SOCIAL/EST. MIS A JOUR 18 DÉCEMBRE. En dehors des commerces qui ont fermé boutique ou attendu en vain les chalands, durant les week-ends de décembre, le mouvement des « Gilets jaunes », paralyse t-il l’économie?
Pour en avoir le coeur net, plusieurs organisations patronales de Bourgogne-Franche-Comté et du Grand Est ont interrogé leurs ressortissants. Au fil des semaines, l'impact s'est renforcé. Les collectivités locales entrent dans la danse pour limiter le manque à gagner des commerçants. Voir aussi en fin d'article les dispositions prises par l'État pour les entreprises en difficulté.

Lundi 17 décembre, le conseil municipal de Dijon, sur proposition d'un voeu du groupe PS, a voté des allègements de charges pour les commerçants du marché de Noël installés au centre-ville. La redevance qu'ils versent à la commune pour ocupation du domaine public va être réduite de 20%. Les cafetiers, restaurateurs et commerçants sédentaires qui occupent l'espace public (terrasses, trottoirs) voient les tarifs de la redevance, gelés pour une année. La municipalité qui évalue à 120.000 € le manque à gagner des commerçants du centre-ville depuis le début du mouvement des Gilets jaunes a également décidé de rendre gratuits les parkings souterrains et de surface aux abords du centre-ville, jusqu'à la fin de l'année. Elle espère ainsi que les chalands reviendront plus facilement faire leurs achats. Une facture de 60.000 € que la ville devrait reverser au gestionnaire des parkings qu'est Divia (groupe Keolis).
Le mouvement des Gilets jaunes avait, vers la mi-novembre, conduit à la création d'une association de chefs d’entreprise de l’agglomération de Dijon, baptisée Q37 en référence à la sortie 37 de la rocade nord ouest, pour dire son impatience face aux barrages filtrants à l’entrée de la zone artisanale et commerciale d’Ahuy. Des commerçants de la galerie marchande de l’hypermarché avaient assuré avoir divisé par trois leur chiffre d’affaires à époque comparable.
Le commerce dans les centres-villes est de loin le plus impacté par le mouvement des Gilets jaunes, en particulier les samedis de manifestations. Face à ce constat pour le commerce, les syndicats professionnels ont voulu savoir ce qu’il en était des autres secteurs d’activité.
La CPME est de loin la plus alarmante, bien que l’enquête diligentée du 4 au 7 décembre, n’apporte pas de vision locale ni régionale. 62 % des 1.710 dirigeants interrogés ont mesuré une perte de chiffre d’affaires ou des retards de livraison. Dans 21 % des cas, la baisse d’activité sur le mois de novembre est supérieure à 20 %. Et 30 % craignent pour la survie de leur activité si le mouvement devait perdurer.
Le Medef 21 a lui aussi mené une enquête flash qui relativise l’impact du mouvement sur l’activité des entreprises. Toutefois, les résultats sont sans doute sous-estimés compte tenu qu’elle s'est déroulée il y a une quinzaine de jours, du 26 au 30 novembre. Sur les 70 entreprises de Côte-d’Or qui avaient répondu, dont plus la moitié des commerces et des services, un quart avait déclaré avoir subi un préjudice « modéré » ; et la moitié aucun impact ni sur les livraisons ni sur la production.
Entamée le 29 novembre, l’enquête de la CCI Alsace métropole, réalisée par voie électronique auprès de 6.800 entreprises de tous les secteurs d’activité livrait au 6 décembre des appréciations plus pénalisantes pour l’économie locale. Les 571 entreprises qui ont répondu (à 77 % du commerce) délivrent des effets majoritairement « modérés ». Une sur dix constate toutefois un impact « important » : un quart a enregistré une baisse de leur chiffre d’affaires de plus de 30%, et la moitié, une perturbation des approvisionnements et des livraisons.
Le 13 décembre, la CCI Côte-d'Or a rendu publiques les conclusions d'une enquête à laquelle ont répondu près de 300 entreprises, essentiellement du commerce, dont la moitié implantées sur l'agglomération de Dijon. L'impact sur le niveau d'activité est clairement établi les deux premiers week-ends de décembre : 40% de chiffre d'affaires en moins par rappport à la même période de 2017 pour près de 80% des sociétés qui ont répondu. Toutes les zones commerciales de Dijon, y compris le centre-ville, ont attendu en vain le chaland.
En Saône-et-Loire, la CCI a également mené une enquête soldée par environ 150 réponses : 40 % des commerçants annoncent des pertes de chiffre d'affaires d’au moins 30 % par rapport à l’année dernière, directement en lien avec les blocages des gilets jaunes.

Outre l’appel à l’apaisement et au dialogue à l’adresse des manifestants mais aussi du gouvernement, les institutions patronales veillent à ne pas laisser leurs ressortissants à la peine. Elles rappellent les mesures annoncées le 26 novembre dernier par le ministère de l’Économie et des finances pour faire face à d’éventuelles difficultés de trésorerie.
La CPME 90 a choisi sa page Facebook pour dire qu’un étalement des cotisations de l’Urssaf peut être sollicité (délai de paiement, exonération de pénalités...), « de préférence, via le compte de l’entreprise sur le portail de l’Urssaf en précisant dans l'objet qu'il s'agit d'une demande suite au mouvement des Gilets jaunes. Ceci permettra un traitement prioritaire. » La CCI Alsace métropole détaille ces mesures sur son site www.alsace-eurométropole.cci.fr et met en place un numéro de téléphone, CCI Info Services : 03 90 20 67 68.
La Chambre de Métiers et de l’Artisanat de Bourgogne a elle aussi lancé une consultation auprès des artisans (800 réponses ces 4 derniers jours) pour connaître l’impact des mouvements sociaux sur l’activité de leur entreprise : 51% enregistrent une baisse anormale de leur chiffre d’affaires entre 10% et 50% ; 32% se disent gênés dans leurs déplacements professionnels et 25% ont eu des difficultés d’approvisionnement. L'organisme se propose de diriger les entrepreneurs vers les dispositifs d’aides mis en place par le Gouvernement, ses partenaires ou par la Chambre de Métiers elle-même. Une procédure exceptionnelle est activée pour les entreprises, dont l’activité est gravement empêchée par des troubles à l’ordre public, puissent bénéficier de l’intervention du Fonds de calamités et catastrophes naturelles.
Ce mardi 11 décembre, au lendemain de l'intervention télévisée du Président de la République, les organisations patronales ont durci le ton. Dans un communiqué, la CPME, le Medef et l’U2P demandent une exonération de charges (abandons de créances) au 4e trimestre pour les entreprises de moins de 50 salariés qui ont perdu au moins 30% de chiffre d’affaires. Ils estiment que les reports de charge négociés précédemment ne sont pas suffisants.
Après les annonces du président de la République, la CPME espère que « l’activité économique pourra repartir normalement. » Le syndicat patronal se félicite des heures supplémentaires défiscalisées et nettes de charges sociales : « une vraie bonne mesure qui concernera près de 9 millions de salariés » qu'elle réclamait. Ainsi que de la prime défiscalisée et nette de charges, à l’initiative de l’employeur, tout en précisant que le nombre de PME en capacité de distribuer une prime de ce type restera « malheureusement limité ». Quant à la hausse de 100€ du SMIC, le fait qu’elle soit annoncée sans coût pour l’employeur est « fondamental ». Le syndicat regrette toutefois que « le périmètre et le calendrier des baisses d’impôts et de dépenses publiques plus rapides n’aient pas été dévoilés. »
Le 13 décembre, rien n'indiquait que le mouvement allait ralentir. Près de 200 camions ont été bloqués dans la nuit du 12 au 13 sur la RCEA en Saône-et-Loire, près de l'accès au péage de l'A6 Chalon Sud. La police est intervenue pour libérer le passage et ont interpellé 11 personnes.
Le mouvement des « Gilets jaunes » qui commence localement à s'organiser en association, dépassant maintenant le seul problème de l’augmentation des carburants, l’Association des maires ruraux de France devance le débat national que veut faire le gouvernement en invitant les maires des petites communes à participer à l’action #mairieouverte. Elle met à leur disposition un cahier de doléances et de propositions pour recueillir la parole des habitants sur son site www.amrf.fr et la plateforme citoyenne FluiCity lancé hier.
L’Association des maires ruraux de France rappelle qu’un ménage avec enfants vivant à la campagne a besoin de 45 litres d’essence par semaine (accès au lieu de travail, aux commerces et aux loisirs, etc.). Une façon, sans le dire, de s’associer aux « Gilets jaunes », mais aussi d’avouer leur incapacité, subie ou non, de rendre leurs administrés moins dépendants de leur sacro-sainte voiture. Et de ne plus avoir d’emplois et de moins en moins de services à leur proposer sur leur lieu de résidence.
Les syndicats de salariés tentent aussi de se raccrocher au mouvement si tant est que les « Gilets jaunes » les acceptent. La CGT dans une intervention de Michel Faivre-Picon, son représentant au conseil économique et social de Bourgogne-Franche-Comté, le 10 décembre, appelle « salariés, retraités et chômeurs à se mobiliser et manifester le 14 décembre prochain.»
Son argument sur le poids de l'impôt – contesté par les manifestants et protégé par les entreprises – peut revêtir un double sens : « Le discours qui tend à dire que notre pays serait le champion des taxes et charges sociales est faux : dans ces « charges » sont prises en compte les cotisations sociales qui sont le filet de sécurité de bon nombre de citoyens : retraites, indemnisation de la maladie, du chômage, aides aux familles. Il faut donc comparer ce qui est comparable, certains pays n’ont pas les mêmes niveaux de cotisations sociales, simplement parce que les citoyens payent directement des assurances privées. Le consentement à l’impôt est essentiel pour le vivre ensemble et il n’est possible que s’il sert l’intérêt collectif. »
Les dispositions prises par l’État pour les entreprises en difficulté en Bourgogne-Franche-Comté
Bernard Schmeltz, préfet de la région Bourgogne-Franche-Comté, communique les mesures prises pour les entreprises qui connaissent une baisse significative de leur chiffre d’affaires depuis le début du mouvement des Gilets jaunes.
• Mesures de chômage partiel
Les demandes d’autorisation d’activité partielle peuvent être accordées pour une courte période (2 semaines maximum) susceptibles d’être renouvelées en cas de prolongation du conflit. Demande par internet : www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits - Pour saisir votre demande, cliquer sur le lien suivant :
https://activitepartielle.emploi.gouv.fr/apart/index.php/login
Pour contacter les services de la Direccte BFC : bfc.continuite-eco@direccte.gouv.fr ou la hot line 03.63.01.70.17, ou les unités départementales Direccte : mails pour les entreprises de Bourgogne construits sur le modèle suivant en changeant le n° du département : bourg-ut21.activite-partielle@direccte.gouv.fr, et pour les entreprises de Franche-Comté, sur le même principe : franch-ut25.activite-partielle@direccte.gouv.fr
• Étalement des échéances fiscales et sociales
Les directions départementales des finances publiques apprécieront « avec bienveillance », au cas par cas, la demande d'une entreprise défaillante de paiement de la cotisation foncière des entreprises et de l'acompte d'impôt sur les sociétés du 17 décembre 2018, en démontrant un problème de trésorerie directement lié au mouvement des « gilets jaunes". Attention, ceci ne concerne pas paiement de la TVA.
Les entreprises qui bénéficient d'un plan de règlement en cours (délais bilatéraux classiques ou délais de la commission des chefs de services financiers) pourront bénéficier d’un report de paiement des échéances des mois de novembre et de décembre. Contact : le service des impôts des entreprises (SIE) interlocuteur habituel de l'entreprise.
De même, pour les démarches relatives au paiement des échéances sociales, les organismes de recouvrement (notamment l’URSSAF) pourront accorder un report pour le paiement des cotisations dues au titre du mois de novembre, sans majoration ni pénalité de retard.
• Ouverture complémentaire le dimanche
Le préfet étudie favorablement les demandes de dérogation au repos dominical pour les établissements situés dans une commune qui n’a pas mis en « dimanches du maire », en décembre 2018 et janvier 2019, dès lors que cette ouverture peut contribuer à compenser les pertes de chiffres d’affaires des semaines passées.
• Indemnisation par les assurances
En cas de préjudices subis lors des manifestations, se rapprocher le plus rapidement possible de son assureur, une fois déclaration faite auprès des services de police ou de gendarmerie. En fonction de la couverture d’assurance, l’indemnisation sera tout ou partielle (voitures, commerces ou immeubles). S’il y a une perte d’exploitation, liée ou non à des dégâts matériels, la prise en charge dépendra des garanties souscrites.
Plus d’informations, sur le site de la fédération française de l’assurance.
• Besoins de financement de court terme
La Fédération bancaire française a écrit le 30 novembre dernier à ses adhérents pour leur indiquer d’examiner « avec la plus haute bienveillance » et au cas par cas les situations des artisans, commerçants et entreprises concernées, afin de rechercher des solutions appropriées, en particulier de besoins de financement à court terme.
• Octroi ou maintien de crédits bancaires
Afin de faciliter l’octroi ou le maintien de crédits bancaires, les entreprises pourront bénéficier d’une garantie plus importante de Bpifrance sur leurs crédits de renforcement de la trésorerie, avec une quotité garantie qui pourra passer de 40 à 70%. Le préfinancement du CICE 2018 sera par ailleurs pérennisé jusqu'à sa transformation en baisse des charges. Le report d'échéances dans le remboursement de prêt pourra être accordé aux entreprises sur demande auprès de leur banque pour les prêts garantis par Bpifrance.