La famille de Robert Poujade, maire de Dijon de 1971 à 2001, décédé le 8 avril à l’âge de 91 ans, n’a rendu publique la nouvelle que le 14, après son inhumation dans le caveau familial maternel de Voiron, près de Grenoble. Retour sur la carrière politique de ce gaulliste qui domina la vie politique en Côte-d’Or pendant trente ans et fut le premier ministre de l’environnement. Et sur quelques traits de caractères de cet homme érudit et virtuose du discours.
Au départ, ce n’était pas un ministère à part entière mais une délégation auprès du Premier ministre Jacques Chaban Delmas, en 1971, chargée de la Protection de la nature et de l’environnement (il le devint en 1973 sous le gouvernement de Pierre Messmer). Robert Poujade, alors tout jeune maire de Dijon, s’y accrocha pendant trois ans et demi, indifférent à la risée de ses collègues qui ne prenaient pas cette mission au sérieux, racontait-il dans « Le ministère de l’impossible » publié chez Calman Levy en 1975, comme un exutoire aux obstacles politiques et administratifs placés sur son chemin.
Les lobbies industriels, le nucléaire, l’industrie du pétrole eurent raison de son ambition. Il réussit cependant à créer des normes pour réduire les nuisances sonores et la pollution de l’air. Et sensibilisa les aménageurs, sans les convaincre, à la notion de l’étude d’impact d’un projet sur son environnement. Héritage de ce premier ministère, Robert Poujade décédé le 8 avril 2020 (*) fut longtemps président du Conservatoire du littoral et de la Commission nationale des secteurs sauvegardés dont il fit l’un des plus vastes à Dijon. Il laissa dernière lui, lorsqu’il ne brigua pas un cinquième mandat en 2001, une ville verte avec des jardins publics quasiment dans tous les quartiers. Cela ne calma pas le sarcasme de ses adversaires qui lui reprochèrent de n’avoir pas donné plus de sens à l’écologie.
Ce bref passage dans les arcanes du gouvernement lui donna la stature pour jouer de son influence, en fidèle gaulliste. Son engagement remontait à 1947 à l’âge de 19 ans : le déclic de l’étudiant en classe préparatoire à l’Ecole normale supérieure de Montpellier fut le jour de l’annonce par le général de Gaulle à Strasbourg, de la création du Rassemblement du Peuple Français (RPF). Secrétaire national des étudiants, il gravit peut à petit les échelons au sein du mouvement gaulliste, au plan national comme local.
Secrétaire général de la fédération départementale de Côte-d’Or de l’UNR (Union pour la Nouvelle République) en 1958, il fut dix ans plus tard, secrétaire général de l’Union des Démocrates pour la République (UDR) jusqu’en 1971. Sa rencontre avec Jacques Chaban Delmas, Michel Debré, Albin Chalendon l’incite à entrer en politique.
Mais ce fut aussi la fin de l’Algérie française qu’il disait avoir vécu « douloureusement » qui l’incita à se présenter aux suffrages des électeurs. Après un échec en 1962 contre le député-maire de Dijon, le chanoine Kir, il lui fallu attendre 1967 pour battre celui auquel il allait aussi enlever le fauteuil de maire, quelques années plus tard. Sa fidélité au général de Gaulle reste indéfectible. Il compta parmi les co-organisateurs du défilé des Champs-Elysées, le 30 mai 1968, après la dissolution de l’Assemblée nationale pour tenter de mettre fin aux événements.
Succès aux urnes presque sans discontinuer pendant trente ans

Sa carrière politique locale engrange alors des succès presque sans discontinuer pendant 30 ans, faisant de lui l’homme politique incontournable de Côte-d'Or, faiseur et défaiseur de carrières. Élu maire de Dijon en 1971 (il était entré au conseil municipal en 1968 à la mort du chanoine Kir) au bénéfice d’une image d’homme politique national, il fut réélu trois fois de suite au 1er tour avec un score spectaculaire de 68,31% en 1983 et ne fut mis en ballotage qu’une fois, en 1995, par un candidat centriste, Yves Japiot.
Conseiller général pendant près de 20 ans, avec une interruption de 1976 à 1979, il fut le président du département de la Côte-d’Or en 1982 jusqu’à l’application de la loi contre le cumul des mandats en 1988. Sa carrière de député, sous la bannière de l’UDR puis du RPR, se prolonge jusqu’en 2002 avec comme seule parenthèse l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981.

L’homme était un érudit. Agrégé de lettres à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris, il avait fait sa thèse sur l’humanisme d’André Malraux. Sa nomination comme enseignant à la classe préparatoire khâgne du lycée Carnot de Dijon l’installe dans la cité des ducs en 1954. Ses étudiants n'étaient guère plus jeunes que lui : il avait 25 ans.
Sa culture littéraire et une éloquence naturelle lui avait donné une aisance dans le discours, ponctuée de petites phrases piquantes qui déstabilisaient ses adversaires, et même – il en jouait volontiers –, ceux de son camp. « Un pouvoir qui s’entoure de mystère perd de sa magie », disait-il avec malice. Les observateurs de l’époque racontent qu’il aimait volontiers deviser dans les rues de Dijon en compagnie d’un certain François Mitterrand, qui comme lui était membre (1970-1979) du Coder de Bourgogne (Commission de Développement de l’Economie Régionale, ancêtre du conseil régional avant la décentralisation où siégeaient les parlementaires et les présidents des conseils généraux).
À l’aise avec les hommes de pouvoir qui le respectaient, voire l’admiraient, Robert Poujade l’était moins avec ses administrés avec lesquels il gardait une distance qu’on lui a souvent reprochée. Il n’aimait pas la foule et pourtant, il sacrifiait au rite des réunions publiques, quartier par quartier, où il enregistrait les doléances de ses concitoyens.
L’urbanisation des quartiers nord
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Les deux grands projets d'urbanisme de Robert Poujade : l'auditorium et son "quartier des affaires" (photo du haut © Traces Ecrites) et l'extension de la ville au nord qui donne naissance aux quartiers de la Toison d'Or (image du bas, le rond-point de l'Europe en travaux. © Les Dépêches du 23-03-1990)
Ce qu’il laisse à Dijon ? Le bilan avait déjà été fait en 2001 lorsqu’il renonça à briguer un cinquième mandat. Tout jeune maire, il dota Dijon des grands équipements sportifs qui lui manquait, le palais des sports en 1976, la patinoire. Il reconfigura le quartier Clémenceau et sa vaste place du 27ème RI qui ressemblait davantage à un terrain vague qu’à une place urbaine, pour en faire « un quartier des affaires ». Un projet qui dura plus de 20 ans et qui n’était pas achevé à l'arrivée de son successeur (PS) François Rebsamen en 2001. Mais l’auditorium imposant des architectes américains d’Arquitectonica avait été inauguré en 1998. Ce ne fut pas le cas de la salle de spectacle du Zénith, dont il est à l’origine mais qui n’alla pas plus loin que le projet d’architecte.
Robert Poujade entama aussi la rénovation du centre-ville, en créant des zones piétonnes et en y implantant des HLM – qui ne furent pourtant pas le type de logements qu’il favorisa –, au Petit Citeaux, près du commissariat de police, puis au bout de la rue Berbisey, le quartier de Guise, une réussite architecturale à l’époque signée de l’espagnol Manuel Nunez. Il démarra aussi la réhabilitation de la cité des Grésilles en faisant tomber une première barre, Épirey, en 1992, puis Les Lochères en 2000. Mais sa plus grande signature urbanistique fut l’extension de la commune au nord, 240 hectares aménagés avec la Toison d’Or : d’abord le premier parc dit technologique de l’agglomération, un parc d’attraction qui ne fit pas longtemps recette, construit par le secteur loisirs de la Lyonnaise des eaux à qui il avait confié la gestion de l’eau, et le centre commercial. Bien des années avant, il a influé pour raccorder la capitale de la Bourgogne à l'autoroute A6 et faire entrer le TGV à la gare de Dijon.
La ville de Dijon lui rendra un hommage après le confinement, a promis le maire François Rebsamen. Né à Moulins-sur-Allier, Robert Poujade aurait eu 92 ans le 6 mai.
(*) Son décès est sans lien avec le coronavirus, a annoncé à l’AFP le 14 avril, son fils Bernard, avocat à Paris, alors que son inhumation venait d’avoir lieu.
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Robert Poujade était un homme fort estimable. Normalien littéraire, il inaugura avec détermination un ministère de l’environnement et fut attentif à maintenir sa ville de Dijon dans son histoire. Honorer sa mémoire s’impose. Mais donner son nom à l'Auditorium (ce qu'envisage le maire actuel François Rebsamen) qu'il accepta de faire construire à la demande expresse de 300 mélomanes dijonnais me semble superflu. Car la musique n’était pas son truc, et ressusciter ainsi l’ironique « Poujadorium » serait une erreur. Après avoir résisté vingt ans à son adjoint Michel Grivelet, éminent universitaire shakespearien, qui voulait une salle de musique digne de la ville, il céda enfin à trois cents mélomanes unis pour réclamer un auditorium dédié à la musique seule. Il leur fallut dix ans pour le convaincre, dix ans de plus pour étrenner en 1998 une froide salle polyvalente, amputée du quart de son espace après de graves erreurs de construction, difficile à utiliser et trop longue. Leur déception fut noyée par une communication extravagante. Malgré ces obstacles, Laurent Joyeux en fit un opéra, réussit plusieurs saisons, et le public a suivi. Changer son nom usurpé d’« Auditorium » pourrait-il augmenter ce succès ? Donner le nom d’un grand compositeur est d’usage : Edgar Varèse, à l’enfance bourguignonne, avait été proposé, novateur audacieux devenu classique, célébré par les musiciens. Il a fait peur aux édiles. On peut trouver plus consensuel, mais jamais le nom d’un politique n’est justifié pour une salle de musique, pas plus que pour un hôpital sauf s’il a dépendu de lui, comme d’Edouard Herriot à Lyon. Georges Pompidou et François Mitterrand ont supplanté sans mérite médical nos grands médecins pour baptiser deux établissements. Nos prix Nobel auraient été dignes de cet honneur, ils attendent toujours.
Un vrai grand homme politique, avec aussi son caractère comme tout un chacun. Paix à son âme.
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