du Tribunal de commerce de Dijon et contesté.

La cour confirme l’ordonnance,  juge qu’il est inapproprié de changer la gouvernance « tant que la mission de l’administrateur dure. » Suite de l'histoire le 29 novembre, toujours devant la cours d'appel...

Didier Hugue.

 

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Les circonstances économiques du conflit

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Atelier d'expédition. © Jackymiak.


C’est en 2011 qu’Emmanuel Chevasson, alors directeur de la filiale française de Gealan en Côte-d’Or, fabricant allemand de profilés PVC, reprend Pacotte et Mignotte au dernier dirigeant de la famille fondatrice qui partait à la retraite, Jean-Claude Mignotte. Pour rassembler les 4,7 millions d’€ nécessaires au rachat (Source : Sofimac), le repreneur actionne le levier du LBO (acronyme de l'anglais : leveraged buy-out).

Le dirigeant complète son propre apport financier – 33,55% du capital de la SAS PM Développement – via une société ad hoc, 2EC –, avec quatre investisseurs : Bpifrance (à l’époque Avenir Entreprise), Sofimac Régions (un fonds auvergnat), BNP Développement, chacune à hauteur de 19,93% et Banque Populaire Croissance (6,64%). Ce sont ces trois premiers actionnaires (Bpifrance, Sofimac et BNP) qui s’opposent aujourd’hui au dirigeant. Ensemble, ils sont majoritaires à hauteur de près de 60%.

Le tout est financé par ce que l’on appelle la dette senior, des prêts bancaires remboursés dans le temps (ici 7 ans au départ) grâce aux remontées de dividendes. Cinq établissements financiers accordent ces emprunts : la Banque Populaire et BNP Paribas (1,6 million d’€ chacun), la Caisse d’Epargne Bourgogne-Franche-Comté et CIC (chacune 1,4 million) et Oseo, "ancêtre" de Bpifrance (1 million).



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Or, rapporte les actes du greffe du tribunal de Commerce de Dijon en date du 17 juillet 2018, l’entreprise ne parvient pas à rembourser la première annuité (1 million d’€) du LBO en août 2013. Un accord de conciliation aménage les échéances. Elles le seront à nouveau en 2015. Réduction des coûts opérationnels et rationalisation de la politique tarifaire ne suffisent à compenser la baisse de l’activité. On est en pleine crise du bâtiment.

L’examen des comptes (source verif.com) révèle que l'activité de la principale activité de PM – la division Bâtiment qui fournit les gros chantiers principalement en fenêtres PVC – est en décrue depuis 2014. Le chiffre d'affaires recule à 13 millions d’€ en 2017 par rapport à une moyenne relativement stable, autour de 15 à 16 millions d’€ annuels ces cinq dernières années. Les dettes financières, par le seul effet de vase communiquant, pèsent davantage sur le bilan.


Un marché qui déséquilibre deux activités rentables

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L'activité Bois-Agencement, en progression de chiffre d'affaires et de rentabilité. © Jachymiak.

 

Les deux autres marchés développés ces dernières années sont pourtant profitables, mais ne suffisent pas à améliorer l’équilibre du groupe. L’agencement (meubles sur mesure en bois) contenu dans la filiale Menuiserie Pacotte et Mignotte Bois-Agencement (35 salariés), a généré un chiffre d’affaires de 5,4 millions d’€ en 2017 avec un résultat d’environ 470.000 €, en forte progression par rapport à 2016.

L’entreprise a par exemple réalisé le chantier de la salle de spectacles La Vapeur à Dijon et vient de décrocher celui de la piscine du Carousel, dans la même ville. L’activité particuliers (notamment des vérandas) se porte également bien avec près de 4 millions d’€ de chiffre d’affaires. Au total, la société fabrique environ 20.000 portes et fenêtres par an. Et elle emploie 182 salariés.

 

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La salle de spectacles La Vapeur à Dijon, l'un des récents gros chantiers de PM. © Office Parisien d'Architecture.

 

Cumulé, le chiffre d’affaires du groupe PM s’élève à 22 millions d’€ pour un résultat qui serait négatif de plusieurs centaines de milliers d'€ en 2017 (de 200.000 à 500.000 €). C’est cette difficulté qui conduit au conflit d’associés actuel. Les actionnaires majoritaires estimant que seul un plan de « retournement » peut résoudre le problème, avec suppressions d’emploi et réinjection d’argent frais (1 million d’€, ont indiqué les avocats de la partie adverse – Renaud Thominette et Eric Seutet – à l’audience du 5 septembre 2018 du Tribunal de commerce de Dijon), et que le dirigeant n’est plus en mesure d’assurer, seul, la bonne continuité de l’entreprise.  

La situation pose la question de la pertinence d’un LBO sur un marché aussi cyclique que le bâtiment. Le changement d’actionnaires est intervenu entre deux crises qui ont fortement affecté les marchés de volume des portes et fenêtres (les gros maîtres d’ouvrage, promoteurs de logements et HLM), avec des chantiers contractés mais remis à plus tard, et une baisse des prix, donc de la marge.

« En 2017 avec la reprise du bâtiment, il y a eu une surchauffe dans l’atelier où il a fallu produire de gros volumes de commandes suspendues depuis un moment, dans des conditions économiques différentes puisque la matière première est aujourd'hui plus coûteuse, et sur les chantiers, nous avons du faire appel à de la sous-traitance pour la pose afin de tenir les délais pour ne pas engranger de pénalités de retard », a expliqué le dirigeant en conférence de presse.

Christiane Perruchot

 

Qui est Christophe Béranger, alias « Léon le Nettoyeur » ?

 

Dans un article du journal le Monde en date du 12 septembre 2005, à propos du fabricant de chaussures Charles Jourdan, aujourd’hui disparu, où Christophe Béranger est intervenu au côté de Michel de Tapol, il est mention d'un surnom qu’il s’attribuerait : « Léon le Nettoyeur », en référence au film de Luc Besson.

Sur la fiche Linkedin de cet homme, né le 30 mars 1959 à Toulouse et aujourd’hui domicilié à Marseille (source annonces légales), on peut lire à propos de PMA Corporate Restructuring, sa société de restructuration née il y a 11 ans,  qu’elle intervient : « sur la structuration et la mise en œuvre de solutions concernant : la gestion de situations de crise, l’optimisation des performances et le projet de management. »

De fait, ce professionnel de la chasse aux coûts intervient dans de nombreuses entreprises qu’indique également sa fiche Linkedin : PMA est constitué d’une équipe de 15 experts en restructuration, totalisant près de 450 interventions dans les secteurs de la métallurgie, l’automobile, l’aéronautique, le BTP, la distribution, l’agroalimentaire, le luxe, soit in bonis soit dans le cadre de procédures collectives. PMA réalise 15 à 20 opérations de restructuration par an.

Pour l’aéronautique, il est à noter que nommé président, le 18 avril 2012, de la Compagnie France Aviation, spécialiste de la réparation et maintenance d'aéronefs, elle est liquidée le 31 juillet suivant (source : société.com). D.H.

 

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1 commentaire(s) pour cet article
  1. Christophe Desbordesdit :

    On peut comprendre que des banquiers peu scrupuleux puissent être séduits par cet individu, spécialiste du retournement de sociétés qu'est Christophe Béranger. Mais comment des chefs d'entreprise, des juges sans parler des journalistes peuvent ils accorder le moindre crédit à ce personnage. A t-il au cours de sa longue carrière réussi un seul sauvetage d'entreprise, depuis ses débuts chez GA à Toulouse il n'a cessé de faire n'importe quoi, de se faire virer, de provoquer des drames humains et familiaux mais de toujours rebondir pour être toujours au rdv; le fossoyeur de plusieurs dizaines d'entreprises.

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