MACHINISME AGRICOLE. La seule usine fabriquant des pneus agraires en France est implantée à La Chapelle-Saint-Luc, dans la banlieue de Troyes. Un site immense dans lequel le manufacturier auvergnat a récemment investi 15 millions d’euros en bâtiments et en machines. Et réputé pour sa capacité à industrialiser les dernières innovations du groupe.

L’ordre et la discipline règnent dans l’usine. Interdiction de téléphoner en marchant, même dans les couloirs des bureaux ; obligation de suivre les allées réservées aux piétons ; port obligatoire du gilet fluo, de surchaussures et de bouchons d’oreille… Hygiène et sécurité. Le résultat est là : tout est étonnamment calme et propre, malgré le bruit continuel des machines et le va-et-vient incessant des chariots élévateurs.
Mais ce qui frappe le plus le visiteur, c’est que Michelin n’usurpe pas son nom de Manufacture Française des Pneumatiques : le travail manuel y a encore toute sa place, et certaines opérations ne sauraient être automatisées ou robotisées. Qu’on se le dise : on ne fabrique pas des pneus à la chaîne.
Pourtant, toute l’usine - la seule en France à fabriquer exclusivement des pneus destinés aux tracteurs agricoles et aux petites moissonneuses-batteuses - est organisée physiquement autour du flux de production. A l’entrée, l’activité de mélange où l’on fabrique la gomme. Viennent ensuite la préparation, puis la confection, la cuisson, le contrôle qualité et enfin le stockage.
1000 pneus par jour

Le site est gigantesque : 38 hectares dont 13 couverts (soit environ 18 terrains de football !), à l’échelle des produits fabriqués ici. Le plus gros pneu pèse 326 kilos, le plus grand fait près d’1,50 m de diamètre. L’entreprise emploie quelque 900 salariés, elle tourne 24h/24, 7j/7. « Nous produisons environ 1 000 pneus par jour, soit 43 000 t par an, dans 115 références différentes », précise le directeur de l’usine, Stéphane Boutroix, docteur en mathématiques. Chose admirable, chaque pneu est examiné sous toutes les coutures avant d’être déclaré bon pour le service.
Des chiffres, encore : l’usine chapelaine fabrique 41 000 t de mélange par an, dont 80 % pour son propre usage et 20 % pour d’autres usines du groupe. Il s’agit de gomme naturelle ou synthétique mélangée à des produits chimiques, à de l’huile et à du noir de carbone (du charbon en poudre). La composition exacte reste secrète.
Centre logistique européen
L’entreprise peut également stocker jusqu’à 40 000 pneus dans 45 000 m2 d’entrepôts, dont 10 000 m2 mis en service cette année pour un investissement de 5 millions d’€. Une telle capacité de stockage s’explique par le fait que l’usine auboise sert de plate-forme logistique à ses deux usines sœurs situées en Espagne et en Pologne.

« L’usine polonaise fabrique des petits pneus, l’usine espagnole, de très gros pneus, et nous, un peu des deux et des pneus intermédiaires », souligne le directeur. Troyes produit pour la marque Michelin à 75 % et pour la marque Kleber à 25 %, selon des procédés différents.
Il faut dire que le marché agricole a le vent en poupe dans le monde, qui est le terrain de jeu de l’usine Michelin. L’explication coule de source : « Il faudra bientôt nourrir 9 milliards d’êtres humains. Ce qui passe par un accroissement de la production et des rendements agricoles », explique Stéphane Boutroix.
Michelin a mis au point l’arme fatale pour relever le défi alimentaire : la technologie Ultraflex. On croirait que le pneu est à plat : sa plus grande adhérence lui permet de supporter des charges plus importantes et d’augmenter la puissance de traction, tout en préservant les sols et en économisant le carburant (dixit la pub).
Avec leurs grandes plaines céréalières, les Américains en raffolent. « Les pneus Ultraflex résistent mieux au maïs transgénique, dont les tiges sont extrêmement dures », souligne le directeur aubois. Un quart de la production de son usine part d’ailleurs en Amérique, le reste allant approvisionner les constructeurs (pour la première monte) ou les revendeurs européens (pour les pneus de remplacement).
Logique de saturation
Reste que le site est très dépendant d’innombrables facteurs extérieurs : aléas climatiques, mauvaises récoltes, embargo russe, cours des céréales, politique fiscale des Etats… Mais c’est l’optimisme qui prévaut à La Chapelle-Saint-Luc.

Comme en témoignent les 10 millions d’€ investis en 2013 dans une nouvelle machine plus flexible et plus ergonomique : « On est dans une logique de saturation permanente de nos capacités de production », observe le directeur, même si l’activité se concentre surtout sur les six premiers mois de l’année.
Mais comment une industrie de main-d’œuvre comme celle-ci parvient-elle à résister aux assauts de la mondialisation ? « Par l’innovation permanente, répond Stéphane Boutroix, et par le savoir-faire de nos équipes. L’usine de Troyes est réputée pour sa capacité à industrialiser les nouveautés du groupe. »
Bref, Bibendum se porte bien. Une nouvelle rassurante pour le département de l’Aube, dont Michelin est l’un des plus gros employeurs.
Merci, bel article