NOEL. Pour certains fabricants de produits de consommation, la période de Noël est décisive. A travers une série de reportages qui se poursuivra jusqu'au 23 décembre, Traces Ecrites News part à la découverte de ces entreprises qui réalisent une partie significative de leur chiffre d'affaires grâce aux fêtes de fin d'année.
1er épisode, avec la renommée cristallerie Lalique nichée au milieu de la forêt vosgienne en Alsace. En plein renouveau, l'entreprise vit avec sérénité son pic saisonnier.

Entrer dans la cristallerie Lalique, ça se mérite ! L’usine se cache parfaitement dans le modeste village de Wingen-sur-Moder (Bas-Rhin), à la pointe Nord-ouest de l’Alsace et au milieu de la forêt vosgienne. Et n’espérez pas qu’un grand panneau vous informe de sa localisation précise. Ouvrez plutôt vos yeux de lynx pour ne rater le tout petit écriteau indicatif, du genre de ceux qui vous signalent la vulgaire ferme du coin.
L’extérieur de l’entreprise ne paie pas de mine… L’intérieur pas davantage, il est bien daté de son temps : c’est au sortir de la Première guerre mondiale que le « poète du verre », le Parisien René Lalique a construit cette usine ici, profitant des incitations à la réindustrialisation de la région reconquise.
La richesse, elle est dans les têtes et les mains du personnel. « Nous comptons plus de 20 métiers différents parmi nos 230 salariés », souligne Denis Mandry, le directeur de l’usine. « La main d’œuvre représente 60 % de nos coûts de fabrication, loin devant l’énergie et les matières premières », poursuit-il.

Taille, gravure, polissage, etc. il est impressionnant de voir ces hommes et femmes travailler successivement le verre à chaud puis à froid, tantôt soulevant d’énormes vases de leurs gros bras, tantôt posant au millimètre le petit point sur un ornement, avant d’apposer la signature qui fera toute la valeur de l’objet.
Leur fierté, sincère, s’exprime avec modestie, et le plus souvent en silence. Non que la direction impose le mutisme face aux visiteurs qui se montreraient un peu trop curieux à son goût. Mais la plupart des tâches exigent un degré de précision ou de soin si élevé qu’elles interdisent tout écart de concentration.
Lalique, c’est le summum du cristal. De simples objets de vaisselle à table s’achètent quelques milliers d’€, des lustres dépassent le million d’€. « Les ventes s’étalent sur toute l’année, mais Noël demeure la période la plus forte », indique Patrick Walter, le directeur des ressources humaines. « Pour nous, en production, cela signifie que le pic se situe en septembre et octobre.»
Les Etats-Unis, premier marché
S’offrir un Lalique est un privilège qui se distille à petites doses évidemment, et dans le monde entier. « Les Etats-Unis forment notre premier marché, avec près d’un tiers des ventes. L’Asie constitue un marché émergent en plein développement pour nous », complète Patrick Walter. Evidemment, les riches clients du Golfe persique et de Russie se font plaisir. La cristallerie compose avec leurs caprices…
Endormie un certain temps au point de susciter l’inquiétude sur sa pérennité, l’entreprise a retrouvé le tonus grâce à sa reprise en 2008 par Silvio Denz, un homme d’affaires suisse. Agissant via sa société Art & Fragrance, il a alors racheté la cristallerie au groupe Pochet et a injecté depuis plus de 10 millions d’€ pour la moderniser.
Le nouveau dirigeant a également initié le «co-branding» comme voie de développement, autrement dit le partenariat par d’autres marques de luxe. Il consiste par exemple à proposer des pièces Lalique dans l’habitable d’une Bentley. Le chiffre d’affaires est remonté d’année en année pour approcher 70 millions d’€ l’an dernier.
La concurrence ? On songe tout de suite aux voisins lorrains, Baccarat et cristalleries de Saint-Louis à Bitche. Mais dans cet univers, la compétition est relative, expliquent les responsables de Lalique : en général, le client est attaché à une marque auquel il conserve l’exclusivité de sa préférence pour toute sa vie. En d’autres termes, il y a les inconditionnels Lalique, Baccarat ou Saint-Louis, qui ne songent pas à quitter l’un pour aller chez l’autre.
La concurrence se manifeste plutôt au niveau de la main d’œuvre : « il n’y a que deux écoles de verrerie en France dont l’une toute proche à Sarrebourg (Moselle) et nos entreprises respectives s’arrachent les diplômés », reconnaît Denis Mandry.
Deux écoles de verrerie en France
Lalique a donc souhaité élargir sa palette de recrutement. Pour cela, elle a mis de côté tous les a priori, et elle s’en félicite : dans ses ateliers de verre à froid, la cristallerie embauche depuis l’an dernier des demandeurs d’emploi dits « éloignés du marché » à la qualification très faible ou inexistante. Les candidats sont détectés par Pôle Emploi et Alemploi, société coopérative alsacienne d’insertion et accompagnement social, devenue une spécialiste de la réponse sur-mesure aux besoins des entreprises.
Ils sont recrutés sans CV, selon la méthode de la simulation qui consiste à repérer les « habiletés » en phase avec les attentes de l’employeur. En l’occurrence, la dextérité dans le geste, la capacité à se repérer dans l’espace ou encore l’aptitude à la polyvalence. Elles ont permis par exemple à Michel Bertin, 24 ans, de décrocher un CDI qu’il n’espérait plus après quatre ans de chômage suivant son échec à l’examen au BEP de peintre en bâtiment. « Ma fibre artistique a visiblement convaincu », témoigne-t-il.

Le processus est désormais installé dans le temps. « Nous venons d’embaucher quatre personnes par cette formule, à l’issue de la première formation interne en alternance d’un an. Entre mi-novembre et début décembre, nous avons signé six nouveaux contrats de professionnalisation, avec l’intention de les transformer en CDI. Et nous aurons encore un besoin de cinq embauches de ce type par an pendant trois ans jusqu’en 2017 », annonce Patrick Walter.
Ce programme laisse déduire que l’entreprise n’en a pas fini avec la croissance : outre la compensation des départs en retraite, les recrutements serviront aussi à augmenter les effectifs.