AGROALIMENTAIRE/DIJON. Héritière d’une histoire intimement liée à la ville de Dijon avec les mythiques chocolats Lanvin, la Chocolaterie de Bourgogne a obtenu hier 4 décembre, du tribunal de commerce de Dijon, une prolongation de l’état de redressement judiciaire jusqu’au 20 décembre.
Aucune offre concrète de reprise n’a été déposée à ce jour, alors que l’entreprise de 185 salariés est en situation de liquidation judiciaire.

Retour à la case départ : c’est l’impression qui ressort de la situation dans laquelle se trouve la Chocolaterie de Bourgogne, au lendemain de l’audience du tribunal de commerce de Dijon qui statuait lundi 4 décembre sur le devenir de cette entreprise de 185 salariés.
Elle avait été mise en redressement judiciaire, le 31 octobre dernier, quasiment trois ans, jour pour jour, après celui du 28 octobre 2014 qui avait permis à Philippe de Jarcy, entrepreneur indépendant, de passer la main à un pool d’actionnaires.
Lui-même avait repris l’entreprise au Suisse Barry-Callebaut, fin 2012, avec un carnet de commandes de cinq ans en ingrédients chocolatés pour l’industrie agroalimentaire, mais qui arrive aujourd’hui à échéance.
La reprise en février 2015 par les fonds d’investissements néerlandais Varova et Nimbus, accompagnés de Plot Enterprise Ghana Limited, fournisseur africain de cacao, de l’entreprise locale Salaisons Sabatier et de Jaap Van den Bent, président jusqu’à ces derniers mois, s’était soldée par le licenciement de 110 salariés sur 295.
Selon des sources concordantes, un comité d’entreprise extraordinaire vendredi 1er décembre, avait repéré deux manifestations d’intérêts émanant d’industriels « crédibles », parmi lesquels l’Espagnol Natra déjà présent en France à Saint-Etienne. Mais aucune ne s’est transformée en offre concrète.
La quinzaine de jours accordée par les juges, jusqu’au 20 décembre, doit être mise à profit pour dégager une offre sérieuse. A défaut la liquidation sera prononcée.
« Nous allons peser sur les actionnaires, anciens et nouveaux, avec lesquels le dialogue n’a guère pu être établi et le commissaire au redressement productif qui n’a pas toujours été lucide », affirme Christian Brougnon, délégué de la CFDT, l’un des deux syndicats présents dans l’entreprise avec la CGT.
Les syndicalites devront aussi mobiliser les salariés qui pour beaucoup se disent désabusés comme si la cause était perdue d’avance. Certains n’attendraient plus que la négociation d’un plan social.
Car quelque que soit l’issue du sauvetage - reprise ou liquidation -, il n’est pas possible de faire l’économie d’un plan de licenciement collectif.
Soutenue à bout de bras par les pouvoirs publics

L’entreprise est au bord du gouffre. En 2017, son chiffre d’affaires ne devrait pas dépasser la moitié du prévisionnel de 58 millions défini en début d’année. Au 30 septembre dernier, il s’élevait à 24,9 millions.
Depuis le rachat par Nimbus et Varova, l’activité n’a pas décollé. Le bilan publié fin 2016 sur 23 mois affichait un chiffre d’affaires de 76,5 millions d’€.
Mais surtout, les comptes présentent un déficit chronique. Le bilan 2015-2016 affiche un résultat d’exploitation négatif de près de 20 millions d’€ et une perte sèche de 7,6 millions.
Durant cette période, les pouvoirs publics étaient venus au secours de l'entreprise. En février 2015, la ville de Dijon avait demandé à sa société d’économie mixte d’aménagement (la Semaad) de racheter les 57.000 m2 de l’usine contre un loyer de 54.000 €. Selon plusieurs sources concordantes, plusieurs mensualités restent impayées auprès de la Société Est Métropoles qui lui a succédé.
Fin septembre de cette année, le résultat d’exploitation est à nouveau négatif, 6 millions d’€, en dépit d’une nouvelle tentative de sauvetage. La Caisse d'Épargne Bourgogne-Franche-Comté, et deux sociétés locales d’investissement, Rubis Capital et ACG Holding, participent à une augmentation de capital à hauteur de 5 millions d’€ et deviennent actionnaires à hauteur de 35%.
La banque et l'État mettent en oeuvre une procédure de fiducie-sûreté. En garantie du paiement de ses dettes, l’industriel transfert une partie de son outil de production à ses créanciers. Autrement dit, l’usine se déleste progressivement de son outil de production.
Parallèlement, une des trois grandes lignes héritées de Nestlé - le propriétaire qui a précédé Barry-Callebaut et fabriquait dans cette usine des millions de barres chocolatées Lion - a été transférée par l’actionnaire Nimbus dans son usine de Schokinag-Schokolade-Industrie GmbH en Allemagne qu’il a racheté à l’Américain Cargill en 2016.
Cette solution qui soulage le poids des immobilisations, est en fait un « baiser qui tue ». L’équipement évalué à 3,1 million d’€ n'a été cédé qu'à 1,2 million selon le rapport du cabinet Syndex, commandité par le comité d’entreprise.

Licenciements ou démissions de cadres au printemps 2016 ajoutent à la fragilité de l’entreprise. « Même si le président restera rémunéré jusqu’à l’été », confie la CFDT. Et les synergies commerciales promises par Nimbus avec sa nouvelle chocolaterie allemande tardent à se concrétiser.
L’entreprise a également bénéficié des largesses de l’administration. Sa dette sociale (les charges sur salaires) atteindrait 6 millions d’€ avec un étalement du remboursement sur 6 ans.
En prenant le recul nécessaire, on ne peut que constater que les actionnaires n’ont pas réalisé le projet qu’ils avaient “vendus” aux juges du tribunal. Varova et Nimbus avaient promis d’impliquer fortement Plot Enterprise Ghana Limited, le fournisseur de cacao, pour réaliser un projet industriel dont l’atout était de couvrir toute la filière : de la fourniture de la matière première - un gage de sécurité car le cours du cacao qui se définit au niveau mondial est fluctuant - jusqu’au consommateur.
« Nous constatons que Plot se désengage très rapidement sous des arguments inexpliqués », souligne encore le délégué CFDT. Par ailleurs, Nimbus se désintéresse de l’entreprise, puisqu'il tente, mais échoue, à céder l’entreprise à un investisseur chinois.
Des témoignages rapportent aussi des situations ubuesques comme la suppression de l’équipe de nuit de 15 personnes, mises au chômage technique plutôt que d’être intégrées aux équipes de jour ou licenciées.
En attendant que la situation se dénoue, la gestion de l’entreprise se fait au jour le jour. A défaut de trésorerie, les salaires de décembre seront payés par le régime de garantie des salaires (AGS), système de solidarité interprofessionnelle payé par les employeurs.
Et si le magasin d’usine ne désemplit en cet Avent de Noël, ce n’est qu’une situation anecdotique car la vente directe des chocolats ne représente que 2% du chiffre d’affaires.
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